Loi Tshiani : l’IRDH appelle à l’irrecevabilité !

Mémorandum
Analyse technique de l’irrecevabilité et l’inconstitutionnalité de « la proposition de loi de l’Honorable Nsingi PULULU modifiant et complétant la Loi No 04/024 du 12 Novembre 2004 relative à nationalité congolaise ».
I. INTRODUCTION
Au cours de sa séance plénière du 21 mars 2023, l’Assemblée Nationale a adopté et inséré, au calendrier des travaux de la session Ordinaire de mars 2023, « la proposition de loi modifiant et complétant la Loi Numéro 04/024 du 12 Novembre 2004 relative à la nationalité congolaise ». Celle-ci est transmise à la Commission Politique Administrative et Juridique (PAJ), afin de programmer un débat général, en séance plénière. L’Honorable Pululu propose la modification des articles 1,4, 12, 19, 24, 26, 29, 30, 31, 35, 36, 39, 41, 42, 51,52 et 53 de la loi n°04/029 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise.
Sur ces 17 modifications proposées, la plus grande attention est attirée par le préambule et les articles 1, 4, 24 et 26 qui sont contradictoires, confus et inconstitutionnels.
En droit, pour être recevable et votée par l’Assemblée Nationale et le Senat, une proposition de loi doit être exempte de toute confusion et conforme à la Constitution en vigueur dans le pays. Elle doit s’inscrire dans l’ordre juridique, et éviter des conflits avec des textes légaux préexistants. Tel n’est pas le cas avec la proposition des modifications examinées ci-dessous. La présente analyse technique permet à l’Institut de recherche en droits humains (IRDH) de soumettre aux deux chambres des préoccupations citoyennes.
Elle participe à la préservation de la cohérence et la clarté de l’arsenal juridique congolais. Pour sa bonne lisibilité, outre l’introduction et la conclusion, le memo se subdivise en deux sections portant sur : (i) L’irrecevabilité et (ii) l’inconstitutionnalité de la proposition de loi.
II. DE L’IRRECEVABILITE
1. Des contradictions du préambule, des articles 1 et 24 de la proposition de loi. - Loyauté et fidélité à la nation congolaise. L’esprit de la proposition de la loi tel qu’énoncé dans son préambule, est fondé sur la « loyauté » et la « fidélité à la nation congolaise ». En fait, la proposition de loi veut verrouiller l’exercice des hautes fonctions publiques, afin qu’elles ne soient réservées qu’aux seuls congolais nés de père et mère. Ceci ressort à la proposition de modification de l’article 24, en ces termes : « Pour des raisons de loyauté et de fidélité à la nation congolaise, l’exercice de la fonction du Président de la République, du Président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat, n’est réservée qu’aux seuls congolais nés de père et mère ». L’alinéa deuxième de l’article 24 étend la réserve de l’exercice aux fonctions de Premier Ministre, Président de la Cour constitutionnelle, Procureur Général près la Cour constitutionnelle, Premier Président de la Cour de Cassation, Procureur Général près la Cour de Cassation, Premier Président du Conseil d’Etat, Procureur Général près le Conseil d’Etat, Administrateur Général de 1’Agence Nationale des Renseignements, Directeur Général de la Direction Générale de Migration, ainsi qu’à tous les Généraux des Forces Armées et de la Police Nationale congolaise. - Irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine. Contrairement à l’article 24 ci-dessus, Le principe d’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine accorde la prérogative de partager ses « loyauté » et « fidélité nationale », par l’acquisition d’une deuxième ou plusieurs autres nationalités.
Il se retrouve dans le préambule et l’article premier de la proposition: - « L’insertion du principe d’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine, parce que nous sommes nés congolais, nous vivons congolais, nous mourons congolais et nous serons enterrés congolais ». (Préambule)
En des termes simples, le principe d’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine accorde la possibilité de la garder à vie, au congolais qui aurait acquis une ou plusieurs nationalités étrangères. Celui-ci ne la perdrait que s’il en fait une déclaration expresse. Ce qui revient à dire qu’il garderait la double nationalité, s’il choisit de ne pas en faire la déclaration expresse proposée par les article 1 et 26. 4 - « […] Tout congolais résidant habituellement à l’étranger qui acquiert une nationalité étrangère ne perd la nationalité congolaise que s’il le déclare expressément ». (Art.1, deuxième alinéa) « Toute personne de nationalité congolaise qui acquiert la nationalité étrangère perd la nationalité congolaise si elle le déclare expressément conformément aux prescrits de l’article 1 de la présente loi ». (Art. 26) - Nationalité congolaise d’origine dès la naissance de l’enfant.
L’Honorable Pululu ne soumet pas à la modification l’article 7 de la loi N°04/024 du 12 novembre 2004 relative à nationalité congolaise qui stipule que : « Est Congolais dès la naissance, l'enfant dont l'un des parents- le père ou la mère- est Congolais ». Contrairement à la proposition de l’article 24, l’article 7 non-modifié garantit les mêmes droits à la catégorie des congolais d’origine dont l’un des parents est étranger, au même titre que ceux nés des père et mère congolais.
L’esprit du législateur garantissant tous les droits politiques, sans réserve, à l’enfant dont un seul des deux parents est congolais, tire son origine juridique de la sociologie et de l’histoire commune des groupes ethniques libérés collectivement du joug colonial, en juin 1960. Cet esprit a été codifié dans la Constitution de la République Démocratique du Congo du premier août 1964, publiée au moniteur congolais numéro spécial du premier aout 1964 qui stipulait, à son sixième article que : « Il existe une seule nationalité congolaise.
Elle est attribuée, à la date du 30 juin 1960, à toute personne dont un des ascendants est ou a été membre d’une tribu ou d’une partie de tribu, établie sur le territoire du Congo avant le 18 octobre 1908 ». De ce fait, le législateur du Code de la Famille, à son article 593, deuxième alinéa, conclut que : « Toute discrimination entre congolais, basée sur les circonstances dans lesquelles leur filiation a été établie, est interdite ».
En somme, l’IRDH trouve contradictoires, les deux principes que la proposition de loi voudrait obtenir dans le même texte. L’un exigeant loyauté et fidélité de tous, à la nation congolaise. Il requiert respect de l'engagement pris individuellement d’être exclusivement attaché à la nation congolaise. Contrairement au deuxième principe 5 qui prône le droit de garder irrévocablement sa nationalité congolaise, avec possibilité d’acquérir une ou plusieurs nationalités étrangères.
Ce deuxième scenario annihile l’exigence de loyauté à la nation congolaise, car l’on ne peut demeurer loyal et fidèle à celle-ci, en aimant deux ou plusieurs autres pays étrangers. De même, il est contradictoire d’apporter une modification via l’article 24, en réservant certains droits aux congolais d’origine nés des père et mère. Tout en maintenant le contenu de l’article 7 qui reconnaît la nationalité d’origine aux congolais dont l’un des parents est étranger, avec son implication sur la non-discrimination que l’on retrouve à l’article 593 du Code de la Famille.
III. DE L’INCONSTITUTIONNALITE
2. L’article premier de la proposition de loi est contraire au premier alinéa de l’article 10 de la Constitution. La proposition de la loi de l’Honorable Pululu supprime le caractère exclusif de la nationalité congolaise. A l’alinéa premier, son article 1 dispose : « La nationalité congolaise est une. […] ».
Cette proposition de modification est contraire à l’alinéa premier de l’article 10 de la Constitution en vigueur qui souligne le caractère exclusif de la nationalité congolaise, de manière stricte et sans équivoque : « La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre ».
En des termes simples, la proposition de l’Honorable Pululu veut deux choses contraires à la Constitution : (i) Que la nationalité congolaise ne soit plus exclusive. Et (ii) que le congolais résidant à l’étranger ait la prérogative d’acquérir, concurremment, une ou plusieurs nationalités étrangères. 3. Les articles 4 et 24 de la proposition de loi sont contraires aux articles 10, 12, 13 et 153 de la Constitution. L’article 4 de la proposition de loi de l’Honorable Pululu annule le principe d’égalité entre tous les congolais d’origine, contrairement aux coutumes des groupes 6 ethniques qui organisent la filiation à la naissance de l’enfant, par la déclaration de l’un des parents. Elle dispose que : « Tous les groupes ethniques et nationalités dont les personnes et les territoires constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance, bénéficient de l’égalité des droits et de la protection au terme de la présente loi, sous réserve de ce qui est dit sur l’exercice de certaines hautes fonctions ». Les conditions d’exercice des « hautes fonctions » sont données par l’article 24 de ladite proposition de l’Honorable Pululu réserve l’exercice de certaines fonctions aux « seuls congolais nés de père et mère ».
La conditionnalité à la jouissance et l’exercice des hautes fonctions, opposée à une catégorie de congolais, est contraire au troisième alinéa de l’article 10 de la Constitution qui garantit les mêmes droits à tous les congolais, sans réserve : « Est Congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance ».
Cette conditionnalité est aussi contraire à l’article 12 de la Constitution qui stipule que « tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois ».
II. De même qu’elle énerve l’article 13 de la
Constitution qui explicite qu’en matière d’accès aux fonctions publiques, aucun Congolais ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, notamment, en raison de son origine familiale. L’égalité en droit des groupes ethniques dont parle l’article 10 de la Constitution et l’article 4 de la proposition de l’Honorable Pululu, réfère aux coutumes de ces groupes qui organisent la filiation, selon le système matriarcal, pour les uns, et le système patriarcal, pour les autres. En ignorant l’exposé des motifs et les débats ayant conduit à l’adoption de la loi que l’on voudrait modifier, la proposition de l’Honorable Pululu viole l’avant dernier paragraphe de l’article 153 de la Constitution qui recommande l’application des coutumes, pour autant qu’elles ne soient contraires à la loi et l’ordre public.
Ci-après, l’exposé des motifs de la loi sur la nationalité en vigueur dans le pays : « La nationalité congolaise d'origine est reconnue dès la naissance à l'enfant en considération de deux éléments de rattachement de l'individu à la République Démocratique du Congo, à savoir sa filiation à l'égard d'un ou de deux parents congolais (jus sanguinis), son appartenance aux groupes ethniques et nationalités dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo 7 (présentement la République Démocratique du Congo) à l'indépendance (jus sanguinis et jus soli) ou sa naissance en République Démocratique du Congo (jus soli). […] ».
4. La modification proposée à l’article 24 tord le sens de la loi n°04/029 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise. L’article 24 de la proposition de modification de la loi sur la nationalité confond le congolais d’origine dès la naissance aux personnes étrangères ayant acquis la nationalité congolaise. La proposition de l’Honorable Pululu est une mauvaise interprétation de l’article 24 de la loi sur la nationalité en vigueur qui, en se conformant à l’article 11 de la Constitution, exclut de l’exercice des fonctions publiques (de souveraineté) des personnes étrangères ayant acquis la nationalité congolaise : « La personne qui a acquis la nationalité congolaise, jouit de tous les droits et est tenue à toutes les obligations attachées à la nationalité congolaise à dater du jour de cette acquisition. Toutefois, les lois particulières peuvent exclure de l'exercice de certaines fonctions publiques les personnes bénéficiaires de la nationalité congolaise d'acquisition ».
IV. CONCLUSION ET RECOMMANDATION
Eu égard aux arguments analysés dans le présent mémorandum, l’IRDH conclut à l’irrecevabilité et l’inconstitutionnalité de la « la proposition de loi de l’Honorable Nsingi Pululu modifiant et complétant la Loi No 04/024 du 12 Novembre 2004 relative à nationalité congolaise ». Elle est contradictoire. L’esprit qui pouvait la justifier porte sur la loyauté et la fidélité à la nation. Le texte soutient l’irrévocabilité de la nationalité congolaise qui ouvre, conséquemment, la possibilité d’annihiler lesdites loyauté et fidélité, par l’acquisition d’une deuxième ou plusieurs autres nationalités. Cette proposition de modification est confuse. Elle soumet aux mêmes restrictions d’exercice des fonctions publiques, aux congolais dont la nationalité d’origine est reconnue, dès la naissance, et aux étrangers ayant acquis la nationalité congolaise.
Elle est contraire aux articles 10, 11, 12, 13 et 153 de la Constitution en vigueur dans le pays, du fait qu’elle viole le principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi et le droit à l’égale protection des lois pour tous.
Elle exclut de la jouissance et l’exercice des fonctions publiques une grande partie des congolais d’origine.
Elle ignore les coutumes des groupes ethniques qui régissent la filiation, fondement de la loi N°04/024 du 12 novembre 2004 portant sur la nationalité congolaise qu’elle voudrait modifier.
Au cas où la Commission PAJ la soumettrait au débat en plénière, IRDH recommande aux élus du peuple devraient voter une motion de rejet préalable, dans le but de reconnaître que ladite loi est contraire aux dispositions constitutionnelles analysées dans le présent mémorandum.
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