RDC-Rwanda : entre Tshisekedi et Kagame, un accord qui consacre le désaccord?

RDC-Rwanda : entre Tshisekedi et Kagame, un accord qui consacre le désaccord?

 

Si le président américain Donald Trump s’est montré pour le moins dithyrambique à propos de l’accord signé jeudi à la Maison-Blanche, les crispations restent plus que vives sous le vernis diplomatique. Et sur le terrain, les combats continuent.

À Washington, ce jeudi 4 décembre, les projecteurs de la Maison-Blanche se sont braqués sur un rituel diplomatique censé marquer la fin d’un conflit vieux de trois décennies dans l’est de la RDC. Sous les auspices du président américain Donald Trump, les chefs d’État congolais, Félix Tshisekedi, et rwandais, Paul Kagame, ont entériné les « accords de Washington », un pacte de paix visant à stabiliser la région des Grands Lacs et à ouvrir la voie à des investissements occidentaux dans les richesses minières congolaises.

Pourtant, derrière les sourires protocolaires et les discours policés, une méfiance palpable a dominé la scène, transformant ce qui devait être un triomphe en une illustration criante des clivages persistants entre Kinshasa et Kigali. L’absence de poignée de main entre les deux hommes, filmés sous tous les angles, n’était pas un oubli : elle symbolisait un désaccord que l’encre des signatures peine à effacer.

Le contexte de ces accords remonte à juin 2025, lorsque les ministres des Affaires étrangères des deux pays, sous médiation américaine et qatarie, avaient posé les bases d’un cadre pour un cessez-le-feu permanent, l’accès humanitaire et la restauration de l’autorité de l’État dans les zones rebelles. Ce processus, accéléré par les États-Unis depuis avril, s’inscrivait dans une série d’initiatives régionales – comme le processus de Luanda ou les pourparlers de Nairobi – qui avaient toutes échoué sous le poids d’accusations mutuelles : la RDC reproche au Rwanda de soutenir les rebelles de l’AFC/M23, tandis que Kigali dénonce l’hébergement par Kinshasa de groupes armés comme les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), héritiers des génocidaires hutus.

Minerais stratégiques et défiance réciproque

Malgré des avancées en juillet à Doha, où la RDC et le M23 avaient signé une « déclaration de principes » pour un cessez-le-feu, les combats ont repris de plus belle dans l’est du pays, avec les avancées rapides des rebelles dans le Sud-Kivu. Trump, en quête de victoires diplomatiques pour asseoir son image de « faiseur de paix mondial » – après des succès relatifs au Moyen-Orient – a imposé ce sommet comme un « dernier recours », invitant d’autres leaders africains comme João Lourenço (Angola), William Ruto (Kenya) et Évariste Ndayishimiye (Burundi) pour en amplifier la portée. Le lieu de la cérémonie est lui-même tout un symbole : l’US Institute of Peace, initiative du Congrès américain que Trump avait illégalement tenté d’abolir en début de mandat avant d’y apposer son nom cette semaine.

L’enjeu économique est clair : en échange de la paix, Washington promet un partenariat pour l’exploitation des minerais rares de la RDC, avec des entreprises américaines en première ligne. Mais le gestuel a tout trahi. Lors de la cérémonie, Tshisekedi et Kagame, assis pourtant côte à côte, ont évité tout contact visuel prolongé ou salut formel devant les caméras. Tshisekedi est arrivé avec une posture tendue – épaules hautes, regard fixe –, Kagame se faisant plus stoïque.

Cette absence d’échange, commenté en direct sur les réseaux sociaux et par des diplomates présents, a révélé une réticence profonde à toute concession. Les deux leaders, qui campent chacun sur leurs revendications – sécurité frontalière pour Kigali, souveraineté territoriale pour Kinshasa – semblent refuser les obligations qui accompagneraient un vrai compromis.

Le langage corporel ne ment pas », observe un analyste de l’Union africaine présent sous couvert d’anonymat. « C’est un accord signé des mains, mais pas des cœurs. » Les déclarations tenues après la signature n’ont fait qu’amplifier cette fracture. Félix Tshisekedi, dans un discours prudent, a qualifié l’événement de « tournant », tout en lançant un appel direct à son homologue rwandais : « Nous espérons que la République du Rwanda respectera, elle aussi, la lettre et l’esprit des engagements pris ici à Washington. ».

Paul Kagame, de son côté, a adopté un ton tout aussi circonspect, insistant sur la responsabilité partagée : « Si cet accord échoue, la faute ne reviendra pas à Trump, mais à nous. » Une mise en garde faisant écho aux avertissements antérieurs du président rwandais, comme celui du 29 novembre, quand il soulignait que « la paix durable exige un engagement sincère des parties directement concernées ».

Sourires de façade, crispations en coulisses

En coulisses, les lieutenants des deux chefs d’État n’hésitent pas à partager les détresses de leurs pays respectifs. « Ça prouve que le Rwanda ne veut pas la paix, » lâche le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, interrogé sur l’avancée du M23 dans le Sud-Kivu. « Mais le président [Tshisekedi] est déterminé à signer cet accord et à jouer notre rôle. »

De son côté, le ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Olivier Nduhungirehe, s’indigne de l’invitation faite au chef d’État burundais, dont les troupes combattent en RDC à l’invitation de Kinshasa. « C’est toute une coalition contre le Rwanda : il y a les FDLR, les Wazalendo, les mercenaires colombiens de Blackwater et d’Erik Prince, et les forces burundaises », a dit à Jeune Afrique Olivier Nduhungirehe. « Nous exigeons le départ de ces troupes, car le Burundi est un saboteur du processus de paix. »

Trump, euphorique, a pour sa part qualifié le pacte de « grand miracle », vantant son rôle de médiateur impartial. « On va le voir très vite, et je pense que vous allez voir les choses évoluer rapidement. C’est quelque chose que beaucoup jugeaient impossible, mais non seulement c’est possible, et je pense que ce sera un véritable miracle », a-t-il déclaré, estimant que les accords signés entre Kigali et Kinshasa pourraient produire des « résultats immédiats ».

Pour entériner l’accord, Washington offre aux deux parties de multiples incitations. En présence du secrétaire d’État Marco Rubio et du conseiller spécial pour l’Afrique Massad Boulos, le ministre Olivier Nduhungirehe et son homologue congolaise Thérèse Kayikwamba Wagner ont signé plusieurs accords bilatéraux avec les États-Unis ainsi que le REIF, ce cadre d’intégration régionale économique de 24 pages négocié entre la RDC et le Rwanda sous médiation américaine ces huit derniers mois.

« L’administration Trump est incroyablement optimiste de voir le REIF fournir le moteur économique pour une paix durable dans la région, » a déclaré le sous-secrétaire d’État pour la croissance économique, l’énergie et l’environnement Jacob Helberg lors de l’évènement de clôture de cette journée.

Un coup d’éclat sans lendemain ?

Ces accords de Washington consacrent-ils un désaccord masqué sous vernis diplomatique ? Sur le papier, ils prévoient une coopération sur l’électricité, les infrastructures et la lutte contre les trafiquants d’armes et de minerais. Mais sans geste concret de réconciliation – comme une démobilisation vérifiable du M23 ou la neutralisation des FDLR – l’histoire risque de se répéter.

Pour Trump, c’est un coup d’éclat qui renforce son bilan international ; pour Tshisekedi et Kagame, une pause forcée dans une rancœur ancrée. Dans l’est du Congo, où les tirs résonnent encore, la paix ne se mesure pas en signatures, mais en actes.

«Maintenant l’accord doit être mis en œuvre » a conclu Marc Rubio lors d’un point presse improvisé. «On peut signer des papiers, on peut signer des documents, mais en fin de compte chacun doit s’y conformer. Comme dans tout conflit, il y aura des hauts et des bas, des débuts et des arrêts, et des jours ou le progrès est moins rapide que l’on ne le voudrait.» «Mais nous avons maintenant un engagement au plus haut niveau des deux gouvernements et de leurs chefs d’État sur des dossiers très spécifiques. Maintenant, c’est à nous de nous assurer que ces engagements soient respectés, et nous serons engagés à chaque étape.»

Jeune Afrique

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