Trump et l’Afrique : un repli des Etats-Unis qui pourrait profiter à la Chine déjà fortement présente en RDC

Trump et l’Afrique : un repli des Etats-Unis qui pourrait profiter à la Chine déjà fortement présente en RDC

(Par Christian Gambotti, Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain)

Les Etats-Unis et la RDC : un accord commercial qui symbolise la politique africaine de Trump

Dans mes dernières contributions, j’ai analysé la tragédie que représentait pour l’Afrique, au plan humanitaire, le démantèlement de l’USAID. J’ai dit qu’il restait la Millenium Challenge Corporation (MCC), une agence privée qui avait l’intention de poursuivre ses activités en Afrique en finançant, dans le domaine du développement, des projets d’infrastructures. Mais, avec Trump, qui ne s’intéresse ni à l’Afrique ni aux populations africaines, tout va très vite. Il vient de décider la fermeture de la MCC, un nouveau recul qui pourrait profiter à la Chine.

Les deux explications du recul des Etats-Unis en Afrique

  • Première explication: réduire l’abyssal déficit commercial des Etats-Unis. Dès son élection, Trump s’est fixé un objectif prioritaire : réduire drastiquement le colossal déficit budgétaire de l’Etat fédéral. Pour atteindre cet objectif, il dispose de deux outils : des droits de douane exorbitants comme arme de négociation et des coupes massives dans les dépenses de l’Etat profond pour faire des économies.

Déjà, en 2011, l'agence de notation S&P avait dégradé la note de la dette américaine de « AAA » à « AA+ », une première depuis la création de l'agence en 1941. En août 2023, Fitch avait à son tour abaisse la note de la dette étasunienne. Jerome Powell, Président de la Réserve fédérale des États-Unis (FED) avait parlé récemment de l'insoutenabilité de cette dette sur le long terme : « La dette grossit plus rapidement que l'économie ». Conscient de cette situation, Donald Trump a alors confié à Elon Musk la direction du Département de l'Efficacité gouvernementale (DOGE).

Parmi les premières mesures prises par Musk figure le démantèlement de l’USAID, l’agence américaine d’aide au développement, qui était, jusqu’en 2024, le principal bailleur de l’aide humanitaire dans le monde. Le mercredi 23 avril, Trump a ordonné la fermeture de la Millenium Challenge Corporation (MCC), une agence américaine d’inspiration très libérale qui, depuis sa création, a investi, essentiellement en Afrique, 17 milliards de dollars dans les domaines suivants : infrastructures routières, bâtiments scolaires, réseau électrique, système d’irrigation.

Deuxième explication, très idéologique ; la guerre trumpienne contre l’« Etat profond » (1), un repère de gauchistes selon l’administration Trump. La dénonciation de l’« Etat profond » (« Deep state ») est une constante de la rhétorique trumpienne. Selon Trump, cet « Etat profond » est aux mains des élites washingtoniennes et celles de la côte Est des États-Unis, des élites socialistes et dispendieuses qui agissent au détriment des intérêts du peuple et de la nation. La stratégie de Trump pour détruire l’Etat profond se résume dans le slogan « Drain the swamp » (« Assécher le marécage »), c’est-à-dire, dans le cas de l’USAID et de la MCC, couper les dépenses de façon drastique.

Ce fut le cas avec le démantèlement de l’USAID et, depuis le mercredi 23 avril 2025, la fermeture de la Millennium Challenge Corporation (MCC), une agence américaine privée qui investissait des milliards de dollars en Afrique à partir des critères suivants : la consolidation de la démocratie, le respect des principes de bonne gouvernance et l’acceptation de la forme libérale de l’économie.
Trump ne s’intéresse ni à la démocratie, ni à l’application des principes de bonne gouvernance. La diplomatie transactionnelle qu’il pratique, toujours dans un cadre bilatéral, se fait en Afrique comme partout dans le monde avec des Etats qui présentent un intérêt pour les Etats-Unis.

Un recul américain sur un terrain stratégique qui pourrait profiter à la Chine

L’investissement que font les grandes puissances, en particulier la Chine, dans les infrastructures des pays en développement, est l’un des aspects du soft power qui leur permet d’élargir leurs zones d’influence. La Chine entend profiter, ainsi que d’autres puissances commerciales, de l’arrêt immédiat des financements de la Millennium Challenge Corporation (MCC) dans les différents projets qu’elle menait : construction de routes et de bâtiments scolaires, modernisation du réseau électrique et des systèmes d’irrigation.

La Commission pour l’efficacité gouvernementale (DOGE), pilotée par Elon Musk, en imposant une réduction du nombre de salariés et de programmes de la MCC, accélère la perte d’influence des Etats-Unis sur la scène internationale. Pour Trump, il s’agit de la continuité d’une politique isolationniste qui passe désormais par la suppression des aides américaines publiques et privées à l’étranger, dès l’instant que ces aides ne se font pas dans le seul intérêt des Etats-Unis.

La fermeture de la MCC est surprenante pour trois raisons :

1) L’agence créée en 2004 par George Bush, un président Républicain, n’est pas dans l’action humanitaire ;

2) D’inspiration très libérale, sa seule boussole est le développement économique en faisant appel à l’investissement privé pour construire de grandes infrastructure ;

3) Elle se définit comme un élément du soft power américain destiné à contrecarrer l’influence de la Chine dans le monde. Mettre fin aux accords d’investissements de la MCC dans les pays africains concernés, c’est élargir encore plus le champ d’influence de Pékin sur le continent, alors que la Chine est déjà le premier partenaire commercial de l’Afrique.

La MCC, après l’annonce, le 23 avril 2025, de sa fermeture dans les 40 jours, dispose d’un délai supplémentaire de trois mois au Sénégal et en Côte d’Ivoire pour sécuriser les projets en cours, sans forcément pouvoir les achever. D’où l’inquiétude des dirigeants ivoiriens, alors qu’un important chantier routier arrive bientôt à son terme. Patrick Achi, Ministre d’Etat, Conseiller Spécial du Président de la République Alassane Ouattara, était récemment à Washington avec la délicate mission de réinventer le partenariat Côte d’Ivoire-Etats-Unis sous l’ère trumpienne. Patrick Achi était à l’origine des accords d’investissements de la MCC pour un montant de 525 millions de dollars destinés à contribuer à la croissance économique et sociale ivoirienne.

Ces accords seront-ils renouvelés ? Avec Trump, tout est possible. N’est-il pas en train de revenir sur bon nombre de ses décisions brutales ? Si le Trump du premier mandat ne s’intéressait pas aux pays africains, les qualifiant de simples « shithole countries » (« pays de merde »), le Trump du second mandat dispose d’équipes qui s’intéressent au continent et qui préparent une véritable politique « africaine ».

La RDC en passe de devenir le laboratoire de la politique africaine de Trump

Trump s’intéresse aux minerais stratégiques de la République Démocratique du Congo, très peu à la paix dans les provinces de l’Est du pays. Mais, ces provinces regorgent de cobalt, coltan, lithium, tantale, des minerais rares essentiels aux technologies avancées. Le Conseiller Spécial de Donald Trump pour l'Afrique, Massad Farès Boulo, s'est rendu à Kinshasa pour « promouvoir les investissements du secteur privé américain » dans le secteur minier.

Il a été reçu par le Président de la République Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le jeudi 3 avril 2025. Mais, il ne peut pas y avoir d’investissements et « de prospérité économique sans sécurité », a prévenu le conseiller Afrique de Donald Trump.

Les Etats-Unis s’apprêtent donc à signer avec la RDC le contrat suivant : le soutien diplomatique américain et la paix dans l’Est du pays contre les minerais congolais.

La RDC devient-elle le laboratoire de la politique africaine de Trump ? Pour Trump, la diplomatie, c’est toujours du business. « America first » rime avec « business first ».

Note importante

  • « Etat profond » : apparu à la fin des années 1990, ce concept est devenu l’expression favorite des populistes. Il existe dans tous les pays en « Etat profond » qui ralentit l’action des gouvernements et freine la mise en œuvre des réformes. J’ai été le conseiller d’un élu nommé Ministre qui me disait : « on croit qu’on est élu ou nommé Ministre pour répondre aux attentes des populations ; non, on passe son temps à lutter contre une administration. »

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