Réparer l’irréparable : le PNUD et les déplacés de l’Est congolais

Dans le Nord-Kivu, cette terre si souvent cartographiée par le sang, si rarement par la justice des milliers de corps déplacés errent entre le provisoire et l’incertain. Masisi, Nyiragongo, Rutshuru : ces noms ne sont plus seulement des localités, mais des cicatrices ouvertes sur la carte de la République. Là, dans les centres de regroupement collectif, l’attente s’est installée comme une seconde peau, entre les bâches usées et les silences fracturés.
Et pourtant, dans ce théâtre de la perte, la dignité cherche encore un chemin. C’est là que s’inscrit l’action du PNUD. Non comme une entité extérieure venue assister, mais comme un artisan de la réparation lente, une institution qui refuse que la vie soit réduite à la survie. Sous l’impulsion du Représentant Résident, Monsieur Damien Mama, et par la présence engagée sur le terrain de Monsieur Patrick D’Oliveira, Chef du Bureau au Nord-Kivu, le PNUD ne se contente pas de déployer une réponse technique. Il mobilise des leviers d’espérance — la santé, la société civile, les paysans — pour forger une réponse qui honore les vivants.
À Sake, ce n’est pas seulement un chef de bureau qui se déplace. C’est la conscience d’un système international qui vient voir, écouter, comprendre — et surtout, ne pas détourner le regard. Les outils sont là, certes : gestion directe du Fonds mondial pour la santé, synergies communautaires, stratégies paysannes. Mais au-delà des instruments, c’est une posture éthique : celle qui dit que chaque déplacé est un sujet d’histoire, pas une simple victime.
Une stratégie structurée face à l’effondrement
Conscient de l’ampleur de la crise humanitaire et géopolitique, le PNUD a élaboré un Plan de Réponse Stratégique adapté, adossé à une vision intégrée du relèvement durable. Ce document, intitulé “Building Resilience in Eastern DRC – A Path to Recovery and Hope”, structure intervention selon six axes prioritaires :
1. Retour accompagné :
Évaluer la viabilité des retours, accompagner la réintégration progressive dans les zones d’origine.
2. Renforcement des structures communautaires :
Mise en place de comités locaux de paix et d’alerte précoce, soutien aux organisations communautaires.
3. Accès aux services de base et relance des moyens de subsistance :
Réhabilitation d’écoles, centres de santé, forages, routes agricoles ; électrification solaire ; cash-for-work.
4. Promotion de la cohabitation pacifique :
Appui à la médiation, lutte contre la désinformation, inclusion des femmes dans les processus de paix.
5. Lutte contre les violences sexuelles et sexistes (SGBV) :
Espaces sûrs, soutien psychosocial, kits de soins, autonomisation économique des survivantes.
6. Coordination du relèvement :
Appui technique au Cluster Early Recovery, plaidoyer pour les droits des femmes et la justice foncière.
Cette stratégie bénéficie déjà de l’appui de plusieurs partenaires, mais nécessite encore 11 millions USD pour atteindre ses objectifs dans les six prochains mois.
Quand le déplacement devient exil de soi
Plus de 2,5 millions de personnes ont été déracinées dans le Nord-Kivu. Le mot « déplacé » ne suffit pas. Il y a dans ces mouvements forcés une perte plus grande : perte du territoire, du récit, du tissu social, du droit à rêver.
Revenir n’est pas revenir à un lieu, c’est reconstruire une appartenance.
C’est pourquoi l’action du PNUD ne s’arrête pas à la logistique. Il s’agit d’une stratégie multidimensionnelle : stabiliser les centres, sécuriser l’eau, la nuit, le feu, mais aussi préparer le retour dans le temps long, en affrontant les blessures invisibles — celles que la terre n’a pas encore su guérir.
Une architecture de la dignité partagée
L’intervention s’ancre dans une logique de co-construction, aux côtés des humanitaires, des structures locales, des acteurs du Nexus HDP. Deux lignes d’action immédiate structurent la réponse :
⦁ Stabiliser le présent dans les centres : abris, sécurité, hygiène, protection.
⦁ Préparer l’avenir dans les villages d’origine : retour volontaire, infrastructures, résolution foncière, reconstruction du lien social.
Et au centre : les vulnérables comme boussole
Car dans les interstices de la crise, ce sont toujours les mêmes corps qui ploient : femmes, filles, enfants, personnes vivant avec un handicap. Pour le PNUD, répondre à la crise, c’est d’abord écouter ceux que l’histoire a rendus inaudibles. Cela signifie :
⦁ Créer des espaces où les femmes ne sont pas seulement protégées, mais entendues.
⦁ Offrir aux enfants non pas une assistance, mais des promesses de lendemain.
⦁ Mobiliser le cash-for-work comme rite de réinscription dans le tissu économique.
⦁ Réhabiliter les infrastructures communautaires non comme un acte technique, mais comme une œuvre collective de mémoire et de résilience.
Là où le chaos a tissé son empire, le PNUD, aux côtés des communautés, tente d’y opposer la lente trame de la reconstruction humaine. Ce n’est pas seulement une opération humanitaire — c’est une politique du soin, une éthique du monde en commun.
Une vision d’avenir ancrée dans la paix et la résilience
Il est des lieux où le désastre n’est pas un événement, mais une continuité. Des lieux où la guerre devient climat, où l’urgence devient habitat. Le Nord-Kivu, cette géographie blessée de la République Démocratique du Congo, est l’un de ces espaces. Et pourtant, dans l’épaisseur du deuil, une promesse se tient debout : celle d’un lendemain forgé non par la pitié, mais par la force souveraine des communautés déplacées elles-mêmes.
Le PNUD ne vient pas assister, il vient reconnaître. Reconnaître que les déplacés ne sont pas des objets de soin, mais des sujets de reconstruction. Leur parole, leur mémoire, leurs gestes sont les matériaux d’un Nord-Kivu à rebâtir — non pas à l’identique, mais autrement : un Nord-Kivu qui aura appris du chaos à se penser autrement.
« Nous ne pouvons pas attendre la fin de la crise pour restaurer la dignité. Chaque jour compte, chaque solution rapide est un pas vers une paix durable », déclare Patrick D’Olivera, Chef du Bureau du PNUD au Nord-Kivu.
C’est là que réside la puissance singulière de l’approche du PNUD : tenir ensemble l’urgence et l’utopie, répondre à la faim sans oublier le rêve. Car la dignité ne se distribue pas — elle se construit avec, en libérant les communautés des chaînes de la dépendance pour les inscrire dans les dynamiques d’émancipation.
(Un texte de François Elika, Spécialiste Partenariat & Mobilisation des ressources, PNUD-RDC)
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