Le Nouvel Ordre Mondial oblige l’Afrique à penser différemment son rapport à la mondialisation

(Chronique de Christian Gambotti)
Agrégé de l’Université – Président du Think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) - Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Vers un nécessaire rééquilibrage au profit de l’Afrique
Je l’ai écrit très souvent, dans plusieurs de mes chroniques, l’Afrique a toujours porté le lourd fardeau de l’Histoire, ce qui l’a empêchée d’être elle-même : la colonisation l’a projetée hors de son identité ; les indépendances politiques se déroulent en pleine période la Guerre froide, ce qui l’oblige, dans un monde bipolaire, à choisir entre le camp du monde libre et celui du bloc soviétique ; à la fin de la « Guerre froide », comme elle ne représente plus un enjeu idéologique, l’Afrique est oubliée, marginalisée, livrée à elle-même, victime d’un néocolonialisme qui ne dit pas son nom et des appétits d’une Chine qui s’empare du continent à bas bruit ; au XXIè siècle, parce qu’elle est devenue un formidable enjeu géoéconomique, géopolitique et géostratégique, l’Afrique est courtisée par la planète entière.
Entretemps, le monde est devenu multipolaire, la mondialisation s’est fragmentée, des grandes zones géographiques se livrent des guerres d’influence et des guerres économiques d’une violence inouïe. Quelles sont ces grandes zones ? Pour simplifier, on distinguera les zones suivantes : le monde chinois, américain, européen, russe, turc, musulman, indien, brésilien, etc. Chacun de ces mondes regarde avec convoitise les richesses naturelles de l’Afrique. Entretemps, une autre segmentation du monde, qui met en scène l’affrontement entre le « Sud global » et l’« Occident collectif », se construit, entraînant sur l’Afrique de nouvelles pressions économiques, politiques et géopolitiques. Symbole de cette nouvelle segmentation du monde, deux événements se déroulent au même moment : d’un côté, tournant le dos à l’Occident, le Forum de Saint-Pétersbourg, sorte de « Davos russe » qui s’est achevé le 9 juin 2024, et, de l’autre, en Suisse, les 15 et 16 juin 2024, réunissant 90 pays, une conférence internationale sur la paix en relation avec la guerre russo-ukrainienne. La Russie n’est pas invitée à cette conférence sur la paix et la Chine a annoncé ne pas s’y rendre.
Face à un monde russe en rupture avec l’Occident et une conférence internationale pour la paix qui tourne le dos à Poutine, face à ses anciens et ses nouveaux « amis », l’Afrique, pour être elle-même, doit résister aux pressions de Moscou, Pékin, Washington, Paris, Ankara, Téhéran, etc., dès l’instant que ces pressions l’obligeraient à choisir un camp, retarderaient son développement, feraient reculer la démocratie et nieraient à chaque Etat le droit d’exercer sa pleine souveraineté pour décider de la trajectoire de son développement. Or, pour de multiples raisons largement documentées, de nombreux alliés sont, pour l’Afrique, des alliés encombrants, que ce soit Moscou, Pékin, Washington ou Paris. En même temps, tous ses alliés sont, pour elle, des alliés indispensables dans les nouvelles dynamiques des relations internationales. Mais, rien n’est possible pour l’Afrique sans que ne s’opère, au profit du continent, un grand rééquilibrage économique et politique.
Le rééquilibrage économique
Le rééquilibrage économique est-il en train de se produire, lorsque la RDC renégocie avec la Chine le méga contrat minier signé par Kabila avec la Chine ? Lorsque les nouvelles autorités sénégalaises affirment que les contrats signés avec les grandes firmes internationales pour l’exploitation de la manne pétrolière sont négociés dans l’intérêt du pays et des populations ? Lorsque le Gabon accélère les nationalisations, afin de marquer le retour de la souveraineté du pays dans le secteur pétrolier, poumon de son économie ? Ce rééquilibrage économique ne doit pas être relatif, ce qui suppose que soient repensées toutes les formes d’aides et de financements destinées à l’Afrique. Les prêts, avec la succession des annulations et des restructurations de la dette africaine, ne constituent pas une réponse suffisante, dès l’instant que la croissance démographique, toujours exponentielle et vertigineuse sur le continent, annule les effets de la croissance économique, toujours insuffisante. La croissance démographique a, dans tous les domaines, un impact négatif sur la croissance économique, ce qui engage la responsabilité de la communauté internationale.
Le rééquilibrage politique
Il a toujours fallu, pour les Etats africains, qu’ils fassent preuve, selon les époques, d’une allégeance massive à un camp pour bénéficier de l’aide de leurs alliés. On a pu parler de la Françafrique, de la Chinafrique et, aujourd’hui, de la Russafrique. Isolée sur la scène internationale, la Russie veut faire de l’Afrique son soutien sur la scène diplomatique L’ex-groupe privé paramilitaire russe Wagner (1) qui, sous couvert d’une offre de sécurité aux pays et aux dirigeants qui font appel à lui, a permis à Poutine de s’emparer de l’Afrique. Mais, l’Afrique est loin de répondre aux attentes de Poutine et les dirigeants africains ne se déplacent pas en masse pour soutenir la Russie dans ses visées expansionnistes et néocolonialistes. Seuls les Etats sahéliens où se sont déroulés des putschs militaires font allégeance à Moscou. Il suffit d’écouter les discours du Capitaine Traoré, président de la transition au Burkina Faso, de Goïta au Mali et du général Tchiani au Niger pour s’en convaincre. Il existe, en Afrique, des sensibilités politiques différentes. Les dirigeants africains qui se sont rendus à Moscou ou qui répondent à une invitation pour participer au Sommet de Saint-Pétersbourg ne le font pas pour de simples raisons protocolaires. L’objectif de l’Afrique est de diversifier ses partenariats économiques et ses alliances politiques, afin d’en tirer des avantages. Mais, rares sont ceux qui veulent figurer sur une photo de famille poutinienne qui témoignerait d’une allégeance politique à Moscou. Dirigée par le président sud-africain Cyril Ramaphosa, qui était accompagné par les présidents de la Zambie, des Comores, du Sénégal, ainsi que des représentants congolais, ougandais et égyptien, la délégation africaine qui a proposé un plan de paix pour mettre fin à la guerre en Ukraine s’est rendue au Sommet de Saint-Pétersbourg en 2023, après s’être rendue la veille à Kiev. Certes, Poutine, par pure politesse diplomatique, largement opportuniste et totalement hypocrite, a salué l’« approche équilibrée » des dirigeants Africains sur la guerre en Ukraine, sans accepter leur plan de paix.
Le rééquilibrage diplomatique
La présence des dirigeants africains à Kiev et à Moscou est une bonne chose, car elle montre que l’Afrique entend participer de plus en plus à l’intense ballet diplomatique des nouvelles relations internationales. Elle veut faire entendre sa voix de trois manières : de façon collective à travers l’Union africaine ; de façon souveraine pour chaque Etat ; de façon consensuelle dans les instances internationales. Sur la guerre en Ukraine, le Monde Diplomatique du 2 mars 2022 décomptait ainsi les votes lors de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’agression russe en Ukraine : la moitié des pays n’ayant pas soutenu le texte étaient africains (17 abstentions sur 35, un vote contre), 8 États du continent n’ont même pas pris part au vote en « inaugurant une pratique désormais bien installée d’absentéisme calculé » Commentaire du Monde diplomatique : « L’Afrique est à la fois la région la plus réticente à suivre le mouvement de condamnation et la plus divisée dans la réaction au conflit, 50 % environ de ses capitales seulement approuvant les textes soumis à leur appréciation».
J’entends dire, dans toutes les capitales du monde, « l’Afrique est notre avenir », ce qui n’est pas sans lien avec les richesses naturelles dont regorge le continent : matières premières brutes agricoles (cacao), minières (or, diamant, minerais critiques) ou fossiles (pétrole, gaz). Avant d’être l’avenir des autres, l’Afrique doit construire son propre avenir. Pour cela, il lui faut se réapproprier son sol et son sous-sol, en assurer la gestion et faire descendre les richesses produites jusqu’aux populations.
C’est exactement la feuille de route tracée par le Président de la République, Félix Tshisekedi, et que Mme la Première ministre, Judith Suminwa Tuluka, vient de présenter à la représentation parlementaire. Le programme du gouvernement a été très largement approuvé par l’Assemblée nationale, les députés adoptant par 397 voix sur 405 votants les orientations de la Première ministre. Selon le Président de l’assemblée nationale, Vital Kamerhe, « les richesses minières de la RDC suscitent l’avidité des puissances locales (Rwanda, Ouganda) et globales (Chine, Etats-Unis) (2). Il est urgent que la RDC se donne les moyens de résister aux pressions économiques, politiques et diplomatiques qui viennent de l’étranger. La représentation parlementaire votera les lois qui permettront à notre pays de se réapproprier ses richesses».
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Wagner a exercé une forme de prédation sur des ressources et les richesses du continent (or, diamant, minerais).
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La renégociation du méga-contrat « Ressources naturelles contre infrastructures » signé par Kabila entre la RDC et la Chine en 2008 est au cœur des discussions entre Kinshasa et Pékin. Très désavantagée par c et accord, la RDC souhaite en corriger les déséquilibres.
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