Engagé contre les fléaux du numérique , RDC : Christian Bosembe appelle à la responsabilité collective face à la désinformation

C'est dans l'enceinte feutrée du Fleuve Congo Hôtel, en marge de la célébration de la Journée Internationale de la Liberté de la Presse, que Christian Bosembe, Président du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel et de la Communication (CSAC), a livré ce lundi un discours d'une rare intensité. Face à un parterre de professionnels des médias, d'officiels et de membres de la Société civile, Christian Bosembe a dressé un constat lucide des défis qui assaillent le monde de l'information, particulièrement dans un contexte national marqué par des tensions sécuritaires, avec la guerre d’agression rwandaise qui sévit dans l’est. Son intervention, loin d'être une simple allocution de circonstance, s'est muée en un véritable plaidoyer pour une prise de conscience collective face à la manipulation de l'information, exacerbée par l'avènement de l'intelligence artificielle.
Christian Bosembe a d’emblée souligné la mutation profonde du paysage informationnel.
‘’Nous vivons une époque où l'information devient aussi stratégique, mais aussi très stratégique que les armes. Ce qui a radicalement changé ces dernières années, c'est la manière dont elle se diffuse et se manipule. L'essor de l'intelligence artificielle transforme la façon dont l'information est produite, consommée et partagée. Chaque citoyen est désormais un producteur potentiel de contenus. Cela ouvre des opportunités, mais soulève aussi les grands défis’’.
L'IA nouvelle arme de guerre numérique
Le Président du CSAC n'a pas mâché ses mots pour décrire la menace que représente l'IA lorsqu'elle est détournée à des fins de déstabilisation, surtout en période de conflit.
‘’En temps de guerre, ce défi prend une autre forme. Aujourd'hui, la propagande numérique amplifiée par l'IA devient une arme. Réguler l'information n'est pas seulement une affaire technique, c'est une responsabilité collective puisqu'il s'agit de protéger la vérité et donc protéger la démocratie. L'intelligence artificielle est une arme de guerre numérique. L'histoire nous enseigne que dans des moments de crise, l'information devient aussi cruciale que les armes, a déclaré Christian Bosembe.
Il a ensuite détaillé avec une précision chirurgicale les mécanismes de cette nouvelle forme de guerre :
‘’Pendant les guerres, les puissances ont toujours cherché à manipuler les masses à travers les récits. Mais aujourd'hui, la guerre de l'information n'est plus menée avec des tracts ou des affiches. Aujourd'hui, elle est menée sur les réseaux sociaux par des vidéos, des textes générés par des intelligences artificielles. En quelques secondes, l'IA peut produire des contenus totalement fabriqués, des discours politiques qu'un leader n'a jamais prononcés, des réunions et des accords qui n'ont jamais existé, des audios pourtant truqués mais qui défient la réalité sans commune mesure, de scènes de violence montées de toutes pièces, des images et des vidéos manipulées pour s'aimer le doute et la confusion. Des outils comme le deepfake, le bot, diffusent des récits falsifiés à une vitesse inédite. Ces contenus n'ont pas besoin de validation journalistique. Ils frappent les esprits et modèlent l'opinion, tout simplement’’.
Face à cette "illusion de la vérité", il a rappelé le rôle primordial, et plus que jamais complexe, du journaliste : ‘’Le rôle du journaliste devient donc crucial. Il ne s'agit pas seulement de rapporter des faits mais de lutter contre l'illusion de la vérité’’.
Abordant la question épineuse de l'équilibre entre liberté d'expression et responsabilité, le président du CSAC a interpellé directement la conscience de certains acteurs médiatiques, dans un langage direct et sans concession, particulièrement concernant la situation sécuritaire dans l'Est du pays.
‘’La liberté d'expression, comme nous le savons tous, est un principe sacré. C'est l'une des pierres angulaires de la démocratie. Mais en période de guerre, cette liberté peut-elle justifier la propagation des récits falsifiés ou des contenus haineux ? Par quels prodiges malsains certains Congolais, j'ai dit bien certains Congolais, parviennent-ils à justifier, rationaliser, pire encore, à comprendre les atrocités que commettent les terroristes dans l'Est du pays ? Quelle étrange perversion de l'esprit faut-il pour prétendre aimer sa patrie tout en caressant les desseins de ce bourreau ?’’, s’est-il intérrogé.
Ses interrogations se sont faites plus précises, visant des pratiques journalistiques jugées dangereuses.
‘’Lorsqu'un journaliste publie une information sans vérifier la source, quand il relaye une vidéo qui semble authentique mais qui en réalité est manipulée, n'est-il pas responsable de contribuer à une réalité faussée ? Est-ce cela la liberté d'expression ? Quand toute une rédaction s'arroge le droit de diffuser, de commenter, parfois même de savourer une vidéo où nos forces soldats, nos vaillants héros, les FARDC apparaissent en difficulté, est-ce encore de l'information ou c'est déjà de la trahison ? C'est une question, pas une affirmation’’, a lancé le responsable de l’organe régulateur de la presse congolaise
Un bilan présidentiel salué en matière de liberté de la presse
Au cœur de son allocution, et avant d'aborder les défis institutionnels du CSAC, Christian Bosembe a tenu à souligner ce qu'il considère comme des avancées significatives pour la liberté de la presse sous le mandat du Président Félix Tshisekedi. Cette reconnaissance publique, venant du premier responsable de l'organe de régulation des médias, a particulièrement retenu l'attention.
‘’Excellences, Monsieur le Président, vous n'êtes pas seul dans cette lutte de la salubrité médiatique. Monsieur le Président, vous avez beaucoup fait pour la liberté d'expression dans ce pays. Sous votre mandat, aucun journaliste n'a été tué. Aucun journaliste n'a été arrêté ou torturé à cause de ses opinions. Aucune rédaction n'a été saccagée. Aucune chaîne n'a été fermée sous les ordres des services comme ce fut dans le temps, comme ce fut dans le passé. Nous vous remercions sincèrement et nous vous encourageons de continuer notre travail’’, a affirmé, sans ambages, Christian Bosembe.
Ces propos tranchent avec une certaine narration et offrent une perspective que le Président du CSAC a jugé crucial de mettre en exergue, dressant un bilan qu'il estime positif en comparaison avec des "temps passés". Cette affirmation forte vise à reconnaître les efforts qu'il attribue à l'administration actuelle pour garantir un environnement plus sûr et plus libre pour les professionnels des médias.
En quête des moyens pour affronter les défis numériques
Se défendant d'être un censeur, Christian Bosembe a insisté sur la nécessité d'un cadre régulé.
‘’Excellence, Monsieur le Président de la République, je ne suis ni censeur ni tyran, je ne suis pas un dictateur, je ne brandis pas le baillon, je ne tiens pas le fouet. Mais une chose est sûre, un pays sans ordre et sans discipline est un navire sans boussole. La liberté, elle est belle, elle est bonne, si belle soit-elle, mais elle n'est pas une licence à tout faire. Elle exige la responsabilité’’.
Il a ensuite plaidé pour un renforcement urgent du CSAC afin qu'il puisse étendre sa mission à l'univers numérique.
‘’Le Conseil supérieur de l'audiovisuel et de la communication joue un rôle central dans la régulation des médias traditionnels, mais à l'ère du numérique, il est impératif qu'il comble le retard accumulé depuis près de deux décennies en rattrapant ce retard sur la régulation du digital... Le CSAC ne peut pas se limiter à contrôler seulement les médias classiques. Il doit étendre son champ d'action sur les plateformes numériques où circule désormais la majorité de contenu informationnel’’, a-t-il lancé.
Cependant, cette ambition se heurte à une réalité amère :
‘’Mais pourtant, sur terrain, les agents du CSAC travaillent dans des conditions précaires. En dépit de leur engagement, l'institution pourtant essentielle à la démocratie demeure l'une des moins soutenues par l'État, presque oubliée, mais toujours plus sollicitée... Alors que depuis la signature du nouveau barème salarial de depuis juillet 2023, 60% des agents cumulent 21 mois d'arriérés, tandis que 40% restants perçoivent des rémunérations précaires. Faute d'application effective du barème. Une situation qui fragilise sérieusement la motivation du personnel... Il est donc urgent que le pouvoir public prenne des mesures concrètes pour doter le CSAC de + nécessaires à l'exercice de ses missions’’, a déploré Christian Bosembe.
Nathan Mundele
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