(Par Christian GAMBOTTI)
Agrégé de l’Université - Président du Think tank Afrique & Partage - Directeur général de l’Université de l’Atlantique- Directeur du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) - Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone
Essayiste, chroniqueur, politologue, géopoliticien - Contact :
Depuis François Mitterrand, tous les présidents français ont promis d’en finir avec la « Françafrique » sans véritablement convaincre. Assiste-t-on, aujourd’hui, à « la fin sans fin de la “Françafrique” » (1) ? Si le mythe de la « Françafrique » est aujourd’hui réactivé par des activistes africains pro-russes financés par Moscou et s’il hante encore une partie de l’imaginaire des opinions publiques, c’est évidemment pour des raisons différentes. D’un côté, la Russie, qui revient en Afrique, se pare des vieux habits de la lutte anticoloniale afin d’apparaître comme une force libératrice contre le néo-colonialisme de l’Occident collectif ; de l’autre, une partie des opinions publiques considèrent que la France entretient le clientélisme hérité de la « Françafrique », qu’elle continue à soutenir des régimes contestés et que la politique africaine de la France sert uniquement les intérêts de Paris, ce qui freine le développement du continent.
Le seul Franc CFA permet de faire de la France un bouc-émissaire idéal. Le Franc CFA est-il un obstacle au développement de l’Afrique ? La France pille-t-elle les richesses du sous-sol africain et continue-telle à bénéficier de « prix politiques » sur certaines matières premières ? La Russie est-elle véritablement une force libératrice ? Comment expliquer que la France serve de bouc-émissaire idéal, lorsqu’il s’agit de dénoncer le néo-colonialisme de l’Occident ? En 2007, lors du Sommet franco-africain de Cannes, l’ancien président de la commission de l'Union africaine, le Malien Alpha Oumar Konaré, avait souhaité que « les 53 pays africains ne se retrouvent plus autour du président français ». Un tel schéma, selon Alpha Oumar Konaré, « ne devrait plus se reproduire qu’au niveau de l’Europe. ». C’est ce qui se passe aujourd’hui.
Quant à la France, elle n’est pas chassée d’une Afrique dont le destin serait de demeurer éternellement son « pré carré », elle est, - et c’est une bonne chose -, concurrencée par d’autres pays. Jacques Chirac avait déclaré que « le continent attirait de nouveaux partenaires venus du monde entier. » Il ajoutait : « Les regards changent. L’Afrique commence à être entourée, voire courtisée ». Quel est le premier partenaire commercial de l’Afrique ? La Chine, à travers les « nouvelles routes de la soie ».
Quel le pays qui vend le plus d’armes à l’Afrique ? La Russie. Moscou vend deux fois plus d’armes aux Etats africains que leurs trois autres gros fournisseurs : les Etats-Unis (14%), la Chine (13%) et la France (6,1%). La France n’a pas été chassée d’Afrique. Deux évidences : 1) le lien avec les anciennes colonies est en train de se desserrer, ce qui va dans le sens de l’Histoire 2) Dans tous les domaines, Paris s’avère incapable de tirer profit de la concurrence qui existe entre pays qui s’implantent en Afrique, notamment la Russie qui reprend pied sur le continent. Paris a bien compris que le tête-à-tête entre les présidents français et les dirigeants de ses anciennes colonies africaines est terminé. Les pays de l’ancien « pré carré » francophone se sont progressivement émancipés de la tutelle de Paris.
Petit tour d’horizon de la politique africaine de la France
Depuis François Mitterrand, tous les présidents français, qu’ils appartiennent à la gauche « bienpensante » (Mitterrand, Hollande) ou à la droite républicaine (Chirac, Sarkozy) ont exprimé leur volonté de mettre fin à la Françafrique. Cette décision hautement symbolique s’est-elle traduite dans les faits ? En partie, car la Françafrique a évolué avec la mondialisation et le vent de l’Histoire a constamment changé la donne en Afrique. Les nouvelles générations de l’Afrique francophone sont connectées à la terre entière ; internet et les réseaux sociaux leur offrent une large ouverture sur le monde ; elles n’ont plus comme seul horizon les relations entre la France et l’Afrique, ni comme seule destination, Paris, ou, comme seule langue de travail, le français. Ce qui perdure encore, c’est le sentiment que la France, par la place de ses entreprises dans l’économie africaine, le franc CFA et ses bases militaires, reste une puissance néocoloniale prédatrice, alors que la Chine et la Russie apparaissent comme des puissances libératrices.
● François Mitterrand – L’élection à la présidence de la République du socialiste François Mitterrand laisse supposer que l’ère de la « Françafrique » est désormais révolue. Les déclarations convenues se succèdent : « La France n’entend pas intervenir dans les affaires intérieures des Etats africains ». Mais, Mitterrand conditionne l’aide de la France aux Etats qui iront vers plus de démocratie, ce qui signifie que l’ingérence continue. Jean-Christophe Mitterrand va alors s’impliquer dans les anciens réseaux de la Françafrique. De 1986 à 1992, il succède à Guy Penne comme conseiller pour les Affaires africaines au cabinet présidentiel de son père. Le « Canard Enchaîné » l’affublera du surnom de « Papamadi » (« Papa m'a dit »), en raison de sa manière de gérer les relations de la France avec les dirigeants africains.
● Jacques Chirac – Elu président de la République, Jacques Chirac avait compris que le tête-à-tête entre Paris et ses anciennes colonies africaines était bel et bien terminé et que le continent attirait de nouveaux partenaires venus du monde entier. « Les regards changent. L’Afrique commence à être entourée, voire courtisée », avait-il déclaré devant ses pairs africains, promettant aux Africains le soutien sans faille de son pays pour que « l’insertion de l’Afrique dans les échanges internationaux se fasse dans le respect de l’équité ». En réalité, rien ne va véritablement changer. Chirac reste un homme du XXème siècle : les pieds ancrés dans les vieilles habitudes, même si son regard porte loin sur l’avenir de l’Afrique.
● Nicolas Sarkozy – Dès son élection, Nicolas Sarkozy nomme le socialiste Jean-Marie Bockel au poste de Secrétaire d’Etat à la Coopération et la Francophonie. Bockel, qui prétend signer l’acte de décès de la Françafrique et de ses « réseaux parallèles », est immédiatement exfiltré vers le portefeuille de la Défense et des Anciens combattants à la demande d’un dirigeant africain. Certains des dirigeants africains et Sarkozy lui-même ont trop besoin du dispositif français en Afrique. Christine Lagarde sera élue à la tête du FMI grâce au soutien des Etats africains. Sarkozy prononcera le 26 juillet 2007, à Dakar, un Discours qui déclenchera la polémique, lorsqu’il affirme : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire ». Le drame de la France de Sarkozy, c’est qu’elle n’a pas compris ce qui se passe en Afrique et qu’elle n’est pas suffisamment entrée dans l’Histoire contemporaine. Henri Guaino, qui a inspiré ce Discours, reste prisonnier d’une vision de l’Afrique dictée par Victor Hugo : « l'Afrique n'a pas d'histoire. (…) Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme ; au vingtième siècle, l'Europe fera de l'Afrique un monde. » (Discours sur l’Afrique, 1879). Hugo, esprit progressiste engagé dans tous les combats pour défendre les peuples opprimés, se drape dans les habits d’une prétendue mission civilisatrice de l’Europe pour justifier la colonisation et ignorer l’existence des peuples noirs, ainsi que le rôle historique des empires africains.
● François Hollande – Autre président de gauche, François Hollande déclare, le 12 octobre 2012, « le temps de ce qu’on appelait la “Françafrique” est révolu ». Déclaration convenue, alors que le socialiste Hollande reste, sur de nombreux sujets, dont l’Afrique, sur la trajectoire du flou. Le journaliste Olivier Faye écrit : « Mais les vieilles habitudes ont la dent dure : au cours de son quinquennat, le socialiste a rencontré plusieurs autocrates africains. » Peut-on reprocher à François Hollande d’avoir envoyé, à la demande des dirigeants de ces pays, des troupes en Centrafrique (opération « Sangaris » du 5 décembre 2013 au 31 octobre 2016) et au Mali (la France était militairement présente au Mali depuis 2013, à travers les opérations Serval, puis Barkhane) ? En revanche, il est sûr que, depuis Hollande, la France n’a pas vu l’impasse et le piège que représentait la présence, pendant une trop longue période, de l’armée française sur le sol d’un Etat souverain.
● Emmanuel Macron – A son tour, Emmanuel Macron a déclaré, le 2 mars 2023, « l’âge de la ‘Françafrique’ est bien révolu. » Faut-il accorder plus de crédit à ce que dit aujourd’hui Emmanuel Macron sur les relations entre la France et l’Afrique ? Une chose est certaine : Macron est le premier président qui pense sérieusement à réorienter la politique de la France en Afrique. Afin de sortir de l’héritage du passé colonial de la France, il regarde de plus en plus vers des pays non-francophones en se présentant comme un « interlocuteur neutre » du continent africain. Madame Chrysoula Zacharopoulou, Secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, n’a pas caché l’intérêt que Macron portait à tous les pays africains, les pays francophones certes, notamment la RDC qui n’est pas une ancienne colonie française, mais aussi les pays anglophones ou lusophones, comme en témoigne le dernier déplacement en Angola. La France souhaite intensifier ses relations avec des pays africains anglophones qui sont de véritables puissances économiques. La priorité diplomatique que Macron accorde à l’Afrique passe par d’autres chemins que ceux qui conduisent dans l’ancien pré-carré français francophone. S’il se rend au Gabon et au Cameroun, c’est parce que ces pays, qui sont des Etats souverains, développent parallèlement des relations politiques et économiques avec d'autres puissances comme la Chine, la Russie ou l'Allemagne. Lorsque Macron déclare « Je n’ai aucune nostalgie vis-à-vis de la “Françafrique”, mais je ne veux pas laisser un vide derrière », cela signifie que la France doit entrer dans l'ère du partenariat avec l’Afrique, un partenariat d'égal-égal. Emmanuel Macron peut-il écrire une page nouvelle des relations entre la France et l’Afrique ? Avant sa tournée en Afrique centrale, le président français avait effectué dix-sept déplacements et il avait été accueilli dans vingt-et-un pays, refusant que s'installe le récit d'une rupture entre l'Occident et le Grand Sud. Laisser certaines puissances étrangères documenter ce récit, qui sature les réseaux sociaux, notamment par de la désinformation, ce serait dramatique pour toute l’humanité. Voilà pourquoi il est important et urgent pour Macron d’en finir avec « la fin sans fin de la “Françafrique” ».
Décryptage de la rencontre entre Tshisekedi et Macron
Le président français a voulu achever son déplacement dans quatre pays d'Afrique centrale par la République Démocratique du Congo. La RDC est, pour la France, un partenaire essentiel dans le « nouveau partenariat » que le Président français entend construire avec l’Afrique pour deux raisons : la RDC est le plus grand pays francophone du monde et elle n’a jamais une colonie française. Devant la presse, dans l’amphithéâtre chargé d’Histoire du Palais de la Nation, les deux présidents se sont parlé avec franchise sur tous les sujets la « Françafrique », les nouvelles relations que la France souhaite établir avec le continent et, sujet particulièrement sensible, le Rwanda.
Les vérités de Félix Tshisekedi
● Sur la « Françafrique » : « "Je l'ai encouragé à ce sujet parce que j'estime que la Françafrique est dépassée ».
● Sur le nouveau partenariat avec l’Afrique : "Si la France veut être aujourd'hui en compétition avec tous les autres partenaires de l'Afrique, elle doit se mettre au diapason de la politique africaine et de la manière dont les peuples africains regardent désormais les partenaires de coopération".
● Sur l’attitude de la France : « Regardez nous autrement, sans regard paternaliste: »
● Sur les élections en RDC : Félix Tshisekedi a dénoncé les paroles de l’ancien ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, qui avait, en janvier 2019, qualifié l'élection de Félix Tshisekedi de « compromis à l'africaine ». Tshisekedi n’a pas manqué d’attaquer une France éternelle donneuse de leçon.
● Sur le Rwanda : la RDC accuse le Rwanda de soutenir la rébellion du M23, qui s'est emparée depuis 2022 de pans entiers du territoire de la province du Nord-Kivu, région riche en minerais. Emmanuel Macron, qui cherche à se situer sur une ligne d’équilibre entre la RDC et le Rwanda, a appelé chacun à « prendre ses responsabilités, y compris le Rwanda ». Quant à Tshisekedi, il attend de la part de Macron des engagements fermes sur les « sanctions à prendre contre le Rwanda ».
Les vérités d’Emmanuel Macron
● De son côté Emmanuel Macron a tenu à dire : « Depuis 1994, et ce n’est pas la faute de la France, pardon de le dire dans des termes aussi crus, vous n'avez pas été capables de restaurer la souveraineté, ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative, de votre pays. C'est aussi une réalité. Il ne faut pas chercher des coupables à l'extérieur de cette affaire. »
● Il a aussi martelé son message : la France veut développer une nouvelle relation avec l'Afrique, une relation faite d'« humilité » et de partenariats « responsables et équilibrés ».
● Il a répété qu’il souhaite être perçu comme un « interlocuteur neutre » sur le continent.
Ces vérités appartiennent à la sphère politique. Chacun parle en réalité à ses propres électeurs. Mais, il existe, chez les deux présidents, la volonté de renforcer la coopération bilatérale dans le domaine économique et en matière sécuritaire. Il a été question aussi des propositions de la France concernant le financement des économies africaines, un sujet porté par Félix Tshisekedi, lorsqu’il présidait l’Union Africaine (UA). Lors de la visite de Macron à Kinshasa, plusieurs accords ont été conclus : la réalisation d’une cartographie et la gestion durable des ressources minières du sous-sol congolais, l'installation de la fibre optique dans des zones reculées de l'Est de la RDC, l'électrification d'une ville du centre du pays et l'ouverture d'une « Ecole 42 » (3), école française de référence pour la formation de développeurs. La formation sera gratuite pour les étudiants sélectionnés. Il est important que la RDC ne prenne pas de retard dans la transformation digitale de son économie et de ses modes de vie (information, transports, loisirs, etc.). Elle a besoin pour cela d’un capital humain formé aux métiers du digital et de start-up performantes.
Après son indépendance le 30 juin1960 la RDC va connaître plusieurs années d'instabilité politique. Les élections de 2018, avec l’élection de Félix Tshisekedi, ont porté la promesse d’une plus grande stabilité politique et un développement économique plus inclusif. Signe de ce renouveau, la RD a accédé en 2021 à la présidence tournante de l'Union africaine. Beaucoup de chemin reste à parcourir, mais rien ne pourra se faire en Afrique centrale sans la RDC, un grand pays qui doit prendre sa place dans les dynamiques nouvelles des relations internationales. Aujourd’hui, la RDC souffre d’un déficit de perception dans les médias internationaux. La RDC a le potentiel pour devenir la première puissance économique et agricole du continent. C’est ce à quoi doit s’employer Félix Tshisekedi qui, parce qu’il tire sa légitimité des urnes, doit agir pour remettre en ordre ne nombreux secteurs, aller vers une croissance plus inclusive, assurer la sécurité des populations sur tout le territoire et répondre aux urgences nouvelles de protection de l’environnement.
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(1) Olivier Faye, Le Monde Magazine.
(2) « Ecole 42 » : les « Ecoles 42 » sont de établissements supérieurs d’autoformation, dont l'objectif est de former des développeurs. Créées créés et financés par Xavier Niel et d’autres partenaires, ces « écoles » ont un fonctionnement pédagogiques particuliers, l’autoformation et le mode projet.