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Le financement de l’Afrique Subsaharienne est-il menacé ? (1)

Le financement de l’Afrique Subsaharienne est-il menacé ? (1)

Professeur agrégé
Directeur général du CERAD, directeur de l’Université de l’Atlantique

Cette contribution est le prolongement de la Chronique du Lundi publiée par Christian Gambotti, le lundi 17 avril, dans le quotidien ivoirien L’Intelligent d’Abidjan, consacrée à l’appui de 3,5 milliards de dollars accordé par le FMI à la Côte d’Ivoire. Cette Chronique a suscité de nombreuses réactions, les lecteurs de L’Intelligent d’Abidjan s’interrogeant sur ce sujet d’une actualité brûlante dans le contexte actuel : la soutenabilité de la dette publique africaine, alors que les besoins de financement sont en constante augmentation. Les chiffres de l’Aide publique au développement montrent que cette aide augmente en 2022 et 2023. Les chiffres sont une donnée abstraite. Les financements couvrent-ils tous les besoins : la viabilité des politiques publiques des Etats subsahariens et l’amélioration des conditions de vie populations (logement, santé, éducation, sécurité alimentaire, etc.). ? A l’évidence, non.
La Pros.
En mars 2021, Macky Sall, le Président du Sénégal, avait lancé un appel, qui ne sera pas entendu, à l'annulation de la dette publique et au rééchelonnement de la dette privée de l'Afrique. En avril 2021, les pays du G20 avaient préféré suspendre, jusqu’à la fin de l’année, les remboursements des pays africains les plus pauvres confrontés, à cause de la pandémie de la Covid 19, à une chute des recettes fiscales, une baisse des financements extérieurs et une fuite des capitaux. A peine sortie de la crise sanitaire, l’économie de l’Afrique subit l’impact négatif de la guerre en Ukraine avec, à nouveau, un ralentissement économique mondial et le resserrement des financements dont bénéficie le continent.
Le resserrement des sources de financement dont bénéficie l’Afrique
L’Afrique bénéficie de trois sources majeures de financement : l’aide publique au développement, l’accès aux marchés financiers, les prêts contractés auprès de la Chine. Or, ces trois sources de financement se sont contractées ces dernières années.
a) L’aide publique au développement : selon le FMI, cette aide a chuté brutalement, passant de 53,7 milliards de dollars en 2020 à 47,4 milliards de dollars en 2021. De son côté, l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) estime que l’aide publique à l’Afrique subsaharienne baissera, en 2022, de 8% pour s’établir à 30 milliards de dollars.
b) L’accès aux marchés financiers : depuis 2020, les marchés financiers sont devenus plus difficiles d’accès et plus chers. Aucun des pays les plus pauvres d’Afrique subsaharienne n’est parvenu à se financer sur les marchés depuis le printemps 2022. Le Kenya, dont l’économie est solide, a renoncé à émettre un eurobond d’un milliard de dollars en juin, car trop cher.
c) Les prêts contractés auprès de la Chine : dans le cadre du faramineux projet des « nouvelles routes de la soie », la Chine a déversé sur l’Afrique, dans les années 2010, des prêts de façon massive. Ces prêts sont passés de 9,1 milliards de dollars en 2019 à 2,8milliards en 2021, tout en maintenant le continent sous la menace de la dette chinoise. Les Chinois ne sont pas des philanthropes et le montant des prêts et conditions de prêts restent très obscurs. La Chine a-t-elle délibérément construit ce piège de la dette pour étendre son influence en Afrique ? Pékin dément. En revanche, Xi Jinping réduit les lignes de crédit accordées aux Etats africains pour donner la priorité à ses objectifs internes.
L’inquiétude du FMI
Abebe Aemro Sélassié, le directeur Afrique du Fonds Monétaire International (FMI), analysant les perspectives macroéconomiques de l’Afrique subsaharienne, considère que « la résilience de la région est soumise à rude épreuve » pour deux raisons : les Etats, dont certains figurent parmi les pays les plus pauvres du monde, ont des ressources budgétaires insuffisantes ; les populations, dont plus d’un tiers vivent déjà dans une extrême pauvreté, doivent faire face à une hausse vertigineuse des prix. Le resserrement de trois sources de financements de l’Afrique, qui sont indispensables pour consolider son développement, touche aussi des pays comme la Côte d’Ivoire en passe de rejoindre le camp des pays à revenus intermédiaires. Dans leur livre, « Le Temps de l’Afrique », paru en 2010 chez Odile Jacob, Jean-Michel Severino et Olivier Ray démontraient, à partir de leur expérience sur le terrain et une analyse exhaustive des potentialités du continent, que le temps de l’Afrique était arrivé. Quant à M. Sélassié, il a toujours dit « que ce siècle était celui de l’Afrique ». Longtemps oublié, marginalisé, le continent est, depuis son entrée dans le XXIème siècle, courtisé par la planète entière. Mais, le contexte actuel, avec moins de financements disponibles pour l’Afrique, signifie moins d’investissements publics et moins de dépenses sociales. Le retard dans le développement n’est pas simplement conjoncturel, il affecte déjà les années à venir. Le directeur du FMI Afrique a déclaré : « Beaucoup de pays font face à des décisions difficiles lorsqu’il s’agit d’investir dans des secteurs cruciaux, comme la santé, l’éducation, les infrastructures. Cela ne va pas seulement les affecter maintenant, mais aussi dans les années à venir ». A très court terme, l’inflation galopante entraîne une augmentation de la pauvreté et un risque accru de famine.
Or, la crise alimentaire engendre toujours des émeutes de la faim, ce qui constitue une bombe à retardement qui menace la stabilité politique en Afrique de l’Ouest. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), les pays africains sont menacés par « la pire crise alimentaire et nutritionnelle depuis dix ans ». Parler d’un taux médian d’inflation de 10 % en Afrique subsaharienne ne correspond à rien. Les taux de l’inflation sont beaucoup plus alarmants selon les pays : + 30 % en juin au Ghana, + 22,4 % en Sierra-Leone, + 18,6 % au Nigeria, + 15,3 % au Burkina Faso, une « situation (…) en train de devenir incontrôlable », selon le PAM. Les 50 milliards de dollars de financements fournis par le FMI entre 2020 et 2022 restent très insuffisants. Le FMI vient d’accorder à la seule Côte d’Ivoire, - un pays solvable, alors que de nombreux pays africains font face à un problème de solvabilité -, un appui financier de 3,5 milliards de dollars sur 40 mois pour consolider ses finances publiques et contenir la hausse des prix qui touche les ménages.
En Afrique subsaharienne, la liste des pays surendettés ou qui risquent de l’être, s’allonge. L’une des causes du surendettement provient des emprunts contractés en dollars, notamment les eurobonds, aujourd’hui plus difficiles à rembourser à cause de la hausse des taux d’intérêt et de la forte dépréciation des monnaies nationales. Après la Zambie, le Ghana, en décembre 2022, est devenu le deuxième Etat africain à faire défaut depuis le début de l’ère Covid-19 en 2020, alors que son Président, Nana Akufo-Addo, exprimait la volonté d’en finir avec l’aide internationale. Le Ghana est l’exemple même des pays africains qui sont touchées par le surendettement et la dépréciation de leur monnaie. Alors que son économie était considérée comme solide, le pays, qui était même parvenu à emprunter pendant la pandémie, est confronté à une inflation galopante de plus de 50 %, un manque de liquidités, la dépréciation du Cedi et une dette devenue insoutenable, ce qui a conduit Accra à suspendre le paiement d’une partie de sa dette extérieure. Pour le Ghana, comme pour tous les Etats africains, les délais pour restructurer leur dette dans le cadre du G20 sont extrêmement longs, ce qui ne répond pas à l’urgence actuelle.
Selon M. Sélassié, « si des mesures ne sont pas prises maintenant pour répondre à ce resserrement des financements, la région pourrait être empêchée de développer son potentiel ». Notons au passage, et nous y reviendrons, que les 14 pays membres des deux Zones francs (2) bénéficient d’une plus grande stabilité financière.
La soutenabilité de la dette africaine
Le débat sur la soutenabilité de la dette publique africaine n’est pas récent. Il existe depuis longtemps avec une succession sans fin des restructurations et des annulations partielles ou totales de cette dette. Restructurations et annulations partielles ne sont que des faux-fuyants, car elles plongent à nouveau l’Afrique dans la spirale de l’endettement. Il est évident que la restructuration de la dette publique permet, pour l’Etat débiteur, de faire face à des problèmes immédiat de liquidité, mais cette mesure est d’une portée limitée dans les cas d'insolvabilité.
L’annulation réduit immédiatement l’endettement du pays qui peut chercher auprès des trois sources de financement (l’aide publique au développement, l’accès aux marchés financiers, les prêts contractés auprès de la Chine) des conditions d’emprunts meilleures. Les créanciers privés, soumis alors à des pertes importantes, ont plutôt tendance à refuser cette mesure d’annulation. Aujourd’hui, face à l’urgence, il est moins question d’une restructuration de la dette publique africaine à long terme, mais beaucoup plus des mesures à prendre afin de permettre aux Etats africains consolider la viabilité de leurs finances publiques et disposer d’un stock suffisant de liquidités afin d’assurer les dépenses sociales et contenir l’inflation.
Selon le FMI, le surendettement de certains Etats africains nécessite une restructuration de la dette, mais, à très court terme, le véritable problème est celui d’un manque de liquidités, ce qui conduit les Etats à puiser de plus en plus dans les réserves de leur banque centrale ou à faire fonctionner la planche à billets. Selon les données du FMI, de nombreux pays (Ghana, Ethiopie, Zambie, Zimbabwe, Soudan du Sud, etc.) n’ont devant eux que l’équivalent d’un mois d’importations, ce qui aggrave les pénuries alimentaires existantes et les risques de famine.
L’Afrique, épicentre de tous les défis
L'Afrique a besoin d’un financement durable, alors que le ralentissement économique mondial touche tous les pays (Etats-Unis, Chine, Union Européenne, etc.) et entraîne une baisse des financements extérieurs. Les déficits de financement doivent être comblés pour consolider le développement du continent et améliorer les conditions de vie des populations. Le retard dans le développement produit de l’insécurité et une instabilité politique qui se retournent contre les gouvernements et se traduisent par des coups d’Etat militaires.
A la liste de défis que doit relever l’Afrique depuis les années 1960, et qui sont largement documentés, s’ajoutent les défis nouveaux : un processus démographique fulgurant, le déplacement forcé des populations, le dérèglement climatique qui entraîne une raréfaction des terres cultivables avec des conflits qui s’aggravent entre les agriculteurs et les éleveurs, la montée du terrorisme islamique, etc. L’afro-pessimisme des années 1960 a laissé la place à un optimisme béat qui n’est pas de mise. La réalité est évidement plus complexe dans une Afrique plurielle composée de 54 Etats qui n’ont pas tous les mêmes atouts dans la mondialisation. Reconnaître l’Afrique, lui permettre d’exploiter toutes ses potentialités, c’est d’abord comprendre que les réponses apportées aux défis que le continent doit relever doivent être des réponses africaines, car l’Afrique ne peut pas se développer sans l’Afrique ; c’est ensuite, comprendre que tous les pays doivent être aidés, en particulier les plus pauvres dans lesquels une jeunesse sans perspectives d’avenir se laisse facilement recruter par les groupes terroristes et la criminalité transnationale (3) ; c’est enfin comprendre que le capital humain, bien formé, ouvert sur le monde, existe dans tous les secteurs d’activité. Rien ne serait pire pour la sécurité du monde qu’une Afrique qui serait abandonnée dans ce contexte si difficile des crises qui se succèdent et ce moment si stupéfiant du basculement des relations internationales vers l’inconnu. Le retour du tragique en Afrique constitue une menace pour la paix mondiale. Il est donc urgent que les déficits de financement soient comblés par les pays riches et les bailleurs de fonds. Ces financements, dont nous estimons qu’ils doivent s’accompagner d’une annulation de la dette publique africaine et une restructuration de la dette privée, sont indispensables pour lutter contre l’insécurité qui découle du retard pris par l’Afrique dans son développement. L’Afrique est aujourd’hui l’épicentre de tous les défis.
Conclusion
La population africaine passera de 1,3 milliard en 2020 à 2,5 milliards en 2050 et à plus de 4 milliards à la fin du siècle. Cette démographie galopante entraîne des besoins de financement de plus en plus importants, notamment pour doter chaque pays des infrastructures dont il a besoin pour son développement et protéger les populations (dépenses sociales). Parce que les recettes fiscales et les Investissements Directs Etrangers (IDE) restent insuffisants, les pays africains choisissent alors l’endettement, une source de de financement plus durable. Alors qu’elle est devenue la source financement la plus importante, la dette présente des risques pour les pays africains les plus fragiles en termes de solvabilité à long terme. La prudence doit être la règle, lorsqu’il s’agit d’augmenter le stock de la dette pour un Etat.
L’expérience malheureuse des « eurobonds » doit conduire à chercher et obtenir des financements moins risqués et plus durables. Les partenariats public-privé peuvent s’avérer intéressants, lorsqu’il s’agit de financer les infrastructures (routes, ponts ou centrales électriques, etc.). On sait que les investissements dans les infrastructures aident à stimuler la croissance économique et créer des emplois.
Il existe aussi, pour mobiliser des fonds afin d’accompagner des projets spécifiques qui répondent à l’urgence environnementale ou sociale, des financements innovants tels que les obligations vertes et les obligations sociales. Les réformes de la fiscalité, afin d’augmenter les recettes fiscales sans freiner la croissance et les dépenses domestiques, constituent aussi une manière de réduire la dépendance d’un Etat à l’égard de la dette et des financements extérieurs. Le développement du secteur privé contribue à augmenter les recettes fiscales.
Mais, aujourd’hui, l'Afrique subsaharienne, alors que ses besoins de financement sont de plus en plus importants, subit fortement l’impact négatif du ralentissement de l’économie mondiale.
Justin Koffi N’Goran, Christian Gambotti
(1) Sources : deux articles de Marion Douet a) un article paru dans Le Monde-Afrique, le 30 janvier 2023, « L’Afrique subsaharienne à nouveau sous le spectre de la dette ». ; b) un article publié le 17 avril 2023, « Le FMI s’alarme d’une chute des sources de financement de l’Afrique ».
(2) Le débat sur les deux zones francs est un débat avec l’affrontement entre ceux qui dénoncent le symbole néocolonial que représente le Franc CFA et ceux qui attribuent un rôle purement économique à cette monnaie commune.
(3) On peut s’interroger sur le fait que la France est, aujourd’hui, le seul État au monde qui gère toujours la monnaie de ses anciennes colonies.
Le Franc CFA est-il un facteur de stabilité monétaire ou un instrument de domination néocoloniale et d’ingérence ? Que signifie le fait que le franc CFA soit indexé sur l’euro et que le Trésor français, pour garantir sa convertibilité en euro et pour assurer cette parité franc-euro, demande aux banques centrales des pays de deux zones francs de déposer la moitié de leurs réserves de change à la Banque de France ?
(4) Le débat sur l’aide financière qui doit être apportée aux pays de l’Afrique subsaharienne doit tenir compte de la diversité des situations selon les pays. Les pays qui possèdent un sous-sol riche et une économie diversifiée parviennent à se financer sur les marchés financiers et auprès des bailleurs de fonds.

 

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