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Villes africaines : fini l’anarchie, place à la stratégie !

Villes africaines : fini l’anarchie, place à la stratégie !

Pour devenir des moteurs du développement, les villes du continent devront associer planification urbaine, politique industrielle et spécialisation sectorielle. Le tout dans un cadre décentralisé.

Dans la plupart des régions du monde, l’urbanisation a conduit naturellement au développement et à des gains de productivité considérables, en permettant de réaliser des économies d’échelle, en encourageant l’innovation et la spécialisation. Aujourd’hui, les 100 plus grandes villes de la planète représentent 40 % du PIB mondial. L’Afrique ne dérogera pas à la règle, car son avenir est urbain.

Tout concourt en effet à faire des villes africaines le point nodal de la politique économique des États : une croissance démographique rapide et singulière, qui fait de l’Afrique le seul continent en expansion soutenue ; un déficit chronique en infrastructures couplé à un territoire immense, où plus d’une capitale du continent sont mieux reliées à Dubaï ou à Paris qu’à leur second marché local ; ou encore un exode rural inachevé : moins de 50 % de la population du continent est urbaine, contre 65 % en Chine et 75 % aux États-Unis.

Nairobi et ses 181 projets

Ce sont les villes qui, au sein d’une stratégie cohérente, parviendront à associer planification urbaine, politique industrielle et spécialisation sectorielle, à l’image de Bangalore (services), Shenzhen (industries) ou San Francisco (hautes technologies), seront les moteurs de l’essor africain. Tanger – qui aurait pu figurer dans notre classement si nous ne nous étions limités à deux villes par pays, en est un exemple éloquent. En misant sur ses forces et sur l’essor du commerce mondial, la « porte de l’Afrique » a axé sa politique industrielle autour du développement d’un port de classe mondiale et de l’établissement de zones franches propices à l’industrie manufacturière. Un choix gagnant qui lui a permis d’attirer les investisseurs étrangers et de se transformer en modèle continental.

Comme l’atteste notre palmarès des villes africaines les plus attractives, d’autres cités, de Casablanca à Abidjan en passant par Nairobi, chacune avec sa stratégie, cheminent sur la voie du succès. Elles attirent de jeunes ruraux en quête d’une vie meilleure mais aussi des investisseurs. Entre 2019 et 2023, Nairobi a accueilli 181 projets d’investissements directs étrangers, Casablanca 113 et Abidjan 71, principalement dans le service aux entreprises, l’informatique, les technologies de l’information, les services financiers et les énergies renouvelables. Des investissements essentiels pour soutenir la création d’emplois, financer les infrastructures et enclencher un cercle

De fait, la ville est l’échelle à laquelle le déficit en infrastructures paraît le moins complexe à résoudre. Il suffit de connecter, sur quelques milliers de kilomètres carrés, des centaines de milliers (voire des millions) d’âmes au travers d’une poignée de nœuds urbains. Le transport électrique, ramassé, n’entraîne pas les pertes inhérentes à un réseau de longue distance. Les lieux de production sont proches des lieux de consommation. Encore faut-il tenir le rythme d’une croissance effrénée. D’ici à 2050, la population urbaine de l’Afrique doublera. Kinshasa deviendra la 4e plus grande ville au monde, avec 35 millions d’habitants ; Lagos la 6e, avec 33 millions.

Bidonvilles et quartiers fragmentés

Sous la poussée de la croissance naturelle et des migrations, les villes africaines enflent, souvent de manière désordonnée alors qu’elles sont déjà en moyenne 20 % plus étendues que les villes des autres pays émergents. Résultat : près de 60 % de leurs habitants vivent dans des bidonvilles. À l’image de Kibera, au sud de Nairobi, où s’entassent sur 2,5 km2, dans des logements de fortune, plus de 1 million de Kényans. Une surpopulation qui s’ajoute à un manque de connectivité et à un coût de la vie exorbitant.

Le risque est de voir se former un ensemble de quartiers fragmentés, sans moyens de transport fiables, qui peinent à offrir des emplois et qui ne permettent pas aux entreprises de tirer parti des économies d’échelle. La mobilité urbaine est d’ailleurs le casse-tête quotidien de millions d’Africains, confrontés à une pénurie de transports publics. L’alternative du secteur privé, les transports « artisanaux », dominent ainsi largement. Selon la fondation Mo Ibrahim, minibus et autres taxis partagés représentent, dans de nombreuses villes subsahariennes, de Conakry à Yaoundé, plus de 90 % du transport collectif. Et quand ce chiffre tombe au-dessous de 50 %, comme à Lagos, c’est au prix d’une congestion massive, avec un temps passé dans les embouteillages estimés à trente heures par semaine. Quant à la marche, elle occupe plus des deux tiers des trajets journaliers des habitants de Kinshasa, dont l’agglomération s’étale pourtant sur 10 000 km2. Comment, dans ces conditions, prétendre à un emploi un tant soit peu éloigné de son logement ?

Conscientes des conséquences économiques de ces fractures spatiales, une poignée de villes ont pris de l’avance. Des lignes de métro fonctionnent à Johannesburg, Alger, Abuja ou au Caire. Des tramways circulent à Casablanca, Tunis, Rabat et Alger. Mais ces avancées restent largement insuffisantes, même pour les villes précitées. Gourmands en capital et confrontés à des usagers au pouvoir d’achat limité, ces types de projets, qui peinent déjà à atteindre l’autonomie financière dans les pays développés, constituent, sur le continent, des aventures aussi fastidieuses que périlleuses. Et si le secteur privé, par le biais de partenariats avec le secteur public, peut contribuer à combler une partie du financement, les pouvoirs publics restent contraints d’en apporter l’essentiel.

Autre défi majeur, pour nombre de villes du sud du Sahara : celui des marchés fonciers. Prisonnières de règles formelles, coutumières et informelles qui se superposent et se contredisent, elles voient nombre de leurs projets de planification urbaine bloqués, et, surtout, se heurtent à l’impossibilité de valoriser les terrains concernés. Or un terrain qui acquiert de la valeur est un terrain qui pourrait servir de garantie pour lever des fonds…

Décentralisation

En creux, c’est la gouvernance des villes ainsi qui est dénoncée. Dans son dernier livre, Left Behind: A New Economics for Neglected Places, l’économiste britannique Paul Collier préconise une décentralisation plus large en Afrique, qui permettrait de régler plus facilement ce type de problèmes. En matière de politique industrielle, aussi, une gouvernance locale renforcée constitue un atout indéniable. Pour coordonner les relations avec le secteur privé local, organiser une concurrence saine, identifier les secteurs à privilégier et les besoins des futurs champions, réévaluer les actions entreprises et leurs résultats.

Reste que Kigali (2e de notre classement) et Tanger, qui appartiennent à un État pour le moins centralisé, en sont de parfaits contre-exemples. C’est qu’en matière de développement il n’existe décidément pas de règles : seulement des contextes différents et des cas particuliers.

(Avec Jeune Afrique)

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