Procès Matata : controverses sur la régularité de la composition de la Cour constitutionnelle. Cas du juge Kamulete Badibanga Dieudonné

Tribune de Maitre Kiyombo Makonga Janvier Lemere, Avocat au barreau du Haut-Katanga et Doctorant en droit public de l’université de Lubumbashi
Au-delà des irrégularités dénoncées dans le légendaire procès le Ministère public C/l’honorable Matata Ponyo Augustin et consorts, notamment : deux arrêts contradictoires rendus par une même juridiction et dans une même affaire (R. Const. 0001 du 15 novembre 2021 et R. Const. 1816 du 18 novembre 2022), il y a également irrégularité de la composition de la Cour constitutionnelle qui ne garantit pas un procès équitable.
En effet, il y a composition irrégulière d’une juridiction lorsque celle-ci ne respecte pas les règles concernant son organisation et son fonctionnement. Cela peut inclure un nombre incorrect de juges ou lorsque les juges ne sont pas compétents. En droit congolais, comme ailleurs, la régularité de la composition d’une juridiction est un principe fondamental de droit pénal. Ce qui veut dire que les juges appelés à rendre des arrêts ou des jugements doivent être légalement compétents et régulièrement nommés. Tel ne semble malheureusement pas être le cas de la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo, où on relève la présence de quelques juges non habilités pour y siéger.
Pour rappel, la Cour constitutionnelle a été effectivement installée le 4 avril 2015 après avoir fonctionné depuis 2006 au sein de la Cour suprême de justice comme une section conformément à l’article 223 de la Constitution du 18 février 2006. C’était donc le début d’un mandat de 9 ans des membres de la toute première composition de cette Cour, mandat qui, aux termes de l’article 3 de son règlement intérieur, a pris effet à compter de la prestation de serment.
Ci-dessous, les membres de la première composition :
1. Lwamba Bindu Bénoit, Président ;
2. Banyaku Luape Epote Eugene, Membre ;
3. Esambo Kangashe Jean-Louis, Membre ;
4. Funga Molima Mwata Evariste-Prince, Membre ;
5. Kalonda Kele Oma Ivon, Membre ;
6. Kilomba Ngozi Mala Noël, Membre ;
7. Vunduawe te Pemako Félix, Membre ;
8. Wasenda N’Songo Corneille, Membre ;
9. Mavungu Mvumbi-di-Ngoma Jean-Pierre, Membre.
En effet, aux termes de l’article 158, alinéas 3 et 4 de la Constitution du 18 février 2006, telle que modifiée, « le mandat des membres de la Cour constitutionnelle est de neuf ans non renouvelable » (alinéa 3). « La Cour est renouvelée par le tiers tous les trois ans. Lors des deux premiers renouvellements, il est procédé par tirage au sort du membre sortant par groupe pour les membres initialement nommés » (alinéa 4).
Aux termes de l’article 6, alinéa 2 de la loi organique portant organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, « la Cour constitutionnelle est renouvelée par le tiers tous les trois ans. Lors de deux premiers renouvellements, il est procédé au tirage au sort du membre sortant par groupe pour les membres initialement nommés ».
L’article 8 de la même loi organique dispose que, « le membre de la Cour nommé en remplacement de celui dont les fonctions ont pris fin avant terme achève le mandat de ce dernier. Il peut être nommé pour un autre mandat s’il a exercé les fonctions de remplacement pendant moins de trois ans ».
Il se dégage de la lecture de ces dispositions que chaque juge nommé à la Cour constitutionnelle a un mandat de 9 ans non renouvelable à l’issue duquel son mandat prend définitivement fin. Cependant, s’agissant de 9 premiers membres, étant donné que la Cour constitutionnelle doit être renouvelée par le tiers tous les 3 ans, trois juges parmi les 9 membres initiaux n’auront qu’un mandat de 3 ans parce que devant être tirés au sort lors du premier renouvellement triennal. Trois autres juges auront un mandat de 6 ans parce qu’ils devront également être tirés au sort lors du deuxième renouvellement triennal de la Cour. Enfin, les trois derniers membres restant, feront un mandat de 9 ans et devront naturellement quitter la Cour lors du troisième renouvellement, c’est-à-dire au 4 avril 2024, car ils auront épuisé leur mandat.
C’est ce qui ressort de dispositions de l’article 116 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle : « sans préjudice des dispositions de l’article 6 de la présente loi organique, les membres de la première formation de la Cour, tirés successivement au sort par groupe de trois selon leur autorité de désignation, auront, à titre exceptionnel, respectivement un mandat de trois, de six et de neuf ans ». Bref, pour la première composition de la Cour constitutionnelle, il faut retenir que le mandat du juge prend fin au bout de 9 ans ou, exceptionnellement, au moment du renouvellement triennal par tirage au sort.
Il se dégage également de la lecture des dispositions susvisées deux régimes de remplacement à la Cour constitutionnelle :
– Le remplacement qui s’opère au moment du renouvellement triennal de la Cour par tirage au sort (on parle de l’expiration du mandat du juge tiré au sort) ;
– Et le remplacement qui intervient à la suite d’une démission (volontaire ou d’office), d’un décès ou d’une révocation et qui a pour base l’article 8 de la loi organique susvisée (on parle de la cessation des fonctions du juge avant le terme de son mandat).
Voilà pourquoi, aux termes de l’article 9 de l’Ordonnance n°16-070 du 22 août 2016 portant dispositions relatives au statut particulier des membres de la Cour constitutionnelle, « les fonctions des membres de la Cour constitutionnelle prennent fin par : expiration du mandat ; démission volontaire ou d’office ; révocation et décès ». Ceci pour dire que le premier mode de remplacement est consécutif à l’expiration de mandat et le deuxième mode de remplacement est tributaire de la cessation des fonctions avant le terme du mandat.
L’intérêt de distinction de ces modes de remplacement réside sur leurs effets juridiques. Les effets juridiques d’un remplacement à l’issue du renouvellement triennal de la Cour par tirage au sort ne sont pas les mêmes que ceux d’un remplacement sur la base de l’article 8, c’est-à-dire en dehors du tirage.
Ceci veut dire que les membres de la Cour nommés après tirage au sort ne sont pas à confondre avec les membres nommés en remplacement, visés à l’article 8 de la loi organique précitée, car il s’agit là d’un renouvellement normal de la Cour prévu à l’article 6 susvisé. Ces membres sont nommés pour commencer leur propre mandat (de 9 ans) et non pas pour achever le mandat de ceux qu’ils remplacent. En revanche, les membres nommés en remplacement, en dehors de tout renouvellement triennal, sur la base de l’article 8, c’est-à-dire, les membres nommés pour remplacer les juges dont les fonctions ont pris fin avant terme, achèvent le mandat de ces derniers. Raison pour laquelle on les appelle juges de remplacement. Sous d’autres cieux, on les appelle juges intérimaires. C’est le cas du juge nommé en remplacement d’un membre décédé avant la fin de son mandat ou encore en remplacement d’un membre qui a démissionné ou qui a été révoqué en cours de mandat.
En date du 17 juillet 2020, par l’ordonnance n°20/116, trois juges ont été nommés à la Cour constitutionnelle. Il s’agit des juges Kaluba Dibwa Dieudonné (en remplacement du juge Bénoit Lwamba, démissionnaire), Kalume Asengo Cheusi (en remplacement du juge Jean Ubulu Pungu, nommé juge président à la Cour de Cassation) et Kamulete Badibanga Dieudonné (en remplacement du juge Noël Kilomba Ngozi, nommé également juge président à la Cour de Cassation).
Les nominations susvisées (de juillet 2020) n’interviennent pas à l’issue d’un tirage au sort, mais plutôt à la suite d’une démission volontaire (Bénoit Lwamba) et de deux démissions d’office (Jean Ubulu et Noël Kilomba). La démission d’office peut être constatée, notamment, lorsqu’un membre de la Cour constitutionnelle aurait exercé une activité ou accepté une fonction incompatible avec sa qualité ou qui n’aurait pas la jouissance de droits civils et politiques. Pour cela, la loi lui accorde un délai de 8 jours à dater de la notification de la décision de nomination pour lever l’option. (Articles 34 et 35 de la loi organique). Nous n’allons pas rentrer dans le débat sur la révocation inconstitutionnelle et illégale de mandat des juges Ubulu et Kilomba. Nous y avons consacré toute une section dans notre ouvrage sur « la Justiciabilité des lois de révision constitutionnelle en droit congolais » paru aux éditions Presses universitaires de Lubumbashi (P.U.L) en janvier 2025.
Il découle de ce qui précède que la nomination du juge Kamulete Badibanga Dieudonné intervient en dehors du renouvellement triennal de la Cour constitutionnelle et tombe, donc, sous le coup de l’article 8 de la loi organique. Les fonctions de son prédécesseur (Noël Kilomba Ngozi, juge de la première composition, nommé depuis 2015) ayant pris fin avant terme, il devait achever le mandat de ce dernier qui expirait en 2024 (9 ans). Pour quelle raison continue-t-il d’exercer ?
Sa présence dans la composition de la Cour constitutionnelle est, par conséquent, une violation flagrante de son serment (lui qui a juré de « remplir fidèlement et loyalement les fonctions de membre de la Cour constitutionnelle… de les exercer dans le respect de la Constitution… ») et un manquement aux devoirs prescrits par la loi organique. Fait constitutif d’une faute disciplinaire sanctionnée conformément aux dispositions du statut des membres de la Cour. (Articles 10 et 30 loi organique).
Comme on a pu le constater ci-dessus, Monsieur Kamulete Badibanga Dieudonné n’est pas le seul qui aurait du quitter la Cour constitutionnelle depuis 2024, il y a d’autres cas similaires qui méritent attention.
Il faut souligner qu’en RDC, le tirage au sort prévu pour le renouvellement de mandat des membres de la Cour constitutionnelle a été une expérience malheureuse. En effet, depuis l’installation de la première composition de la Cour constitutionnelle le 4 avril 2015 jusqu’au 4 avril 2024, soit en 9 ans, le tirage au sort n’a été effectué qu’une seule fois et hors délai.
Le premier tirage au sort devrait pourtant avoir lieu trois ans après l’installation de la Cour, c’est-à-dire, en avril 2018. Mais il n’a pas eu lieu à la suite d’un décès (Yvon Kalonda Kele Oma) et de deux démissions (Jean-Louis Esambo Kangashe et Eugène Banyaku Luape Epotu). Il y avait déjà, d’après la Cour constitutionnelle, trois départs qui appelaient trois remplacements. Le deuxième tirage qui devrait intervenir au plus tard en avril 2021, a finalement été organisé le 10 mai 2022, c’est-à-dire, après une année de retard, sous la pression de la Présidence de la République.
Ce qui veut dire qu’en dehors de l’unique tirage au sort de mai 2022, tous les autres remplacements effectués à la Cour constitutionnelle tombent sous le régime de l’article 8 de la loi organique qui prend en charge les cas de remplacement à la suite du décès, de la démission (volontaire ou d’office) et de la révocation. Ceci signifie que les juges nommés en 2018 en remplacement de celui décédé et de deux démissionnaires sont venus achever le mandat de leurs prédécesseurs et non commencer un nouveau mandat. Il s’agit des juges Jean Ubulu Pungu (en remplacement du juge Esambo), François Bokona Wiipa (en remplacement du juge Banyaku) et Norbert Nkulu Kilombo Mitumba (en remplacement du juge Kalonda).
Cependant, une certaine opinion (venant même de membres de la Cour constitutionnelle) a malheureusement considéré que la Cour s’est renouvelée d’office du fait de cette heureuse ou malheureuse coïncidence d’un décès et deux démissions avec le renouvellement triennal de la Cour (2018) et qu’il fallait tirer les conséquences juridiques d’un renouvellement par tirage. Comme il y avait déjà trois départs, un cas de force majeur, il fallait trois remplacements. Comme qui dirait, la Cour a été dispensée de l’organisation du tirage au sort. Tel n’est pas notre avis et surtout pas du législateur du 15 octobre 2013. Le tirage au sort ne se présume pas. Il est organisé selon les modalités de l’article 116 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle qui charge le Greffier en Chef de son organisation.
De G à D: Me Janvier Lemere Kiyombo Makonga, Augustin Matata Ponyo (Député National) et Dieudonné Kamulete Badibanga
Et donc, à notre avis, ces trois remplacements sont à inscrire sur le registre de l’article 8 de la loi organique. En conséquence, le juge Ubulu devait poursuivre le mandat de Esambo, le juge Bokona le mandat de Banyaku et le juge Nkulu le mandat de Kalonda. Il en est ainsi de tous les juges qui ont été nommés en dehors du tirage au sort. Comme la juge Kalume Asengo Cheusi Alphonsine qui a remplacé le juge Jean Ubulu en 2020. Ce dernier avait à son tour remplacé le juge Jean-Louis Esambo en 2018. C’est donc le mandat de Jean-Louis Esambo qui continue (Esambo-Ubulu- Asengo « 2015-2024 »). Asengo a déjà achevé depuis le 4 avril 2024 un mandat qui a commencé le 4 avril 2015 et, par conséquent, elle aurait du quitter la Cour constitutionnelle à cette date, conformément aux dispositions de l’article 7 de la loi organique, selon lesquelles, « il est pourvu au remplacement de tous membres de la Cour constitutionnelle un mois au plus tôt ou une semaine au plus tard avant l’expiration du mandat ».
C’est également le cas du juge Mandza Bondia Dieudonné, nommé en 2022 (ord. n° 22/062 du 14 juin 2022) en remplacement du Juge Mongulu T’Apangane Polycarpe décédé. Ce dernier avait en 2018 remplacé le juge de la première composition Vunduawe Te Pemako Félix. (Vunduawe – Mongulu – Mandza « 2015-2024 »). Par conséquent, le juge Mandza devait quitter la Cour constitutionnelle depuis avril 2024, avec possibilité d’être nommé pour un prochain mandat puisqu’il a exercé les fonctions de membre de la Cour pendant moins de 3 ans (article 8 loi organique). Malheureusement, il continue de siéger. Il en est de même du juge Norbert Nkulu Kilombo nommé en 2018 (ord. n°18/038 du 14 mai 2018) en remplacement du juge Ivon Kalonda (de la première composition) décédé en avril 2018. (Kalonda-Nkulu « 2015-2024 »). Même situation pour François Bokona Wiipa, nommé en 2018 (ord. n°18/038 du 14 mai 2018) en remplacement du juge Eugène Banyaku Luape qui avait démissionné. (Banyaku – Bokona « 2015-2024 »).
Et donc, les juges Kamulete, Asengo, Mandza, Nkulu et Bokona nommés sur la base de l’article 8 de la loi organique (et non après tirage au sort) ne sont pas habilités à siéger à la Cour constitutionnelle. Ils sont juges de remplacement, c’est-à-dire, nommés pour poursuivre les mandats de leurs prédécesseurs qui s’achevaient en avril 2024. C’est plutôt leurs remplaçants qui devraient commencer un nouveau mandat de 9 ans. Leur présence dans la composition de la Cour est un vice et a pour conséquence l’irrégularité de la composition de cette prestigieuse juridiction.
La conséquence d’une composition irrégulière d’une juridiction est la nullité de la décision ou de tous les actes commis par cette juridiction. Même si la loi ne le prévoit pas expressément, la jurisprudence de la Cour suprême de justice admet comme principe général de droit qu’une décision de justice ne peut valablement être rendue par des juges non habilités et l’irrégularité dans la composition constitue une nullité de la décision… (C.S.J., R.P. 5, 30 juillet 1969, Affaire Itwa C/Ministère public et Guma), (C.S.J., R.P.A. 5, 22 juin 1972, Affaire Tuluka Désiré C/Ministère public et Boekwa Jean et consorts, Bulletin des arrêts de la Cour suprême de justice année 1972, année d’édition 1973, pp. 100-110).
L’arrêt de la Cour constitutionnelle condamnant l’honorable Matata Ponyo en date du 20 mai 2025 serait nul et non avenu. Il ne saurait en aucun cas être opposable, exécutoire ou s’imposer au concerné. Seuls les arrêts rendus régulièrement peuvent s’imposer conformément à l’article 168, alinéa 2 de la Constitution du 18 février 2006.
Le droit à un procès équitable est garanti par la Constitution et les instruments juridiques internationaux auxquels la RDC a adhéré. La régularité de la composition d’une juridiction est une garantie fondamentale du droit à un procès équitable. La violation de ce droit peut être alléguée devant les instances internationales de protection et de promotion des droits de l’homme, notamment, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
Un groupe d’individus ne peut prendre en otage la plus haute juridiction du pays en matière constitutionnelle. La République démocratique du Congo est un Etat de droit et non un empire anarchique. J’en appelle à l’arbitrage du Président de la République, magistrat suprême (lui qui a prêté serment en jurant de « respecter et de sauvegarder la Constitution et les lois de la République… ») pour faire respecter les principes torpillés et restaurer l’ordre bafoué.
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