Quelle école pour un salaire communiste ?

Quelle école pour un salaire communiste ?

(Par Prof. Patience Kabamba)

En traitant de la question du salaire communiste, l'objectif est d'éclaircir les raisons pour lesquelles nous luttons toute notre existence pour que cela se concrétise ici sur terre dans l'instant présent, et non dans un paradis lointain céleste. En suivant les travaux de Frederic Lordon et Bernard Friot (2021), nous faisons la distinction entre un salaire de type communiste et un salaire de type capitaliste. Le salaire capitaliste correspond à ce qui est rémunéré par tâche accomplie. C'est le salaire que l'on vous attribue une fois la tâche accomplie. Le salaire communiste correspond à ce qui est versé avant l'exécution de toute tâche. C'est la rémunération à laquelle on a droit en tant que citoyen et qui permet de reconnaître son statut de producteur de valeurs marchandes ou non marchandes. Le système capitaliste rémunère à la tâche, tandis que le système communiste octroie une rétribution à tout adulte indépendamment de sa profession.

Le terme « communisme » suscite la peur, car le capitalisme, dans sa puissance, a cherché à dénigrer l'arme qui le menace de manière directe. Dans son ouvrage L'Idéologie allemande, Marx caractérise le communisme comme « l'action concrète qui s'oppose au capitalisme ». Tout effort dans la réalité (présent et non futur) qui nous mène à abandonner le capitalisme est considéré comme communiste. Dans les circonstances présentes, il n'est pas possible de verser un salaire communiste. Cela requiert une transformation de l'école, de la méthode d'apprentissage et de l'introduction à la vie.

Il est urgent, d'un point de vue anthropologique, de réformer l'école congolaise. Pour mettre en place le salaire communiste dans notre pays, il est nécessaire de disposer d'un système éducatif entièrement différent de celui que nous avons actuellement. Le travail communiste est celui qui permet au travailleur de décider lui-même ce qu'il souhaite produire, et où la rémunération est versée avant même le début de toute production. La rémunération ne découle pas d'un acte économique effectué – comme dans le travail capitaliste - mais elle représente une compensation anticipée reconnue pour l'individu comme producteur de valeurs. Ce salaire sera versé sans interruption et pour toute la durée de la vie, indépendamment des actions entreprises.

L'école qui se doit de former ce type de professionnels pour le Congo devrait favoriser une éducation axée sur la responsabilité, la collaboration et non sur la concurrence comme c'est actuellement le cas. Si vous attribuez chaque mois un revenu à un jeune de 18 ans, il ou elle risque de le dilapider en frivolités. Il ne s'agit pas que le jeune soit malintentionné, non, c'est simplement que l'école qui l'a instruit ne lui a pas inculqué le sens de la responsabilité économique. Dans l'école actuelle, on ne nous apprend pas à collaborer : tous travaillent individuellement, en défendant leur propre travail contre les autres. Mes étudiants se sentent systématiquement très inconfortables lorsque je leur demande de passer l'épreuve ou le quiz en groupe de deux ou trois, en coopération. Les élèves ont été préparés à réussir de manière individuelle. Aujourd'hui, notre école évalue les élèves en fonction d'un système de notation, distinguant ainsi les bons élèves des moins performants. Il est clair que nous devons réévaluer notre système de notations, car il contribue à l'individualisation des étudiants dans un monde où la collaboration et la responsabilité collective sont essentielles.

Nous avons besoin d'une école qui forme des citoyens congolais capables de prendre des décisions concernant le travail, de déterminer ce qui doit être fabriqué dans une entreprise ou de gérer une entreprise. Par exemple, les cours en comptabilité privée aideront les jeunes à comprendre la responsabilité économique. Une éducation civique qui répond à des questions comme : que devons-nous produire pour notre Congo, serait également bénéfique. Quel type de relation devrions-nous établir avec les autres formes de vie sur cette planète, qui ne sont pas humaines ? Quels sont les impacts de telle ou telle technologie sur le plan anthropologique ? En somme, il est essentiel d'enseigner la responsabilité aux jeunes, depuis la maternelle jusqu'à l'université. L'objectif est de créer une école qui forme des citoyens capables de prendre des décisions concernant leur travail pour transformer le pays.

L'idée que le mot travail provient de « tripalium », signifiant corvée ou torture, est incorrecte. En réalité, son origine serait plutôt liée à « travel » en anglais, qui signifie progresser en surmontant des obstacles. Nous œuvrons pour ne pas être enchaînés au capitalisme, ce dernier ne voyant l’homme que comme un être de besoins, axé sur le pouvoir d'achat. Il est donc nécessaire de le rémunérer pour répondre à ses besoins et pour qu'il reprenne son travail. Le travail anthropologique est ce qui nous façonne en tant que générateurs de valeurs, en tant que détenteurs d'autorité sur la valeur. Le travail capitaliste n'a pas de valeur anthropologique, il ne nous façonne qu'en tant qu'êtres ayant des besoins. L'œuvre anthropologique est celle qui nous habilite à déterminer ce que nous souhaitons entreprendre, à définir le contenu de l'œuvre, le contenu à offrir à notre nation, le Congo. Il faut que nous prenions du recul par rapport au fétichisme lié au déficit économique. Le seul déficit auquel nous devons faire attention est celui des compétences techniques, de la capacité à évaluer, et de la capacité à apprécier l'outil technologique. L'élément crucial pour notre émancipation réside dans la conquête du contrôle sur le travail.

Cette méthode de travail est applicable ici et à l'instant, pas dans un avenir incertain. Dans le milieu universitaire actuel, on considère que seule la classe dominante sait ce qu'elle veut et comment y parvenir. Il s'agit de la classe bourgeoise. Il est essentiel, dit-on,  de se montrer solidaire envers les autres, en particulier les Africains, les personnes de couleur et les femmes, qui sont des individus vulnérables. Non, la bourgeoisie n'est pas la seule classe en tant que telle. Nous ne sommes pas des vaincus, ni des victimes du capitalisme. Nous avons le potentiel de changer le monde si nous prenons l'initiative d'améliorer d'abord l'éducation au Congo. Voilà le communisme en lequel je crois de tout mon être.

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