Entre Trump et l’Afrique, des réseaux évangéliques à la croisée du pouvoir et de la foi
Conseillère spirituelle du président américain, la pasteure Paula White a effectué une tournée africaine remarquée, au moment où Washington tente de ramener la paix – et le business – dans l’est de la RDC. Un déplacement à la fois religieux et stratégique.
Les yeux fermés, les paumes tournées vers le ciel, Félix Tshisekedi et son épouse, Denise Nyakeru, se recueillent. Ce 9 novembre, le couple présidentiel a réuni un parterre d’officiels et de représentants religieux pour réserver un accueil en grande pompe à leur invitée. Sur scène, une main sur l’épaule de la première dame, l’autre sur le micro, la pasteure Paula White dirige la prière. C’est elle, la star de l’événement. La veille déjà, elle a fait forte impression. « Dans les cinquante-deux jours qui viennent, un miracle va s’opérer et tous ces bruits de bottes vont prendre fin », a-t-elle prédit devant la même assemblée.
Paula White est la cheffe du Bureau de la foi, une structure créée en février et installée au sein même de la Maison-Blanche. Elle a effectué, du 5 au 17 novembre, une tournée sur le continent : Gabon, RDC, Rwanda, Ouganda… À n’en pas douter, le voyage visait à apporter une tonalité spirituelle aux efforts diplomatiques que l’administration américaine déploie pour obtenir un accord entre Kinshasa et Kigali, en conflit dans l’est du Congo.
Autour de Trump, l’influence grandissante des évangéliques
Son ascension au sein de la Maison-Blanche traduit l’influence croissante des milieux chrétiens conservateurs, principalement évangéliques. Elle prouve aussi leur capacité, au sein d’une présidence atypique et imprévisible, à peser sur des sujets d’ordre diplomatique, notamment en Afrique, où les Églises du réveil sont en plein essor. Ce sont eux qui sont à l’œuvre quand Donald Trump décide de partir en croisade contre le Nigeria, accusé d’« autoriser les massacres de chrétiens », et menace le pays d’une intervention militaire.
Paula White est sans doute l’une des personnalités les plus influentes des cercles évangéliques qui entourent le président américain. Cette pasteure originaire du Mississippi a fait la connaissance de Donald Trump en 2002. Télévangéliste, elle est alors à la tête de la Without Walls Church, une méga-Église de Floride. Trump la contacte à l’issue de l’une de ses prières télévisées, et c’est le début de vingt-cinq ans d’amitié. Selon le New York Times, Paula White achète peu après un appartement dans l’un des immeubles new-yorkais du milliardaire et futur président. Ce dernier l’invitera à prier avec l’équipe de la première saison de son télé-crochet, The Apprentice.
Lorsque Donald Trump se lance en politique, il se tourne naturellement vers Paula White pour mobiliser les milieux évangéliques. L’opération est un succès : élu en novembre 2016, l’homme d’affaires a capté 80 % du vote évangélique blanc. Le nouveau président américain intègre officiellement sa conseillère spirituelle à son administration en octobre 2019. Des prérogatives qu’elle retrouve – élargies – début 2025, lorsque Donald Trump entame son second mandat.
Sa récente tournée en Afrique ne peut donc que susciter la curiosité. D’autant que si la conseillère spirituelle du président américain affirme être venue à titre personnel, la guerre dans l’est de la RDC ne lui est pas étrangère. Elle était présente dans le Bureau ovale, le 27 juin, lors de la signature de l’accord de paix entre Kinshasa et Kigali. C’est elle qui, aux côtés de Donald Trump et des ministres congolais et rwandais des Affaires étrangères, a mené la prière qui a suivie.
Des relais sur le continent
L’idée de cette tournée africaine germe à ce moment-là. Contactée après la cérémonie par l’un de ses proches sur le continent, Paula White esquisse bientôt les contours d’un déplacement dans la région des Grands Lacs. Elle veut soutenir spirituellement les efforts diplomatiques de l’administration américaine en faveur de la paix. La prédicatrice dispose déjà d’un solide réseau en Afrique et devait de toute façon se rendre en Ouganda le 15 novembre pour une campagne d’évangélisation à laquelle elle a été conviée par un ami, le pasteur Robert Kayanja, un homme bien introduit auprès du couple Museveni.
Le principe acté, le déplacement se met progressivement en place avec l’aide de relais au sein de milieux évangéliques africains en plein essor, et ce, grâce notamment à l’entregent du pasteur ghanéen Nicholas Duncan-Williams. La conseillère de Donald Trump entretient avec cet archevêque autoproclamé une relation étroite. Voilà plus de vingt ans qu’ils fréquentent les mêmes cercles politiques et religieux outre-Atlantique. Nicholas Duncan-Williams est ainsi très lié à T.D. Jakes, le chef de la Potter’s House, une méga-Église basée à Dallas, qui fut proche de plusieurs présidents américains, dont Barack Obama.
Lorsque Paula White se tourne vers l’évangélisme charismatique, au début des années 2010, c’est Nicholas Duncan-Williams qu’elle choisit comme père spirituel. Il arrive qu’elle se rende au Ghana, à l’Action Chapel International, et « l’archevêque » est invité à son troisième mariage, en 2015. Paula White a soin d’introduire son ami dans les cercles conservateurs de la galaxie Maga (Make America Great Again) et c’est grâce à elle que le pasteur ghanéen devient, le 20 janvier 2017, le premier homme d’Église étranger à diriger la prière lors de l’investiture d’un président américain.
Réseau Duncan-Williams-Whitaker
À cette époque, si Nicholas Duncan-Williams est très introduit outre-Atlantique, c’est aussi grâce au réseau de son épouse, Rosa Whitaker. Ancienne représentante adjointe au commerce pour l’Afrique sous les administrations Clinton et Bush, elle a été l’une des chevilles ouvrières de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), qui a permis, de 2000 à 2025, aux pays africains d’exporter des produits vers les États-Unis sans payer de taxes. Elle est restée en bons termes avec plusieurs chefs d’État du continent, à l’instar du Rwandais Paul Kagame.
Whitaker et Duncan-Williams se sont mariés en 2008, dans le Maryland. À cette époque, la technocrate est déjà l’une des lobbyistes de Washington les mieux connectées en Afrique. Un rapport du département américain de la Justice, daté de décembre 2006, liste les différents contrats qui, moyennant plusieurs centaines de milliers de dollars par an, lient sa société, le Whitaker Group, aux présidences de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Ghana ou encore de l’Ouganda.
Fort de ses milliers d’adeptes qui, chaque dimanche, viennent se recueillir à l’Action Chapel International, et des près de trois millions d’abonnés qui suivent ses prêches sur les réseaux sociaux, Nicholas Duncan-Williams est un incontournable au Ghana. Bien qu’il n’affiche pas de véritable préférence partisane, c’est un allié de poids pour tout prétendant à la magistrature suprême à Accra. Son réseau est parfois mis à profit dans la sous-région.
De Tshisekedi à Oligui
Ce n’est donc pas un hasard si Paula White a choisi de convier le couple à prendre part à sa tournée. Nicholas Duncan-Williams entretient des liens directs avec certains des chefs d’État auxquels la pasteure a rendu visite. C’est le cas de Félix Tshisekedi, avec qui il partage la même sensibilité religieuse. Les deux hommes ont été mis en relation en octobre 2018 par le pasteur congolais Olivier Chekinah, lui aussi membre de la délégation de Paula White. Alors en campagne pour l’élection présidentielle, Félix Tshisekedi s’était rendu à Accra et avait été reçu à l’Action Chapel International. Nicholas Duncan-Williams avait alors prédit sa victoire.
Ces pasteurs qui murmurent à l’oreille de Félix Tshisekedi
Fervent pentecôtiste et adepte du Centre missionnaire Philadelphie, l’une des Églises les plus influentes de Kinshasa, Félix Tshisekedi l’avait en retour convié à son investiture, trois mois plus tard. Les deux hommes sont restés proches et ont continué à se fréquenter, à Kinshasa comme à Accra. Le 7 janvier dernier, Nicholas Duncan-Williams a ainsi profité de la venue du président congolais dans la capitale ghanéenne à l’occasion de l’investiture de John Dramani Mahama pour organiser un dîner en son honneur à son domicile. Parmi les invités, triés sur le volet, « l’archevêque » avait notamment convié la vice-ministre israélienne des Affaires étrangères, Sharren Haskel, ou encore la maire de Los Angeles, Karen Bass.
Également présent ce soir-là, Brice Clotaire Oligui Nguema. Le président gabonais connaît lui aussi le prédicateur ghanéen. Selon nos informations, ce dernier avait notamment sollicité son soutien en faveur de la campagne de John Dramani Mahama. Le chef d’État gabonais avait accepté un appui discret.
« Diplomatie religieuse »
L’archevêque ghanéen a fait la connaissance du tombeur d’Ali Bongo Ondimba en 2024, par l’entremise du pasteur gabonais Mike Jocktane. C’est ce dernier qui a facilité la venue de Paula White à Libreville. Elle-même avait déjà rencontré Brice Clotaire Oligui Nguema lors de sa venue à la Maison-Blanche, en juillet dernier. Tout juste rentré d’Italie, le 5 novembre, le président gabonais a donc tenu à recevoir durant deux heures Paula White et Nicholas Duncan-Williams au Palais du bord de mer. « Une visite de courtoisie, qui a permis de parler spiritualité », résume une source proche de la délégation. Une visite qui a aussi permis à Oligui Nguema de faire passer des messages à Donald Trump sur les engagements pris en juillet à la Maison-Blanche, y compris sur le prochain retour d’ExxonMobil au Gabon.
Car Paula White a beau venir « dans un cadre personnel », elle n’est pas une invitée comme les autres. En témoigne le temps dégagé pour elle par chaque président, à l’instar de Paul Kagame, qui a organisé un dîner pour ses deux invités de marque. « Comme d’autres chefs d’État, Paul Kagame a compris l’enjeu de sa présence et le rôle majeur que Paula White joue auprès de Donald Trump, indique l’un de ses relais sur le continent. Il y a une vraie diplomatie religieuse. »
C’était d’ailleurs une condition sine qua non dans le choix des étapes : Paula White devait obtenir dans chaque pays visité la garantie d’un entretien avec le président. Et à l’instar de son voisin rwandais, Yoweri Museveni a lui aussi reçu Paula White et sa délégation, en marge d’une session de prières organisée par Robert Kayanja. L’étape de Brazzaville – moins d’une heure – ne fut que technique et s’est imposée à la délégation malgré l’absence de Denis Sassou-Nguesso : contraint par les interdictions de survol du territoire congolais depuis Kigali, l’avion ne pouvait pas se rendre à Kinshasa depuis la capitale rwandaise.
Peut-on pour autant considérer la patronne du Bureau de la foi comme une ambassadrice de Washington ? « Paula White n’était pas envoyée par le président Trump. Étant dans la région, elle ne s’est pas privée d’écouter les préoccupations des chefs d’État concernés par le conflit dans l’est de la RDC, mais elle a préféré se concentrer sur l’aspect spirituel de sa mission », insiste l’un de ses proches.
Reste que sa venue s’est inscrite au milieu d’un calendrier diplomatique tendu. Après avoir maintes fois repoussé la date de la signature d’un accord de coopération et d’intégration économique régional, l’administration Trump espère désormais réunir Félix Tshisekedi et Paul Kagame à Washington début décembre. Il s’agirait d’une nouvelle étape dans un processus de paix laborieux, censé permettre de mettre un terme aux « bruits de bottes » dans l’Est. Celui dont Paula White a prédit qu’il interviendrait d’ici à la fin de l’année.
Jeune Afrique



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