Pourquoi l’Etat congolais laisse mourir ses chantiers : cas de Metrokin et RN4

Pourquoi l’Etat congolais laisse mourir ses chantiers : cas de Metrokin et RN4

(Enquête réalisée par Belhar Mbuyi et Aristote Kajibwami)

 

Pourquoi l’Etat congolais peine-t-il autant à honorer les contrats qu’il signe avec des entreprises dans le cadre des partenariats public-privé (PPP), pourtant essentiels à la construction d’infrastructures vitales ? Trop souvent, l’histoire se répète : signature en grande pompe, premières tranches versées… puis silence radio. Les changements de gouvernement balayent tout, les chantiers s’arrêtent, les projets tombent dans l’oubli, sans explication crédible. Cette instabilité mine la crédibilité internationale du pays et prive la population d’ouvrages indispensables à son développement. Notre média, Finance-cd.com, a mené une série d’enquêtes sur les chantiers annoncés tambours battants avant d’être, compromis, voire abandonnés en rase campagne souvent à cause de problèmes de capacités et de compétences des administrations et des autorités, d’une éthique défaillante à tous les niveaux, mais aussi parfois de simples égos des hommes au pouvoir. Dans cette première partie de notre enquête, nous présentons deux exemples emblématiques : le projet Métrokin et la construction de la route Kisangani–Beni.

Metrokin et la RN4, deux projets stratégiques et structurants d’infrastructures abandonnés à leur triste sort

En effet, ce devait être deux vitrines du développement congolais : un train urbain moderne pour désengorger Kinshasa et la réhabilitation d’une route stratégique de 750 km reliant Kisangani à Beni. Aujourd’hui, Métrokin et la RN4 s’enlisent dans les méandres politiques et administratifs, laissant en suspens des milliards de dollars de retombées économiques et des millions de citoyens toujours privés d’infrastructures vitales.

Des chiffres qui parlent

Projet

Investissement prévu

Emplois attendus

Retombées annuelles estimées

Statut

Metrokin (phase 1)

500 M USD

6 000 à 10 000

70 à 140 M USD

Bloqué avant travaux

RN4 Kisangani–Beni

90 M USD à charge du Trésor + prêt Eximbank China

Non précisé

Axe stratégique de 750 km

Travaux ralentis

Capacité Metrokin phase 1

420 000 passagers/jour

Durée estimée des travaux Metrokin

2,5 ans

Un projet d’une grande ambition

C’est un vieux rituel congolais : à chaque mandat, le gouvernement sort son chéquier, claque des centaines de millions de dollars pour acheter des bus rutilants, puis les confie à une entreprise publique dont la seule performance garantie est… la faillite programmée. On applaudit, on coupe le ruban, on prend les photos. Puis, quelques mois plus tard, les bus finissent en tas de ferraille au dépôt, pendant que la ville suffoque dans ses embouteillages. Et tout le monde continue de faire semblant d’ignorer l’évidence : aucune grande ville au monde ne s’en sort sans rail urbain. Mais visiblement, chez nous, le train des idées sensées passe toujours… sans s’arrêter.

Chaque matin, Kinshasa s’étouffe dans ses propres artères. Les embouteillages avalent des heures de vie, les klaxons forment une bande sonore épuisante, et les transports publics, rares et vétustes, peinent à suivre le rythme d’une ville de plus de 15 millions d’habitants.
Au milieu de ce chaos urbain, un projet porte un souffle d’espoir : Metrokin, un train urbain moderne qui ambitionne de transformer en profondeur la mobilité de la capitale.

Tout a commencé par un simple courrier. Transconnection Congo, société privée congolaise, approche séparément l’ONATRA et la Ville de Kinshasa pour proposer un partenariat autour d’un transport ferroviaire urbain digne d’une grande capitale.
Séduits, les deux partenaires signent des mémorandums. L’entreprise engage alors des études de faisabilité avec les sociétés italiennes Technital et Italferr. Validées par l’ONATRA et transmises au gouverneur Gentiny Ngobila, elles arrivent sur la table du ministre du Portefeuille, qui mandate le COPIREP pour créer et structurer Metrokin, société désormais inscrite au portefeuille de l’État.

Un chantier à forte valeur ajoutée

Metrokin ne se limite pas à poser des rails : il dessine une nouvelle géographie urbaine et économique. Le projet réunit plusieurs avantages clés. Il s’agit, notamment, de construire 300 km de rails en quatre phases, dont une première ligne de la gare centrale à l’aéroport de Ndjili avec 8 gares modernes, 16 trains de dernière génération, une centrale thermique de 30 MW et de nouvelles infrastructures (ponts, bâtisses, avenues). Metrokin envisage de créer 6 000 à 10 000 emplois directs et indirects créés dès la première phase, avec une rentabilité attendue de 70 à 140 millions USD par an au départ, pour atteindre 400 à 600 millions USD à la quatrième phase.

Le projet vise également à valoriser le foncier le long du corridor ferroviaire, mais aligne également une capacité de transport de 420 000 passagers par jour dans la première phase, et jusqu’à 9 millions dans la quatrième. Enfin, il constituera un Soft power urbain puissant, étant un projet structurant et novateur qui s’inscrit dans la vision du président Félix Tshisekedi pour moderniser la mobilité.

Ce qui bloque le départ

Malgré un potentiel évident, Metrokin reste freiné par plusieurs obstacles, détaillés par son initiateur, Éric Onepunga, dans une interview qu’il a nous a accordée.

  1. Projets concurrents brouillant l’image
    L’ONATRA, pourtant actionnaire, mène sa propre réhabilitation de voie sans financement, avec une emprise réduite à 5 mètres, alors que Metrokin en nécessite 20. Cette confusion inquiète les bailleurs.
  2. Libération des emprises
    Indispensable pour lancer les travaux, elle doit se faire dans le respect du Processus d’intégration environnementale (évaluations des impacts, durabilité, gestion sociale). Metrokin a mené des études conformes aux standards internationaux, condition sine qua non pour attirer les investisseurs.
  3. Contrats clés non signés
    Trois accords restent en suspens :
    • Contrat d’interface Metrokin–ONATRA
    • Contrat d’interface Metrokin–RVA
    • Contrat d’appui et de garantie avec l’État congolais (Ministères des Finances, Budget, Transports, Portefeuille, Plan).
  4. Financement de la phase initiale

Après avoir réussi à mobiliser les principaux acteurs financiers du continent, l’ancien ministre des Finances, Nicolas Kazadi, a confié la coordination de la structuration financière du projet à African Finance Corporation (AFC), la même institution impliquée aux côtés des États-Unis dans le projet ferroviaire de Lobito.

À ce jour, les engagements de financement confirmés s’élèvent à 740 millions de dollars, répartis ainsi : AFC 300 M USD, Banque Africaine de Développement (BAD) 200 M USD, Development Bank of Southern Africa (DBSA) 75 M USD, Africa50 50 M USD, et Trade and Development Bank (TDB) 100 M USD.

Les bailleurs sont prêts à financer la phase de construction, mais le gouvernement doit prendre en charge la phase préparatoire via le Bureau Central de Coordination (BCECO).

Suite à la lenteur du processus de relocalisation des familles occupant illégalement les emprises de la voie ferrée, les 20 millions de dollars alloués au BCECO par le ministère des Finances en mai 2022 pour le projet, n’ont été consommés qu’à concurrence 6 millions, essentiellement pour des études et travaux préparatoires. Cela a contraint le ministre à ordonner le reversement du reliquat non utilisé dans le fonds commun destiné aux projets en cours de mise en œuvre par le BCECO.

  1. Absence d’un comité de pilotage

Éric Onepunga plaide pour une structure réunissant la présidence, la primature, Metrokin, la Ville, le BCECO et les ministères concernés pour arbitrer rapidement les blocages.

  1. Perte de soutiens politiques
    Un tel projet d’envergure n’a de salut qu’à la mesure du soutien politique dont il dispose. Le projet Métrokin avançait grâce au soutien actif de Nicolas Kazadi (ex-ministre des Finances), de Gentiny Ngobila (ex-gouverneur de Kinshasa) et, dans une certaine mesure, de Madame Adèle Kahinda, ex Ministre du Portefeuille. Leur départ a grandement ralenti la dynamique. «Il est crucial d’établir rapidement un dialogue avec le nouveau ministre des finances afin d’assurer le bon suivi de ce projet stratégique soutenu par des partenaires financiers majeurs » lâchait un des hauts responsables de AFC en aout 2024, après avoir attendu de 16 heures à 22 heures dans la salle d’attente du Ministre Doudou Fwamba sans être reçu. Le faible engagement de l’Onatra, principal partenaire du projet, et la quasi absence du ministère des Transports et des hautes autorités demeurent difficiles à expliquer.
  2. Pressions et menaces
    Le porteur du projet a même été la cible d’une tentative d’assassinat : un tir sur son pare-brise par des inconnus.

Un horizon proche, si…

Si les contrats sont signés, les emprises libérées et le financement initial assuré, les travaux pourraient démarrer en novembre 2025. Le délai estimé avant les premiers trajets : deux ans et demi.

« On ne résout pas un problème de transport en créant un autre problème social. C’est pourquoi nous voulons un projet exemplaire, respectueux des normes et des populations », insiste Éric Onepunga.

Metrokin n’est pas qu’un train : c’est une promesse. Celle de rendre à Kinshasa le temps qu’elle perd chaque jour dans les bouchons, et de lui offrir enfin un réseau de transport à la hauteur de son énergie.

Le contraste avec d’autres pays africains

Pendant que Kinshasa piétine, d’autres capitales africaines réussissent leurs grands chantiers. Nairobi a construit son Expressway de 27 km en seulement trois ans via un PPP avec China Road and Bridge Corporation, financé entièrement par l’investisseur. Addis-Abeba a mis en service son train léger de 31 km en moins de cinq ans, grâce à un prêt à 85 % de l’Eximbank China. Rabat et Salé, au Maroc, ont bâti et rentabilisé leur tramway en quatre ans, aujourd’hui en pleine extension. Et Dakar se réjouit de son Train Express régional (TER), qui relie la capitale à la nouvelle ville de Diamniadio, avec une extension vers l’aéroport Blaise Diagne, construit dans partenariat public privé avec le français Alsthom. Ces réussites tiennent à trois leviers : stabilité contractuelle, engagement politique continu et mobilisation rapide des financements.

RN4, route vitale abandonnée : un autre symbole d’une RDC qui commence et n’achève jamais

Le projet Metrokin n’est pas un cas isolé. Un autre exemple frappant se trouve à plus de 1 500 kilomètres de Kinshasa : la construction de la Route nationale 4 (RN4) entre Kisangani et Beni.
En avril 2022, alors ministre des Finances, Nicolas Kazadi, en accord avec son homologue des Infrastructures et Travaux Publics, avait enclenché le processus de mobilisation d’un financement auprès d’Eximbank China pour asphalter cet axe stratégique long de 750

Conscient du rôle vital de cette route pour désenclaver le Nord-Est, stimuler les échanges et renforcer la cohésion nationale, M. Kazadi s’était assuré que l’État respecte ses engagements financiers. Malgré les tensions budgétaires liées au contexte électoral, il débloque en octobre 2023 une première tranche de 30 millions de dollars – sur les 90 millions prévus à la charge du Trésor – permettant à l’entreprise chinoise chargée des travaux de lancer le premier lot Kisangani–Bafwasende, soit 258 kilomètres.

Menace d’arrêt complet

Rapidement, le chantier prend forme : 46 engins lourds et 121 instruments d’essai sont acheminés, la centrale à béton est installée, les concasseurs sont montés, et la centrale de mélange d’asphalte opérationnelle. Dix équipements destinés au quatrième lot arrivent également. Les travaux d’asphaltage démarrent sur le tronçon Kisangani–Komanda à un rythme soutenu, suscitant un nouvel espoir chez les habitants. Sur certains segments, plusieurs couches d’asphalte sont déjà posées, fluidifiant le trafic, même en saison des pluies, là où la route se transformait autrefois en piège de boue. Les populations saluent alors l’action du président Félix Tshisekedi.

Mais en août 2024, tout bascule. Un nouveau gouvernement place Doudou Fwamba aux Finances, en remplacement de Nicolas Kazadi. La requête pré-négociée par ce dernier auprès d’Eximbank China reste sans suite. Plus aucun paiement du Trésor n’est effectué. Les travaux ralentissent dangereusement, faisant planer la menace d’un arrêt complet… et des surcoûts inévitables.

L’entreprise chinoise, pourtant la même qui a construit la voie expresse reliant l’aéroport de Nairobi au centre-ville, avait accepté de démarrer sur la base de la confiance, mobilisant hommes et matériel. Aujourd’hui, cette confiance s’érode.

En décembre 2024, les premiers tronçons asphaltés sont validés par l’Office des routes. Mais faute de suivi politique et financier, le projet risque de rejoindre la longue liste des chantiers inachevés, alors qu’il pourrait transformer durablement l’économie et la connectivité de toute une région.

Pourquoi ça bloque en RDC ?

C’est la question à franc congolais ! En effet, comment comprendre que, à ce jour, les rails de Metrokin restent imaginaires et la RN4 continue de se déliter. Deux symboles d’un Congo qui rêve grand mais n’assure pas toujours le passage de la vision à la réalité. Les causes en sont nombreuses. Il y d’abord l’instabilité politique. Chaque remaniement ministériel redéfinit les priorités. Les projets soutenus par une équipe disparaissent avec son départ.

Il y a ensuite une gouvernance défaillante, avec, notamment, une absence de plan de développement assorti de projets prioritaires clairement définis et engageant tout le pays. A cela s’ajoutent les rivalités institutionnelles et la faiblesse de leadership au niveau de la coordination entre ministères. On note également l’absence d’un financement préparatoire, car les bailleurs sont prêts pour la phase de construction, mais l’État n’honore pas ses engagements sur les étapes initiales : études, libération des emprises. Enfin, il y a la concurrence interne. Des projets parallèles, parfois portés par les mêmes institutions, brouillent les messages aux investisseurs.

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