Banditisme urbain : au-delà du pavé dans la mare !

Banditisme urbain : au-delà du pavé dans la mare !

(Par Mabiala Ma-Umba)

 

En octobre 2022, notre Cabinet conseil, le CESD Consulting, a mené une recherche qualitative dans la ville de Kinshasa sur ce que pense la population kinoise des antivaleurs.

Coordonnée conjointement par le Professeur Jean Claude Matumweni (investigateur principal) et Mabiala Ma-Umba (co-investigateur), commanditée par la Cellule d’Innovation et de Changement de Mentalités de la Présidence de la République, cette recherche a montré qu’aux yeux de la population, l’insécurité est l’antivaleur la plus nuisible, la plus dangereuse…

En effet, le banditisme est apparu comme la préoccupation majeure dénoncée par la population kinoise. La seconde antivaleur, d’après la population, est en parfaite cohérence avec la première. Il s’agit de l’incivisme des forces de l’ordre qui se traduit notamment, aux dires des Kinois, par des « tracasseries policières, des arrestations arbitraires et la complicité des forces de l’ordre avec les malfaiteurs » !

C’est exactement ce que vient de dénoncer le commissaire principal Mboso Kazadi Jr !

Ce dernier a certes jeté un pavé dans la mare mais cela n’aurait rien de nouveau puisque, aux yeux de la population kinoise, cette complicité durerait depuis de nombreuses années. Ce qui est nouveau, c’est qu’un officier supérieur de la police prenne le courage d’exprimer son ras-le-bol et de dénoncer ce mauvais comportement !  Ce qui est nouveau est qu’il y ait, dans les rangs de la police nationale, un officier supérieur qui dise publiquement : « non, ça suffit ! Retournons dans le droit chemin » !

Sur ce point, l’acte du commissaire principal Mboso Kazadi Jr est héroïque et mériterait d’être encouragé, dans la police et dans d’autres domaines de la vie nationale.

En effet, comme l’a montré notre recherche, la RDC est malade de sa justice mais aussi de ses valeurs ! Dans pratiquement tous les domaines, les antivaleurs sont devenues des normes : on pense que c’est normal de marchander les décisions judiciaires; de monnayer des postes dans l’administration publique; d’injecter des agents fictifs sur les listings de paie de l’administration publique ; de demander des rétro-commissions aux soumissionnaires lors des appels d’offres; d’emporter les biens de l’Etat au moment de quitter des fonctions officielles ; de verser un certain pourcentage aux agents impliqués dans la chaîne des dépenses des finances publiques; de monnayer les côtes dans les écoles, établissements d’enseignement supérieur et universitaire, etc. La liste est interminable !

Théorie de la déviance positive

Qu’advient-il dans une société comme la nôtre lorsque ce qui était anormal devient normal, quand les antivaleurs se transforment en normes sociales ?

Cette société court inévitablement vers son déclin, à moins qu’il y ait un sursaut collectif pour arrêter la déchéance !

À certains égards, nous vivons déjà cette situation en RDC : beaucoup de nos répondants Kinois l’ont fait remarquer, en y voyant les signes évidents du déclin de notre société. Alors, jusqu’où irons-nous avant qu’on ne note un « sursaut collectif », ce « wake up call » qui nous tirera de notre insouciance ?

Il y a peut-être lieu d’évoquer ici la théorie de la « déviance positive » qui pourrait fournir des outils conceptuels nécessaires à la dynamique des « changements individuels et collectifs des mentalités » tant souhaités !

Dans toute communauté, la déviance reflète des attitudes ou des comportements non conformes aux normes socialement admises. On parle de « déviance positive » quand on trouve dans une société des gens comme le major Mboso qui adoptent des comportements atypiques mais qui sont pourtant dans la bonne voie ou qui trouvent des stratégies appropriées pour résoudre avec succès des problèmes auxquels tout le monde est confronté, malgré le fait qu’ils vivent dans les mêmes conditions, sans nécessairement disposer des ressources additionnelles ou des connaissances particulières (Pascale, Sternin & Sternin, 2010).

Aux yeux de leurs collègues, ils sont « déviants » alors que ce sont eux qui sont dans la bonne voie et qui, en dépit du fait que les anti valeurs sont devenues des normes sociales, ont, eux, le courage de résister, de persévérer dans la bonne voie et de constituer une *masse critique* de citoyens sur lesquels il faudra compter pour amener le reste de la société à se ressaisir !

Vu sous cet angle, je prierais le major Mboso de ne pas démissionner mais de continuer à lutter de l’intérieur pour changer le système, en se basant sur la stratégie suivante : faire en sorte qu’il puisse continuer à rallier d’autres officiers autour de sa vision jusqu’à constituer une « masse critique » de rénovateurs qui vont progressivement changer le système et « forcer » la haute hiérarchie à les soutenir, à agir dans leur sens, à endosser leur vision et leurs réformes…

Des « déviants positifs » comme le major Mboso, nous en avons besoin dans tous les domaines de la vie sociale, économique et politique : nous devons les identifier, les encourager à persévérer à rester dans le bon chemin malgré le mauvais exemple qu’ils voient et qu’ils vivent autour d’eux !

À ce sujet, je ne peux m’empêcher d’évoquer l’exemple de deux filles, Keren et Andrea, élèves finalistes qui, en 2023, ont terminé leurs études secondaires au lycée Liziba: elles ont fait preuve d’intégrité en ne succombant pas à la tentation de la tricherie, en refusant les offres des réseaux mafieux qui vendaient les items d’examens d’Etat. Elles sont restées dans l’histoire. Elles ont réussi leurs examens d’Etat haut la main.

Partout, nous devons aider les « déviants positifs » comme le major Mboso à créer une dynamique qui aboutira à constituer plusieurs masses critiques de citoyens engagés en faveur des valeurs morales, éthiques et républicaines, prêts à jouer leur rôle d’agents de changement positif ! C’est à ce prix que nous pourrions espérer redresser la RDC, notre beau pays !

MABIALA Ma-Umba

Expert - Consultant indépendant -

Ancien directeur de l’éducation et de la jeunesse à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

+243 82 2628 494

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