Mani Kongo et la question de la langue : une incohérence culturelle dans le film Pièces d’identités

(Par Charlie Jephthé Mingiedi Mbala N’zeteke, Activiste, penseur et Notable de Madimba)
C’est la question d’un compatriote vivant en Afrique du Sud qui m’a poussé à écrire cette tribune. Il m’a interpellé à propos du film Mission Impossible, où il a découvert la mention du « Kongo Yowa », présenté comme un lieu en Afrique du Sud. Après vérification, il ne s’agit pas d’un espace géographique, mais bien d’un cosmogramme Kongo, symbole spirituel et philosophique du Bas-Congo, actuellement appelé Kongo-Central.
De la même manière, le film Pièces d’Identités (1998) de Mwenze Ngangura, co-production franco-belgo-congolaise, raconte l’histoire touchante d’un vieux roi Kongo, Mani Kongo, parti en Belgique à la recherche de sa fille. Cette œuvre, célébrée pour son humanisme et son plaidoyer en faveur de la dignité africaine face à l’exil, marqua son époque et fut couronnée du Grand Prix Étalon de Yennenga au FESPACO 1999, à Ouagadougou.
Pourtant, derrière ce succès se cache une incohérence culturelle majeure : le roi Mani Kongo y parle en tshiluba, et non en kikongo.
J’avoue avoir été profondément choqué par ce choix. Car dans l’histoire du royaume du Kongo couvrait à son apogée des territoires situés dans l'Afrique centrale, incluant le nord de l'Angola, le sud de la république du Congo (Congo-Brazzaville), l'extrémité occidentale de la république démocratique du Congo (Congo-Kinshasa, y compris le Kongo-Central) et le sud-ouest du Gabon, la langue de la cour royale, de la diplomatie et de l’identité collective a toujours été le kikongo. Le titre de Mwene Kongo ou Mani Kongo ne peut se concevoir en dehors de cette langue, véritable cœur de l’héritage du peuple Kongo.
Dès lors, cette option linguistique pose problème. Était-ce un compromis lié aux acteurs retenus ? Une approximation née d’une méconnaissance de l’histoire ? Quelles qu’en soient les raisons, le résultat demeure une falsification culturelle, réduisant la mémoire Kongo à une simple africanité générique et interchangeable.
Aujourd’hui, je revendique la restitution culturelle du kikongo dans ce film. Car rendre justice à Mani Kongo, ce n’est pas seulement rappeler son rôle historique : c’est aussi lui redonner sa voix véritable. Le kikongo est le souffle même de notre mémoire collective. L’effacer, c’est effacer une part de notre dignité.
Rendre au Mani Kongo le kikongo, c’est rétablir la vérité et affirmer la singularité d’un peuple qui refuse l’oubli.
Comme vous le savez tous, je suis un vrai patriote et nationaliste, qui a toujours milité pour l’officialisation de nos quatre langues nationales. Mon intervention sur le film Pièces d’identités s’inscrit donc dans une démarche de rétablissement de la vérité historique de notre pays. Je valorise la diversité culturelle de notre nation et je ne peux rester indifférent face à une falsification, même lorsqu’elle se présente sous forme de fiction. Car la langue n’est pas un simple détail, elle est l’âme d’un peuple. En représenter le Mani Kongo sans sa langue naturelle, le kikongo, c’est trahir l’histoire et l’identité de nos ancêtres.
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