Entre Félix Tshisekedi et William Ruto, deux ans de crise et de soupçons
C’est depuis le Kenya que l’ex-président congolais Joseph Kabila a lancé la plateforme politique « Sauvons la RDC ». Il n’en fallait pas plus pour que Kinshasa accuse de nouveau Nairobi de servir de base arrière à ses ennemis. Un nouvel exemple de la profonde dégradation des relations entre Félix Tshisekedi et William Ruto.
«Nairobi commence un peu à devenir la capitale du complot contre la RDC. » C’est en ces termes que le ministre congolais de la Communication, Patrick Muyaya, a réagi au lancement, depuis le Kenya, du mouvement « Sauvons la RDC ». Cette nouvelle plateforme d’opposition a été inaugurée le 15 octobre, au terme de deux jours de conclave entre des représentants de l’opposition et de la société civile congolaises, réunis à l’initiative de l’ex-président, Joseph Kabila.
Condamné à mort pour « trahison » le 30 septembre dernier, l’ancien chef de l’État a pris les commandes de ce mouvement qui s’est donné pour mission de « mener des actions en vue de mettre fin à la tyrannie » en RDC. Agacées, les autorités congolaises ont aussitôt condamné une « réunion entre un mélange de fugitifs et de condamnés ». Une « messe noire », selon les mots du ministre congolais de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, dont les propos illustrent une nouvelle fois la détérioration des relations entre Félix Tshisekedi et William Ruto.
Le tournant de 2023
La méfiance entre les deux hommes ne date pas d’hier. Pour la comprendre, il faut remonter à l’année 2023. Élu depuis quelques mois à la tête du Kenya, William Ruto a succédé à Uhuru Kenyatta, dont il a été à la fois le vice-président et l’adversaire. Kenyatta entretenait de bonnes relations avec Félix Tshisekedi. Les deux chefs d’État avaient noué d’étroits liens diplomatiques et économiques depuis 2019.
Quand William Ruto arrive au pouvoir, il hérite d’un dossier brûlant : celui du conflit dans l’est de la RDC, où les rebelles du M23 viennent de conquérir leurs premiers bastions, avec le soutien du Rwanda. L’armée kényane constitue, à l’époque, la colonne vertébrale de la force régionale déployée par la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) à Goma. Mais Félix Tshisekedi l’accuse d’être passive, voire complice des rebelles et s’en prend directement au commandement kényan de l’organisation. En décembre 2023, il finit par pousser les troupes de l’EAC vers la sortie.
Quelques jours plus tard, c’est d’un hôtel du cœur de Nairobi que vient le coup de théâtre. Le 15 décembre, l’ex-patron de la commission électorale congolaise, Corneille Nangaa, et le président du M23, Bertrand Bisimwa, annoncent ensemble la création de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), nouvelle vitrine de la rébellion.
« Le M23 ? En quoi est-ce le problème du Rwanda ? »
Stupéfaite, la RDC rappelle son ambassadeur et exige des sanctions de la part des autorités kényanes. « [Kinshasa] voulait savoir si nous pouvions arrêter ces personnes. Je leur ai répondu : le Kenya est une démocratie, nous ne pouvons pas arrêter chaque personne qui fait une déclaration », balaie William Ruto.
En coulisses, l’entourage du président kényan évoque alors une réaction « excessive » des autorités congolaises et tente de relativiser. « Nous travaillons en étroite collaboration pour combler les lacunes qui ont pu exister à la suite du retrait des troupes kényanes de l’est de la RDC », nous confiera quelques mois plus tard un diplomate kényan. Mais le lancement de l’AFC à Nairobi constitue un point de rupture entre les deux présidents.
Félix Tshisekedi est désormais convaincu que son homologue a pris fait et cause pour le Rwanda. Ses proches en veulent pour preuve les déclarations de William Ruto dans une interview accordée à Jeune Afrique, en mai 2024. « Nous avons demandé lors d’une réunion si les membres du M23 étaient rwandais ou congolais, y déclare le président kényan. La RDC a répondu qu’ils étaient congolais. Fin du débat. S’ils sont congolais, en quoi est-ce le problème du Rwanda ? » Quelques mois plus tard, Félix Tshisekedi lui reprochera sa gestion « partiale » du processus de paix de Nairobi.
Une consule nommée à Goma
La chute de Goma, en janvier 2025, n’aide pas à calmer les tensions. Deux jours après l’entrée des troupes du M23 dans la capitale provinciale du Nord-Kivu, William Ruto convoque un sommet virtuel de l’EAC mais Félix Tshisekedi boude l’événement. Depuis, l’AFC/M23 a étendu sa présence au Sud-Kivu et développé, sur place, un maillage politique et administratif. C’est dans ce contexte que les autorités kényanes ont nommé une nouvelle consule générale à Goma, le 15 août. L’annonce a suscité l’ire de Kinshasa, qui a dénoncé une décision inappropriée. En guise d’apaisement, l’administration Ruto a répondu que, de toute façon, cette nomination devrait être validée par le gouvernement congolais.
Malgré tout, la méfiance demeure entre Félix Tshisekedi et William Ruto. Le contexte diplomatique n’impacte pour l’instant pas les intérêts commerciaux kényans en RDC – le Congo est notamment l’une des priorités de la banque kényane Equity Bank. Mais Kinshasa n’a toujours pas désigné d’ambassadeur à Nairobi et les tensions se cristallisent aujourd’hui autour du cas Joseph Kabila.
L’ex-président a multiplié ces derniers mois les séjours dans la capitale kényane, où il dispose d’une résidence. Plusieurs sources confirment qu’il y a fait étape avant de se rendre à Goma, en mai dernier. Deux de ses collaborateurs affirment en outre qu’il a rencontré le président William Ruto, le 14 octobre, en marge de son conclave. Sollicité pour confirmer la tenue de cette réunion, le porte-parole de la présidence kényane n’a pas répondu.
Jeune-Afrique



Comments est propulsé par CComment