RDC : le sport, nouveau joker diplomatique de Kinshasa
Accord exclusif avec Tony Parker, projets de contrat avec l’AC Milan et l’Olympique lyonnais, accueil de compétitions internationales… Félix Tshisekedi et le gouvernement congolais multiplient les partenariats sportifs et culturels. Objectif : redorer l’image du pays et contrer le soft power du Rwanda.
« Grâce à ce combat de boxe, Kinshasa deviendra, pour un moment, la capitale du monde entier. » Nous sommes en octobre 1974 et des affiches font la promotion du « combat du siècle » entre Mohamed Ali et George Foreman à travers Kinshasa. C’est la grande opération de communication du « citoyen-président Mobutu ». Un coup de pub jamais égalé, qui permet au Zaïre de se faire un nom. Cinquante ans plus tard, la République Démocratique du Congo veut s’attaquer à l’image négative qui lui collerait à la peau en misant sur le sport, le tourisme et la culture.
Il faut « changer de narratif » aime à dire Patrick Muyaya, le ministre de la Communication. « Par la volonté de notre président, le tourisme et la culture sont des passeports diplomatiques pour faire des plaidoyers et des leviers d’attractivité », déclarait-il lors d’une table ronde sur la culture et le sport comme soft power (outil d’influence diplomatique) au forum Rebranding Africa, à Bruxelles, en octobre dernier. En seulement quelques mois, la RDC a annoncé des partenariats avec de prestigieux clubs de foot : l’AC Milan, en Italie, et l’Olympique lyonnais (OL), en France.
Partenaire de grands clubs
Des accords qui tardent cependant à se concrétiser. Concernant l’association avec l’AC Milan, Didier M’Pambia, le ministre du Tourisme, évoque des problèmes d’agenda et de logistique pour expliquer le silence autour du projet, depuis une communication sur les réseaux sociaux, le 19 octobre. Ce contrat, « ce n’est pas de la théorie, c’est du concret », assure le ministre interrogé par Jeune Afrique, début décembre, en promettant une officialisation dans les prochaines semaines. Au sujet de l’Olympique lyonnais (OL), dont le dossier est géré par le ministre des Sports, Didier Budimbu, ce n’est pour le moment « qu’une prise de contact, alors qu’avec l’AC Milan, on a déjà signé », révèle Didier M’Pambia.
Le ministre refuse toutefois de dévoiler le montant du contrat, qui serait « de l’ordre ce qui se fait avec les autres pays, rien d’extraordinaire ». En Afrique du Sud, l’agence gouvernementale de promotion du tourisme avait fait scandale, en 2023, après avoir annoncé vouloir sponsoriser le club anglais de Tottenham pour une cinquantaine de millions de dollars sur trois ans, avant de réviser sa position face au tollé provoqué devant cette dépense jugée superflue.
La RDC a aussi signé un accord exclusif de trois ans avec l’ancien basketteur franco-américain Tony Parker. L’ex-star des San Antonio Spurs a été reçue fin septembre 2024 par le Président Félix Tshisekedi. Le Chef de l’Etat en a fait son ambassadeur pour la promotion de la RDC et le développement du sport. Le slogan « Invest in DRC » [« Investir en RDC »] s’affiche désormais sur les maillots de la Tony Parker Adéquat Academy, laquelle ouvrira une antenne à Kinshasa pour favoriser la formation des joueurs et leur possible transfert vers le club de basket français de l’Asvel, à Lyon-Villeurbanne, que détient Tony Parker. Le montant du contrat est resté secret.
La volonté de s’afficher comme partenaire des grands clubs de sport européens rappelle la campagne « Visit Rwanda », conclue ces dernières années par Kigali avec le Paris Saint-Germain (PSG) en France, Arsenal, en Angleterre, et le Bayern Munich, en Allemagne. Mais la RDC le jure, elle ne copie pas son rival rwandais, accusé de soutenir les rebelles du M23 qui sèment la terreur dans l’est du pays. « Nous ne faisons pas comme les autres », se défend Didier M’Pambia.
Un problème de cible ?
Ces différents projets de partenariats euro-congolais font cependant face à un problème de cohérence : ils ne partagent pas le même message. Quand Laurent Prud’homme, directeur général de l’OL, se rend à Kinshasa, début octobre, pour rencontrer Didier Budimbu, le ministre des Sports, il lui présente deux maillots, l’un avec le slogan « Destination RD Congo », l’autre estampillé « Expérience RD Congo ». De son côté, le ministère du Tourisme a opté pour « Explorez la RDC, cœur de l’Afrique », alors que Tony Parker privilégie « Invest in DRC ».
Faut-il s’adresser aux investisseurs ou aux touristes ? Les visiteurs représentent environ 500 000 entrées par an en RDC et contribuent à moins de 1 % de son PIB. En proie à l’insécurité et à la guerre dans ses provinces de l’est, en particulier autour de Goma, le pays est déconseillé, voire formellement et fortement déconseillé, par les ministères des Affaires étrangères belge et français. Pourtant, selon le ministre congolais du Tourisme, le potentiel touristique serait bien là : « Tous ceux qui sont venus en RDC sont revenus », assure-t-il.
Si les étrangers apprennent à aimer la RDC, voudront-ils y investir ? Le climat des affaires n’y est pas au beau fixe. « Ce n’est un secret pour personne que la République démocratique du Congo est confrontée à des problèmes de réputation, qui font que les grandes entreprises internationales hésitent à venir faire des affaires ici », déplorait Lucy Tamlyn, ambassadrice des États-Unis en RDC, dans une infolettre publiée le 22 novembre.
Congo bashing
Toujours selon Didier M’Pambia, le principal problème du pays serait le « Congo bashing » des médias « mainstream » (grand public) et des Congolais résidant à l’étranger. « Nous devons produire suffisamment d’images positives qui doivent changer la perception de ce pays », invite-t-il. Les journalistes congolais sont quant à eux sommés de devenir « les ambassadeurs de la marque RDC ».
Patrick Muyaya, le ministre de la Communication, s’offusque de toute forme de négativité, alors que se joue « une guerre médiatique ». C’est aussi « une guerre touristique », renchérit Didier M’Pambia, qui souligne que « 80 % des gorilles de montagne sont en RDC, mais que 80 % des revenus touristiques liés [à l’observation] des gorilles sont engrangés par le Rwanda ».
Car c’est bien dans un contexte de guerre avec le Rwanda que se déploie la stratégie congolaise de séduction. Kigali, qui accueillera les championnats du monde de cyclisme sur route 2025, qui veut obtenir un Grand prix de Formule 1 et qui organise déjà les phases finales de la Ligue africaine de basketball (BAL), jouit d’une image de pays propre, moderne, sûr et à même d’accueillir des événements internationaux. Une représentation qui rendrait les Occidentaux moins sévères à l’égard du Rwanda, malgré son implication dans la guerre en cours.
Après « The Rumble in the Jungle », le « Combat pour la paix »
À son tour, la RDC veut se servir du sport pour alerter sur le conflit qui ronge son territoire. Si Kinshasa réussi à organiser un combat de gala en 2025 pour commémorer les 50 ans du match Ali contre Foreman, la rencontre devrait prendre le nom de « Combat pour la paix ».
Lorsque le Variété Club de France (VCF) – club de foot français qui réunit personnalités médiatiques et anciens joueurs – s’est rendu à Kinshasa, ce 3 décembre, pour un match de gala auquel a participé le président Tshisekedi en tant que gardien de but, la rencontre a pris le nom de « match pour la paix » en soutien aux victimes de la guerre dans l’est de la RDC. Jacques Vendroux, le directeur général du VCF, assume le nom, sans vouloir faire de politique. « Avec le président [Félix Tshisekedi], on n’a jamais parlé de la guerre », assure celui qui a rencontré le chef de l’État congolais fin avril 2024, lors d’un déjeuner à Clairefontaine, dans les Yvelines, en grande banlieue parisienne, au camp d’entraînement de l’équipe de France de football. « Ce n’est pas moi qui vais réconcilier tout le monde », concède Jacques Vendroux.
La tournée du président Félix Tshisekedi à Paris en avril dernier, visait aussi à promouvoir la candidature de Kinshasa pour accueillir le Trophée des champions 2024, tournoi qui oppose généralement le vainqueur de la Ligue 1 de football au vainqueur de la Coupe de France. Déjà candidate en 2023, Kinshasa a encore été boudée par la Ligue de football professionnelle (LFP) française.
Le dossier avait été défendu par Thierry Braillard, avocat lyonnais et ancien secrétaire d’État français chargé des Sports. « En 2023, c’était la première fois que la RDC se positionnait pour organiser le Trophée des champions. C’était précurseur, par rapport à une volonté de monter de grands événements sportifs, comme ce que font d’autres pays. La RDC a tous les atouts pour les accueillir et c’est une communication extrêmement positive pour l’image du pays », insiste l’avocat.
Premier marathon international de Kinshasa
Après la boxe, le foot et le basket, la course à pied – le sport préféré des cadres supérieurs – pourra-t-elle aussi permettre à Kinshasa de redorer son image ? La capitale congolaise organisera son premier marathon international le 30 juin 2025. « Ce marathon deviendra la carte postale de notre pays », a déclaré la Première ministre, Judith Suminwa. « Dans la continuité du succès des Jeux de la francophonie [en 2023], Kinshasa ambitionne de s’affirmer comme un nouveau hub sportif majeur sur le continent africain », vante, quant à lui, Sébastien Bottari, directeur général d’Everest Media et organisateur de la course.
Courir 42 km dans une mégapole vidée de ses véhicules… les Kinois en rêvent. La ville est devenue un enfer routier en raison des embouteillages. Alors que la capitale disposera bientôt d’un Centre culturel et artistique (inauguré le 14 décembre dernier) et d’une Kinshasa Arena, les usagers devront affronter une traversée de la ville infernale pour rejoindre ces nouvelles infrastructures. Un frein sérieux aux ambitions touristiques et sportives de la RDC, qui pourrait se porter candidate à l’organisation de l’édition 2029 de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), en collaboration avec la République du Congo voisine.
(Tiré de Jeune Afrique)