Redressement de la Justice, un vent nouveau en RDC, Conseil d’Etat : Iluta Ikombe salue la vision et la détermination de Félix Tshisekedi !
Le Conseil d’Etat a effectué hier, mardi 5 novembre 2024, sa rentrée judiciaire, marquée par une audience solennelle, publique et foraine organisée au Palais du peuple en présence du Président de la République, Félix Tshisekedi. La tenue de cette plénière tire son fondement dans les dispositions prévues par l’article 24 alinéa 1er de la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif en RD. Congo. Dans sa mercuriale, Iluta Ikombe Yamama, Procureur Général près le Conseil d’Etat, a rendu hommage au Chef de l’Etat pour l’accompagnement soutenu et l’attention nécessaire dont bénéficie le pouvoir judiciaire.
Selon Iluta Ikombe, la présence du Président Félix Tshisekedi à l’audience du Conseil d’Etat traduisait une interpellation aux yeux des acteurs judiciaires face aux missions leur confiées ainsi qu’aux défis d’une bonne administration de la Justice en République démocratique du Congo. ‘’Votre présence à la cérémonie de ce jour est porteuse d’un double message : d’une part, celui de l’intérêt que vous accordez au pouvoir judiciaire en raison de son importance dans l’ordre institutionnel et d’autre part, celui de l’interpellation des acteurs judiciaires face aux missions leurs confiées ainsi qu’aux défis d’une bonne administration de la justice conforme aux attentes de nos populations’’, a-t-il salué, dans sa mercuriale qui a abordé l’étude prospective du rôle du ‘’Ministère Public pour une justice administrative plus efficiente en République Démocratique du Congo’’.
La Pros.
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Parquet Général près le Conseil d’Etat
Cabinet du Procureur Général
«Le Ministère Public, pour une justice administrative plus efficiente en République Démocratique du Congo » |
Mercuriale 2024
Par ILUTA IKOMBE YAMAMA
Procureur Général
Octobre 2024
INTRODUCTION
Excellence, Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, «Avec l’expression de mes hommages les plus déférents ».
Conformément à l’article 24 alinéa 1er de la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif le Procureur Général près le Conseil d’Etat prononce une mercuriale le 30 octobre de chaque année à l’occasion de l’audience solennelle et publique du Conseil d’Etat. C’est en exécution de cette disposition que je voudrais m’acquitter de cette exigence légale pour cette rentrée judiciaire 2024.
Votre présence à la cérémonie de ce jour est porteuse d’un double message : d’une part, celui de l’intérêt que vous accordez au pouvoir judiciaire en raison de son importance dans l’ordre institutionnel et d’autre part, celui de l’interpellation des acteurs judiciaires face aux missions leurs confiées ainsi qu’aux défis d’une bonne administration de la justice conforme aux attentes de nos populations.
Au nom de tous les Magistrats de mon office, de l’ensemble du personnel administratif et au mien propre, je vous prie de vouloir bien accepter mes remerciements les plus sincères.
Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, avec l’expression de mes hommages réitérés.
- Honorable Président de l’Assemblée Nationale ;
- Honorable Président du Sénat ;
- Madame la Première Ministre, Cheffe du Gouvernement ;
- Madame et Messieurs les membres du Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature, Honorés collègues ;
- Honorables députés et Sénateurs ;
- Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement ;
- Mesdames et Messieurs membres de la Cour Constitutionnelle et du Parquet près cette Cour ;
- Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats civils et militaires ;
- Monsieur le Premier Président de la Cour des comptes ;
- Monsieur le Procureur Général près la Cour des Comptes ;
- Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Chefs des missions diplomatiques et des organismes internationaux ;
- Monsieur le Président du Conseil Economique et Social ;
- Messieurs les présidents des Institutions d’appui à la démocratie ;
- Mesdames et Messieurs les Magistrats civils et militaires ;
- Monsieur le Bâtonnier National ;
- Mesdames et Messieurs ;
- Distingués invités;
Aussi nombreuses et multiples que soient vos occupations, vous avez tenu à rehausser de votre présence l’audience de la rentrée judiciaire du Conseil d’Etat de ce jour. Soyez-en remerciés.
Le défi du fonctionnement harmonieux de notre justice auquel j’ai fait allusion en amont ne peut entre autres, être relevé au niveau des juridictions de l’ordre administratif que si le Ministère Public près ces juridictions est mis en situation d’exercer pleinement ses prérogatives légales par des textes spécifiques, légaux ou règlementaires.
Aux termes des articles 154 de la Constitution telle que modifiée à ce jour et 32 de la loi organique susévoquée il est institué un parquet près chaque juridiction de l’ordre administratif.
Après six ans de fonctionnement du Parquet Général près le Conseil d’Etat, il m’est apparu opportun de jeter un regard rétrospectif sur l’effectivité du rôle régalien de l’organe de la loi dans l’administration de notre justice administrative.
Pour une certaine opinion, le Ministère Public près les juridictions de l’ordre administratif n’a pas les mêmes compétences que le Ministère Public près les juridictions de l’ordre judiciaire.
Si la pensée novatrice du constituant telle que rendue dans l’exposé des motifs de la Constitution semble avoir atteint l’un de ses objectifs majeurs en ce que les attributions du juge administratif sont clairement définies dans la loi organique, il n’en est pas de même du Ministère public près les juridictions administratives.
Cette évidence s’illustre aussi bien en termes d’insuffisance légale des compétences dévolues au Ministère Public administratif qu’en l’absence d’assises légales claires pour l’exercice effectif de ses compétences.
C’est pourquoi, j’ai choisi de consacrer ma mercuriale de cette année à l’étude prospective du rôle du Ministère Public, pour une justice administrative plus efficiente en République Démocratique du Congo ».
L’intérêt du sujet, du reste évident, procède de la nécessité et de l’exigence essentielle d’un Ministère Public fort dans l’administration de la justice administrative. Il s’inscrit aussi dans l’attente des acteurs judiciaires et extrajudiciaires impliqués dans le procès administratif congolais. Certains partagent un sentiment mitigé sur la rigueur de cette justice ; d’autres ont l’impression d’une œuvre de justice inachevée face à la violation récurrente du caractère exécutoire des décisions du juge administratif.
L’objectif visé est celui de relever les difficultés et les limites du rôle du Ministère Public administratif dans l’état actuel de notre législation sur la justice administrative d’une part, et d’autre part d’impulser l’évolution législative de la question par des propositions de lois aux fins de rencontrer finalement les attentes des justiciables au niveau des juridictions de l’ordre administratif.
Mon exposé de ce jour s’articulera autour de deux chapitres, à savoir : un bref aperçu du Ministère Public et le rôle spécifique du Ministère Public près les juridictions de l’ordre administratif.
CHAPITRE PREMIER :
BREF APERCU DU MINISTERE PUBLIC
Section 1 : Notions
Dans cette section, il sera question de définir le Ministère public en général, cerner son rôle près les juridictions de l’ordre judiciaire, préciser ses caractéristiques et dire un mot sur sa nature juridique.
- 1. Définition
La loi organique n° 06//020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats telle que modifiée à ce jour et les différentes lois organiques portant organisation et fonctionnement des différents ordres des juridictions en République Démocratique du Congo n’ont pas défini le concept «Ministère Public ». Ces textes se sont limités à énumérer qui sont magistrats des parquets ou officiers du Ministère public.
Venant au secours de la loi, la doctrine, notamment le Lexique des termes juridiques définit le Ministère public comme étant l’ensemble de magistrats de carrière qui sont chargés, devant certaines juridictions, de requérir l’application de la loi et de veiller aux intérêts généraux de la société[1].
D’autres auteurs ont, quant à eux, donné un contenu beaucoup plus global à l’instar de Jean Claude Soyer qui précise que le Ministère public désigne à la fois l’ensemble des magistrats chargés par la société d’agir en son nom à travers les actions publiques et ce magistrat qui, à une audience déterminée, représente la société[2].
La compréhension des attributions du Ministère public près les juridictions de l’ordre administratif nécessite le rappel du rôle du Ministère public près les juridictions de l’ordre judiciaire où il tire son origine.
- 2. Le rôle du Ministère public près les juridictions de l’ordre
judiciaire
Le Ministère public près les juridictions de l’ordre judiciaire intervient depuis les investigations jusqu’à l’exécution des décisions en passant par les réquisitions devant les juridictions.
Conformément aux prescrits des articles 66 à 69 de la loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, le Ministère public près ces juridictions exerce ses compétences aussi bien en matière répressive qu’en matière de droit privé[3].
De manière générale, le Ministère public est chargé de rechercher les infractions aux actes législatifs et règlementaires qui sont commis sur le territoire de la République, recevoir les plaintes et dénonciations, accomplir tous les actes d’instruction et saisir les Cours et Tribunaux, surveiller l’exécution des actes législatifs, des actes règlementaires et des décisions de justice et poursuivre d’office cette exécution dans les dispositions qui intéressent l’ordre public.
- 3. La nature juridique du Ministère public
La nature juridique du Ministère public a suscité quelques débats depuis un certain temps dans l’arsenal judiciaire congolais.
Caractérisé par la subordination hiérarchique, l’indépendance, l’unicité et l’indivisibilité, le magistrat du parquet est membre du pouvoir judiciaire au même titre que celui du siège. C’est ce qui ressort de l’article 152 de la Constitution telle que modifiée à ce jour qui cite le Ministère public au Conseil supérieur de la Magistrature, organe chargé de la gestion du pouvoir judiciaire. L’on ne peut en effet pas cogérer un pouvoir auquel on n’appartient pas.
Cela se dégage également des articles 2 de la loi organique relative aux juridictions de l’ordre judiciaire et 26 de la loi organique relative aux juridictions de l’ordre administratif qui, en énumérant les magistrats, regroupent tant ceux du siège que ceux du parquet.
Le droit d’injonction reconnu au Ministre de la justice, conformément à l’article 70 de la loi organique relative aux juridictions de l’ordre judiciaire, a laissé croire à une certaine opinion que le Ministère public relèverait du pouvoir exécutif, ou tout au moins, confirmerait son caractère hybride.
Le doute à ce sujet a été dissipé définitivement lorsque le Conseil d’Etat de notre pays, saisi par la requête du Vice-Premier ministre, ministre de la justice, a affirmé dans son avis motivé sous RITE 015 du 18 mai 2020 que l’Officier du Ministère public est un magistrat à part entière, il fait partie du pouvoir judiciaire[4].
Fort du principe de la séparation des pouvoirs consacré par la Constitution, les doctrinaires congolais sont unanimes que le parquet fait partie intégrante du pouvoir judiciaire[5].
En France, le Conseil constitutionnel avait déjà tranché en rappelant régulièrement que les magistrats du parquet font partie au même titre que ceux du siège, de l’autorité judiciaire[6].
Il faut cependant relever que le Ministère public près les juridictions de l’ordre administratif dans notre système judiciaire a une histoire dont le contexte mérite d’être exposé.
Section 2. Contexte historique du Ministère Public près les juridictions de l’ordre administratif
Comprendre l’historique du Ministère Public près les juridictions administratives impose de passer en revue l’évolution de celles-ci dans le temps à travers les différentes étapes suivies, les raisons qui ont justifié leur existence ainsi que celles du Ministère Public y rattaché car leur contexte est intimement lié.
Un regard rétrospectif sur l’évolution des juridictions administratives en République Démocratique du Congo sera examiné en deux périodes : la période d’avant l’indépendance (1) et la période d’après l’indépendance (2).
- 1. Période d’avant l’indépendance
Sous l’Etat indépendant du Congo, il a existé un Conseil supérieur institué par le Décret du Roi-souverain du 8 octobre 1890, sans aucune attribution juridictionnelle ni Ministère public y rattaché.
La Charte coloniale du 18 octobre 1908 quant à elle est restée muette sur l’exercice du pouvoir judiciaire. C’est la loi du 15 avril 1924 qui a rendu expressément applicables au Congo belge certaines dispositions de la Constitution belge du 7 février 1831. Suivant cette loi la Cour de cassation de Belgique a été appelée à jouer le rôle de la Cour de cassation du Congo belge.
Le contentieux administratif était alors réglé par les juridictions de droit commun auxquelles était toujours rattaché un officier du Ministère public.
Le Conseil d’Etat Belge en tant que juridiction administrative a été créé par la loi du 23 décembre 1946 qui disposait à son article premier ce qui suit : il y a pour la Belgique, le Congo belge et les territoires sous mandat belge, un Conseil d’Etat comprenant une section de législation et une section d’administration.
L’article 28 de cette loi énumérait les différents membres qui composaient ce Conseil parmi lesquels on trouvait le corps des auditeurs nommés par le Roi et exerçant des attributions bien spécifiques leur conférées par la loi notamment participer à l’instruction des affaires dans les deux sections, procéder aux enquêtes décidées par la section de l’administration et donner leur avis à la fin du débat.
C’est donc à partir de cette date du 23 décembre 1946 que le Congo belge a disposé d’une juridiction administrative proprement dite.
- 2. Période d’après l’indépendance
La loi fondamentale relative aux structures du Congo promulguée le 19 mai 1960, a, par son article 259, expressément abrogé la charte coloniale ou loi du 18 octobre 1908 telle que modifiée.
Elle a créé par son article 226 la Cour constitutionnelle composée de trois chambres : la chambre de constitutionnalité, la chambre des conflits et la chambre d’administration. Cette dernière est le prélude de la future section administrative de la Cour suprême de justice.
L’article 253 de ladite loi a habilité le Conseil d’Etat de Belgique à exercer les compétences de la Cour constitutionnelle au Congo en attendant que cette Cour soit légalement organisée.
Mais la loi constitutionnelle du 18 juillet 1963 a retiré aux institutions belges les attributions qu’elles détenaient du fait de la loi fondamentale du 19 mai 1960[7].
Il convient de noter que la Cour Constitutionnelle, avec ses trois chambres, prévues par la loi fondamentale du Congo du 19 mai 1960 n’avait pas vu le jour. Il en est de même de la Cour suprême de justice prévue par l’article 125 de la Constitution du 1er août 1964 dite Constitution de Luluabourg. Elle devait comprendre deux sections : une section judiciaire et une section administrative.
La Constitution du 24 juin 1967 a repris l’organisation de la Cour suprême de justice telle que définie par la Constitution de 1964.
C’est par la réforme du 10 juillet 1968 que les structures des Cours et tribunaux dont la Cour suprême de justice ont été concrètement définies par l’ordonnance-loi n° 68/248 du 10 juillet 1968 portant code de l’organisation et de la compétence judiciaires. L’installation et le fonctionnement de la Cour Suprême de justice ont été rendus effectifs par l’ordonnance-loi n°69/2 du 8 janvier 1969 relative à la procédure devant la Cour suprême.
Par ces textes, le rôle du Ministère public a été clairement défini tant dans le déroulement des débats que dans toute son intervention dans l’intérêt de la loi.
La Constitution du 18 février 2006 a consacré l’éclatement de la Cour suprême de justice en l’ordre judiciaire, l’ordre administratif et la Cour constitutionnelle.
La loi-organique n°16/027 du 15 octobre 2016 fixe l’organisation, la compétence et le fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif.
Le Conseil d'État est la plus haute juridiction de l'ordre administratif en République Démocratique du Congo[8]. Il exerce deux types de compétences : consultative et contentieuse.
Il sied cependant de souligner que la présence de l'Officier du Ministère Public près les juridictions de l'ordre administratif congolais est la conséquence de son existence dans l’ordonnancement juridictionnel moniste ayant existé avant l'éclatement de la Cour Suprême de justice. Dans ce système, l'Officier du Ministère Public était omniprésent aux côtés du juge.
Il découle de ce qui précède que l’existence d’un Ministère public près les juridictions administratives en République Démocratique du Congo tire son origine de différentes attributions qui étaient dévolues au corps des auditeurs dans la loi du 23 décembre 1946 instituant le Conseil d’Etat de la Belgique et de la Constitution de la République Démocratique du Congo de 1967 ainsi que de l’ordonnance-loi n° 68/247 du 10 juillet 1968 et de celle n° 69/2 du 8 janvier 1969. Ces quatre textes ont donné des attributs spécifiques au Ministère public près la Cour Suprême de Justice.
Après avoir survolé le contexte historique, je m’en vais aborder le rôle spécifique du Ministère public près les juridictions de l’ordre administratif.
CHAPITRE II :
ROLE SPECIFIQUE DU MINISTERE PUBLIC PRES LES JURIDICTIONS DE L’ORDRE ADMINISTRATIF
Ce chapitre consacré au rôle spécifique du Ministère public près les juridictions de l’ordre administratif comporte les points ci-après : les attributions prévues par la loi, les modalités d’exécution des attributions du Ministère public et l’exécution des actes administratifs et des décisions des juridictions administratives.
Section 1. Les attributions prévues par la loi
La Constitution a institué en son article 154 un ordre de juridictions administratives de droit commun composé du Conseil d’Etat, des Cours administratives d’appel et des Tribunaux administratifs régis par la loi organique susvisée et des juridictions administratives spécialisées, dont la Cour des comptes, les juridictions disciplinaires des administrations publiques ou des ordres professionnels, régies par des lois particulières visées à l’article 149 alinéa 6 de la Constitution.
L’article 32 de la loi organique institue un parquet près chaque juridiction de l’ordre administratif.
Le parquet est constitué des magistrats du Ministère public exerçant leurs fonctions sous la direction du Chef d’office[9]. Suivant l’article 33 de la loi organique le Ministère public intervient par voie d’action ou par voie d’avis.
- 1. De l’intervention du Ministère public par voie d’action
Le Ministère public intervient par voie d’action dans certaines matières notamment en cas de renvoi pour cause de sûreté publique, de révision, de pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi, dans le cas de règlement de juges et d’interprétation ou de rectification d’erreurs matérielles.
Dans ces différentes matières, le Ministère public peut par requête ou par réquisitoire saisir la juridiction lorsque certaines conditions sont réunies.
La requête aux fins de renvoi pour cause de sureté publique ou de suspicion légitime peut être présentée soit par le Procureur Général près le Conseil d’Etat, soit par l’officier du Ministère public près la juridiction saisie. Cette dernière saisie de la demande de renvoi donne acte du dépôt de la requête. Sur production d’une expédition de cet acte par le Ministère public ou par la partie la plus diligente la juridiction saisie quant au fond sursoit à statuer[10].
En matière de révision, la requête du Ministère public est faite soit d’office, soit sur injonction du Ministre ayant la justice dans ses attributions[11].
Ce dernier exerce son pouvoir d’injonction sur avis d’une commission composée de deux magistrats du parquet près le Conseil d’Etat et de deux magistrats du parquet près la Cour administrative d’appel[12]. Les deux magistrats du parquet général près le Conseil d’Etat faisant partie de la commission ne siègent pas lors de la procédure en révision.[13]
Le Procureur Général près le Conseil d’Etat ne peut se pourvoir en cassation par voie de réquisitoire en toute cause et nonobstant l’expiration des délais que dans le seul intérêt de la loi[14].
Il peut également lorsqu’il estime devoir opposer au pourvoi un moyen déduit de la méconnaissance d’une règle intéressant l’ordre public et qui n’aurait pas été soulevé par les productions des parties faire un réquisitoire qu’il dépose au greffe du Conseil d’Etat. Le greffier l’en avise ainsi que les avocats des parties par lettre recommandée à la poste ou par porteur avec accusé de réception cinq jours francs au moins avant la date de l’audience[15].
L’alinéa 2 de l’article 404 de la loi organique donne le pouvoir au Ministère public près le Conseil d’Etat de demander le règlement de juges lorsque deux ou plusieurs juridictions de l’ordre administratif statuant en dernier ressort se déclarent en même temps soit compétentes, soit incompétentes, pour connaître d’une même demande mue entre les mêmes parties.
Le Ministère public peut saisir le Conseil d’Etat en interprétation et rectification d’erreurs matérielles en toutes matières contentieuses dont celle électorale[16].
Le Ministère public peut saisir les juridictions administratives par voie de réquisitoire et ce, dans l’intérêt général et en particulier pour la protection des droits et libertés fondamentaux des personnes.
- 2. De l’intervention du Ministère public par voie d’avis
Le Ministère public assiste aux audiences de la juridiction près laquelle il est rattaché au cours desquelles, la parole lui est accordée pour exposer publiquement en toute indépendance son opinion sur les questions soumises à la juridiction que les requêtes présentent à juger et les solutions qu’elles appellent[17].
Il peut même demander à ce qu’une affaire soumise à la juridiction soit renvoyée à la plénière de la section concernée pour examen[18].
En matière contentieuse le Ministère public donne ses avis soit sur le banc, soit par écrit.
Par contre, en matière de référé, il peut donner ses avis lorsque la juridiction siège avec une composition collégiale.
S’agissant de la procédure de la prise à partie prévue par les articles 391 à 394 de la loi organique, la section du contentieux du Conseil d’Etat statue sur la requête introduite, le Procureur Général entendu pour son avis.
En matière consultative, le Ministère public siège en assemblée plénière mixte composée des magistrats de la section consultative du Conseil d’Etat et des magistrats du parquet y rattaché au cours de laquelle il prend part aux débats et donne ses avis sur les questions soumises à la juridiction administrative[19].
3. Attributions particulières du Ministère public de l’ordre administratif
Le Ministère public près le Conseil d’Etat peut demander au premier président de désigner par ordonnance une chambre devant statuer par une seule et même décision sur plusieurs affaires pendantes devant les chambres différentes[20].
Il peut dans les huit jours qui suivent la notification à la partie ayant soulevé l’incident relatif à la contestation des pièces, saisir la juridiction compétente lorsqu’une partie persiste à faire état d’une pièce contestée par la partie adverse[21].
Le délai du dépôt du mémoire en réponse est de trente jours à dater de la signification de la requête ou du réquisitoire. Si les nécessités de l’instruction le justifient, les délais imposés aux parties pour la transmission de la requête, du réquisitoire ou du mémoire en réponse peuvent, après avis du Ministère public être prorogés par ordonnance motivée du président de la section du contentieux. Le greffier notifie aux parties l’ordonnance de prorogation des délais[22].
Section2. Les modalités d’exécution des attributions du Ministère public
- 1. Le Ministère public agissant par voie d’action
Comme cela a été dit plus haut, lorsque le Ministère public est partie principale au procès, il saisit la juridiction administrative par requête ou par réquisitoire selon le cas. Il peut également de façon incidentielle et exceptionnelle saisir une juridiction pénale de l’ordre judiciaire.
La loi organique prévoit que la juridiction administrative puisse être saisie non seulement par requête des parties mais aussi par réquisitoire du Ministère public introduit dans l’intérêt général et, en particulier pour la protection des droits et libertés fondamentaux des personnes[23].
En outre, le Ministère public peut introduire une requête aux fins de renvoi pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime, un réquisitoire en cas de pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi, une requête en révision soit d’office, soit sur injonction du ministre ayant la justice dans ses attributions, une requête en matière de règlement de juges et enfin une requête en matière de rectification d’erreurs matérielles ou d’interprétation des arrêts rendus par le Conseil d’Etat[24].
Cette innovation mérite d’être saluée quand bien même le législateur n’a pas précisé les modalités pratiques de l’accomplissement de cette mission par le Ministère public.
Les difficultés liées à l’absence des mécanismes légaux préalables à l’introduction de son action n’ont pas permis au Ministère public de saisir par réquisitoire la juridiction administrative, en près de six ans de l’opérationnalité du Conseil d’Etat.
Pourtant, le législateur de 1982 avait conféré au Procureur Général de la République près la Cour suprême la possibilité de procéder à une instruction préparatoire et à rédiger un rapport sur l’affaire portée devant la section administrative de ladite cour[25].
L’article 80 de cette loi disposait : « Lorsque les productions des parties sont faites ou que les délais accordés pour produire sont écoulés, le greffier transmet le dossier au Procureur Général de la République qui, après instruction préparatoire éventuelle, rédige un rapport sur l’affaire.
Ce rapport daté et signé est transmis à la Cour.
Si la Cour estime qu’il y a lieu d’ordonner des devoirs d’instruction préparatoire nouveau, elle désigne un conseiller pour y procéder ou charge le Procureur Général de la République de cette mission.
Après l’accomplissement des devoirs requis, le conseiller désigné ou le Procureur Général de la République remet un rapport à la Cour ».
L’article 81 du même texte, donnait au ministère public pouvoir, dans l’accomplissement de sa mission, de correspondre directement avec toutes les autorités, leur demander ainsi qu’aux parties tout renseignement utile, se faire communiquer tous documents, entendre tout témoin, commettre des experts et leur communiquer les pièces utiles et procéder sur les lieux à des constatations[26].
Or, dans l’actuelle loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif, les prérogatives d’instruction préparatoire jadis reconnues au Ministère public n’apparaissent plus. Les devoirs d’instruction ou missions d’enquête n’y sont confiées qu’au seul rapporteur (magistrat du siège) de la juridiction administrative, qui peut même ordonner une commission rogatoire alors qu’il s’agit là des attributions classiques d’un officier du Ministère public[27].
Dans le même ordre d’idées, l’article 91 alinéa 1 de l’ordonnance-loi de 1982 avait prévu la possibilité pour le Ministère public de former appel contre les arrêts rendus par les sections administratives des cours d’appel par voie de requête, prérogative ne figurant plus expressément dans la loi actuelle.
L’article 407 de la loi organique dispose que « sont abrogées toutes les dispositions antérieures contraires à la présente loi organique ».
Dès lors que la loi organique elle-même donne pouvoir au Ministère public de saisir les juridictions administratives on doit donc considérer que les dispositions des articles 80, 81 et 91 de l’ordonnance-loi de 1982 ne sont pas contraires à celles de la loi de 2016 sur les juridictions administratives et demeurent applicables.
- 2. Le Ministère Public agissant par voie d’avis
L’article 175 alinéa 3 de la loi organique précise que lorsque les productions des parties sont faites ou que les délais accordés pour les productions sont écoulés, le greffier transmet le dossier au Ministère public pour son avis.
D’autre part, l’analyse approfondie de certaines dispositions de la loi organique laisse penser que le Ministère public peut jouer un rôle ou peut intervenir par voie d’avis en matière des référés.
Cependant, le législateur a limité son intervention lorsqu’il prévoit qu’en matière des référés généraux et en matière de référé-constat, l’audience puisse se dérouler sans les conclusions du Ministère public, sauf si le juge renvoie la question à une formation collégiale.[28]
Cette limitation constitue une exception à la règle édictée aux articles 56, 68 et 74 de la loi organique qui prévoient que les juridictions de l’ordre administratif siègent avec le concours du Ministère public.
S’il est clairement repris dans les dispositions légales susvisées que dans les trois référés généraux et parmi les référés particuliers, le référé-constat, le juge des référés siège sans le concours du Ministère public, dans les six autres référés restants dont le référé-provision, le référé-instruction et tous les référés spéciaux à savoir le précontractuel, le douanier et le fiscal, la loi est muette.
En attendant une écriture plus explicite de la loi sur cette question, le Ministère public devra siéger devant les juridictions administratives comme prescrit par la loi en matière des référés.
De lege ferenda, il y a lieu d’élargir le concours du Ministère public aux audiences de tous les types des référés. Car, dans l’état actuel de la législation, le juge des référés est détenteur d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’il siège seul.
L’on sait quels sont les inconvénients du système de juge unique : il est dénoncé comme un juge isolé, et davantage sujet à l’erreur, à la partialité ou au manque d’indépendance par rapport à une composition collégiale. Ne pouvant user du délibéré pour confronter son appréciation ou pour se retrancher derrière le caractère collectif de la décision, le juge unique est en effet un juge exposé. Il l’est davantage lorsqu’il doit siéger sans le concours du Ministère public.
En effet, en sa qualité d’organe de la loi et de gardien de la légalité administrative, c’est au Ministère public qu’incombe la charge de veiller à l’application des lois afin de mieux assurer la défense de l’intérêt général et de l’ordre public.
De ce qui précède, j’estime pour ma part que les juridictions de l’ordre administratif devraient statuer avec le concours du Ministère public en toute matière y compris celle des référés en vue de mieux éclairer la lanterne du juge administratif par ses conclusions, et ce aux fins d’une justice administrative plus efficiente.
Section 3. L’exécution des actes administratifs et des décisions des juridictions administratives
- 1. De l’exécution volontaire
Contrairement au Ministère public près les juridictions de l’ordre judiciaire, le Ministère public près les juridictions de l’ordre administratif n’a pas reçu formellement de la loi, la mission d’assurer la surveillance de l’exécution des décisions rendues par les juridictions de l’ordre administratif.
Conformément à l’article 120 de la loi organique « les tribunaux administratifs connaissent de l’exécution de toutes les décisions des Tribunaux administratifs, des Cours administratives d’appel et du Conseil d’Etat.
Ils connaissent de l’exécution des autres actes authentiques pris en matière administrative ».
Les tribunaux administratifs n’étant pas encore installés, la matière relative à l’exécution doit revenir à la juridiction administrative ayant rendu la décision.
En effet, les articles 250 et 251 de la loi organique disposent : « Les arrêts et jugements sont exécutoires de plein droit.
Les arrêts, jugements et ordonnances sont exécutés au nom du Président de la République.
Le greffier appose sur les expéditions, à la suite du dispositif, la formule exécutoire ci-après : « Les ministres et les autorités administratives, en ce qui les concerne, sont tenus de pourvoir à l’exécution du présent arrêt ou jugement. Les huissiers de justice à ce requis ont à y concourir en ce qui concerne les voies de droit commun ».
Les expéditions sont délivrées par le greffier, qui les signe et les revêt du sceau de la juridiction ».
En droit positif congolais, faire exécuter une décision de justice est une exigence à la fois constitutionnelle et légale.
En effet, l’article 149 de la Constitution dans ses alinéas 3 et 4 et l’article 9 de la loi organique prévoient que la justice est rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple. Les arrêts et jugements ainsi que les ordonnances des Cours et tribunaux sont exécutés au nom du Président de la République.
L’article 6 alinéa 5 de la loi oragnique énonce que les arrêts et jugements sont exécutoires.
Les jugements et arrêts sont exécutoires de plein droit signifie qu’ils doivent être exécutés volontairement dès la signification.
Chaque fois que l’action aboutit à une décision de justice, celle-ci doit être exécutée sans atermoiements. L’administration est tenue légalement de s’y conformer et d’en tirer toutes les conséquences de droit qui s’imposent.
La formule exécutoire susvisée veut en outre dire que les autorités administratives ont l’obligation de tout mettre en œuvre pour exécuter ou de faire exécuter volontairement les décisions des juridictions administratives et au cas contraire elles sont exécutées au besoin par la force.
Ainsi, lorsqu’une décision de justice est revêtue de la formule exécutoire, elle ne doit souffrir d’aucune inexécution. Elle doit être exécutée de gré ou de force dans le respect des exigences légales.
Malheureusement, force est de constater que dans la plupart des cas, l’administration brille par sa mauvaise volonté, sa passivité, sa lenteur et surtout par sa résistance manifeste. Elle a tendance à croire qu’elle ne peut pas être soumise aux voies d’exécution forcée notamment eu égard aux principes d’insaisissabilité des biens de l’Etat ainsi que du fait que ce dernier est civilement responsable de ses agents.
Ce comportement décourage certains administrés bénéficiaires des décisions de justice rendues par les juridictions administratives.
Dans sa note circulaire n°012 du 27 septembre 2011 sur l’exécution des décisions judiciaires, le premier président de la Cour Suprême de justice déclare que lorsque l’exécution des décisions de justice est faite conformément à la loi, elle contribue à la restauration de l’ordre public, au rétablissement des bonnes mœurs, à l’amélioration du climat des affaires et au raffermissement de l’autorité de l’Etat, bref à l’instauration de la paix sociale.[29]
C’est pour contourner les difficultés d’exécution volontaire par l’administration et aussi pour pallier les lacunes de la loi organique sur les juridictions administratives que le bureau du Conseil d’Etat a pris la décision n°20/001/B/CE/2020 du 10 mars 2020 relative à l’exécution des décisions des juridictions de l’ordre administratif.
Cette décision en son article 4 donne expressément au Ministère public pouvoir de veiller au respect des lois dans le cadre du fonctionnement et de l’exécution des décisions des juridictions de l’ordre administratif et poursuivre cette exécution dans les dispositions qui intéressent l’ordre public. C’est pourquoi j’ai institué au sein de mon office une commission chargée d’examiner les demandes d’exécution forcée des décisions du Conseil d’Etat.
Le refus par l’autorité administrative d’exécuter les décisions du juge administratif entre dans la prévention des plusieurs infractions notamment l’abstention coupable, l’outrage au Chef de l’Etat, la rébellion et l’atteinte aux droits garantis aux particuliers.
En vertu de ses attributions régaliennes, le Ministère public de l’ordre administratif devrait en principe être en droit de constater les infractions tendant à perturber l’exécution des décisions du juge administratif, instruire et saisir la juridiction compétente. Ce qui ne relève que d’un principe à ce jour devrait être coulé sous forme d’une loi pour vaincre définitivement la résistance des autorités administratives récalcitrantes au mieux du triomphe de l’Etat de droit.
En attendant, j’en appelle au civisme des autorités ministérielles et administratives et les invite à respecter dorénavant les décisions du juge administratif qui sont rendues au nom du Chef de l’Etat garant du fonctionnement harmonieux des institutions de la République.
- 2. De l’astreinte comme mode d’exécution
C’est une procédure spéciale et contradictoire organisée devant le juge administratif qui consiste à obtenir la condamnation de l’administration au paiement des sommes d’argent susceptibles de compenser un préjudice généré par le retard pris dans l’exécution de la décision.
L’article 329 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif dispose qu’une administration publique, peut être condamnée au paiement d’une astreinte dans trois cas :
- En cas d’inexécution de la décision prescrivant ledit paiement ;
- Lorsque l’autorité a refusé de déférer à la mise en demeure de prendre une nouvelle décision ;
- En cas de silence de l’autorité après l’expiration d’un délai de trente jours suivant la mise en demeure.
Dans cette procédure, la surveillance du Ministère public est prévue par l’article 334 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif, et s’exerce par la rédaction d’un rapport sur l’affaire qu’il adresse à la juridiction, en posant des questions à l’audience et y donnant son avis.
Il en est de même lorsque des circonstances peuvent conduire à l’annulation, à la suspension de l’échéance et à la diminution de l’astreinte. Le Ministère public rédige un rapport sur l’affaire dans les quinze jours de la réception de la note d’observations du bénéficiaire de l’astreinte ([30]) qu’il adresse à la juridiction administrative.
A mon avis, cette sanction d’astreinte est injuste en ce qu’elle frappe doublement l’Administration qui est déjà victime de la désinvolture de ses agents qui n’ont aucune crainte de prendre de mauvaises décisions à leurs propres profits mais au grand préjudice de l’Administration leur civilement responsable en charge du paiement de ces astreintes.
CONCLUSION
- Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, avec l’expression réitérée de mes hommages les plus déférents ;
- Distingués invités,
- Mesdames et Messieurs ;
Ma mercuriale de ce jour a porté sur le thème suivant : « Le Ministère Public, pour une justice administrative plus efficiente en République Démocratique du Congo ».
Dans un premier chapitre, je me suis employé à définir le concept de Ministère public, à décrire son rôle près les juridictions de l’ordre judiciaire, ses caractéristiques et sa nature juridique.
Pour une meilleure approche de la question j’ai jeté un regard sur le contexte historique du Ministère public à travers l’évolution des juridictions de l’ordre administratif.
Dans un second chapitre, j’ai mis en exergue le rôle spécifique du Ministère public près les juridictions de l’ordre administratif tout en épinglant ses attributions prévues par la loi organique ainsi que les modalités de leur exécution.
A travers mon exposé, j’ai relevé que le Ministère public a trouvé son origine auprès des juridictions de l’ordre judiciaire où son organisation, ses principes directeurs et ses attributions ont été déterminés, et que le contentieux administratif était alors réglé par les juridictions de droit commun, avec le concours de l’officier du Ministère public qui y était toujours attaché.
Les constituants de 1964 et 1967 avaient prévu la création de la Cour suprême de justice en République Démocratique du Congo mais celle-ci ne sera opérationnelle qu’après la promulgation de l’ordonnance-loi n° 69/2 du 8 janvier 1969. Composée de trois chambres, judiciaire, administrative et de législation, elle devait siéger avec le concours du Ministère public en toutes matières.
L’ordonnance-loi n° 82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour suprême de justice en son article 80 sur la mise en état de la cause devant la section administrative autorisait le Procureur général de la République qui recevait le dossier du greffier, lorsque les productions des parties étaient faites, à poser des actes d’instruction préparatoire éventuels et à rédiger un rapport sur l’affaire.
Si la Cour estimait nécessaire d’ordonner des devoirs d’instruction préparatoires nouveaux, elle pouvait charger le procureur général de la république de cette mission.
Et l’article 81 du même texte prévoyait que :
« Dans l’accomplissement des devoirs de l’instruction préparatoire, le « Procureur Général de la République et le conseiller rapporteur « pouvaient correspondre directement avec toutes les autorités, leur « demander ainsi qu’aux parties tout renseignement utile, se faire « communiquer tous documents, entendre tout témoin, commettre des « experts, déterminer leur mission et leur communiquer les pièces utiles « et procéder sur les lieux à toutes constatations.
Le constituant du 18 février 2006 a éclaté la Cour suprême de justice en trois, la section de législation devenant la Cour constitutionnelle, la section judiciaire, la cour de cassation et la section administrative, le conseil d’état.
Différentes lois organiques portant organisation, compétence et fonctionnement de ces juridictions ont été édictées.
Alors que l’ordre de juridictions administratives est une survivance de la section administrative de la Cour suprême de justice, la loi relative à son organisation, compétence et fonctionnement, ne reprend pas les termes des articles 80 et 81 de l’ordonnance-loi n° 82 -017 du 31 mars 1982 portant procédure devant l’ancienne Cour suprême de justice.
A la place, on voit apparaître dans la loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif les articles 31, 32 et suivants qui semblent limiter l’action du Ministère public à son intervention par voie d’avis et par voie d’action dans certaines matières.
La rédaction peu heureuse de la loi organique sur ce point a suscité des interprétations diverses :
- Pour certains, la volonté du législateur a été de priver le Ministère public près les juridictions de l’ordre administratif des prérogatives qui avaient été données à son collègue de l’ordre judiciaire pour la mise en état de la cause devant la section administrative de la Cour suprême de justice.
- Pour d’autres, il s’agit plutôt d’une simple omission fortuite, dès lors que, le législateur a donné au Ministère public de l’ordre administratif la compétence de saisir les juridictions par voie de requête ou de réquisitoire.
En effet, étant appelé à exposer publiquement et en toute indépendance son opinion sur les questions que les requêtes présentent à juger et les solutions qu’elles appellent, le Ministère public ne peut y parvenir sans effectuer certaines recherches qui s’analysent en autant d’actes d’instruction.
Cela est du reste une exigence pour le Ministère public en sa qualité de défenseur de l’intérêt public et représentant de la société au procès, tant il ne peut pas se fier aux seules productions des parties qui défendent leurs intérêts privés et sont de ce fait tentées d’occulter la vérité.
L’embarras du législateur lui-même est perceptible dès lors que, tout en donnant l’air de vouloir ramener les attributions du ministère public à la simple rédaction d’avis et/ou réquisitoires, il confère en même temps à ce dernier le pouvoir de poser certains actes d’instruction, notamment en matière de contestation des pièces, de reprise d’instance….
En outre, en ce qu’il dispose que : « sont abrogées toutes les dispositions antérieures contraires à la présente loi organique », l’article 407 de ladite loi organique laisse survivre les dispositions légales antérieures non contraires.
Il ouvre ainsi la porte à diverses interprétations quant à l’étendue des pouvoirs du Ministère public près les juridictions administratives, dès lors que l’esprit des articles 80 et 81 de l’ordonnance- loi n° 82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour suprême de justice régissant la mise en état de la cause devant la section administrative de l’ancienne Cour suprême de justice n’est pas contraire à celui du législateur de 2016.
Par ailleurs, du fait que la loi organique relative aux juridictions administratives consacre le principe de la compétence en matière de contrats de droit public (marchés et travaux publics), réquisitions et expropriations pour cause d’utilité publique, du contentieux fiscal et des litiges relatifs aux questions pécuniaires intéressant les agents publics, le Ministère public près ces juridictions devrait être compétent pour appliquer les lois sectorielles qui, dans certains cas, prévoient même des incriminations et des peines spécifiques.
Cette position conforte ceux qui soutiennent que le législateur n’a jamais entendu restreindre les attributions du Ministère public près les juridictions de l’ordre administratif.
Cependant, tirant profit de la rédaction imparfaite des dispositions légales relatives aux attributions du Ministère public près les juridictions administratives, une criminalité à col blanc s’est installée confortablement dans l’administration publique, au grand préjudice de toute initiative visant le développement économique et social du pays :
- Que de redressements fiscaux de complaisance invitant à la corruption en vue de dégrèvements tout aussi fantaisistes ;
- Que de contrats des travaux conclus en violation de la procédure légale et restés totalement ou partiellement inexécutés nonobstant paiement du prix ;
- Que d’actes de favoritisme, de conflit d’intérêt, de délit d’initié, de prise illégale d’intérêt, de corruption active et/ou passive, de trafic d’influence sont régulièrement commis par les autorités administratives dans la passation des marchés publics ;
- Que de lotissements créés en violation de la loi, dans les concessions ou servitudes de chemins de fer ou généralement, dans le domaine public de l’Etat… ;
- Que d’immeubles de l’Etat déclarés abusivement biens sans maîtres ou abandonnés et attribués par actes administratifs à des tiers…
Dans l’état actuel de la loi, tous ces actes de nature à porter gravement atteinte à l’intérêt général économique et social ne sont attaqués que très timidement en annulation et/ou en réparation de préjudice subi par quelques administrés téméraires, tenus en plus de justifier de l’atteinte à un droit subjectif.
Les auteurs de ces actes administratifs pourtant constitutifs d’infractions restent impunis et donc disposés à récidiver.
Pour rencontrer le législateur dans sa quête de spécialisation du juge, il conviendrait de lever cette ambigüité par une loi explicite attribuant une compétence pénale aux juridictions administratives en vue de sanctionner les auteurs des infractions commises en matières administratives.
Les officiers de police judiciaire à compétence restreinte organisés au sein de certaines administrations devraient transmettre au parquet administratif, les procès-verbaux qu’ils destinent uniquement à leurs supérieurs hiérarchiques.
En attribuant au Ministère public administratif des compétences expresses et plus étendues, ce dernier pourrait participer à la prévention et à la répression des infractions spécifiques commises par les autorités administratives dans l’exercice de leurs fonctions.
Cela contribuerait à l’émergence d’un droit pénal administratif tiré de l’expérience du droit Congolais et qui, grâce à l’action du Ministère public, offrirait à la justice administrative l’occasion d’être plus efficiente.
Exposée à la menace permanente de poursuites pénales, l’autorité administrative, aujourd’hui couverte par une sorte d’immunité de fait, veillerait désormais à la qualité des actes et contrats de droit public, tant à leur élaboration, qu’à leur exécution.
Pour le Président de la République, Chef de l’Etat, je requiers qu’il plaise au Conseil d’Etat de déclarer qu’il reprend ses travaux.
Je vous remercie.
[1] Lexique des termes juridiques 2023-2024, Dalloz, 31ème édit, Paris, 2023, p. 693
[2] J.C. SOYER, Droit pénal et procédure pénale, LGDJ, 5ème édit, Paris, 1977, p.217.
[3] JORDC, première partie, Kin, 4 mai 2013, col 17 à 19.
[4] JORDC numéro spécial du 7 juillet 2020.
[5] K. MALIPO Gérard, souveraineté des Etats sur les ressources naturelles, l’Etat, c’est quoi ce concept ?, Esperance, Paris, 2024, pp. 1057 à 1059 ; E. LUZOLO BAMBI LESSA et N.A BOYONA BA MEYA, Manuel de procédure pénale, PUC, Kin, 2011, pp. 201 à 202.
[6] Voir note Conseil Constitutionnel, 11/8/1993, in F. DESPORTES et L. LAZAYES-COUQUER, ibidem, pp 414-415.
[7] Vunduawe Te Pemako et J.M. Mboko, Traité de droit administratif de la République Démocratique du Congo, 2e édition, Bruylant, Paris 2020, p. 1073.
[8] Article 2 alinéa 4 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[9] Article 26 pt2 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[10] Article 226 al 1 et 3 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[11] Article 397 pt2 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[12] Article 398 al1 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[13] Article 398 al2 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[14] Article 359 al1 et 360 al 1 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[15] Article 370 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[16] Article 275 al2 et 386 al2 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif et 74 quinquies al4 de la loi électorale telle que modifiée et complétée à ce jour.
[17] Article 34 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[18] Article 51 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[19] Article 126 al1 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[20] Article 224 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[21] Article 215 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[22] Article 174 de la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif.
[23] Articles 134 et 136 de la loi organique relative aux juridictions de l’ordre administratif.
[24] Articles 33 alinéa 2, 226, 360, 372, 397 alinéa 2, 40 et 386 de la loi organique.
[25] Article 80 de l’ordonnance-loi n° 82-017 du 31 mars 1982.
[26] Article 81 de l’ordonnance-loi n° 82-017 du 31 mars 1982.
[27] Article 175 alinéa 1 et 2, articles 179 à 182 et les articles 201 à 210 de la loi organique.
[28] Article 285 alinéa 3 et l’article 300 alinéa 2 de la loi organique
[29] Note circulaire n°012 du 27 septembre 2011 sur l’exécution des décisions judiciaires du premier président de la cour suprême de justice un code judiciaire congolais textes compilés et actualisés jusqu’au 28 février 2013
[30] Article 341 de loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif