Congo - Etats-Unis : "Minerais contre sécurité" ou un marché de dupes ?

Congo - Etats-Unis : "Minerais contre sécurité" ou un marché de dupes ?

(Par Eric Kamba, Géostratège et Analyste des relations internationales)

Depuis plus d’un an, la République démocratique du Congo (RDC) tente de conclure un accord stratégique avec les États-Unis un partenariat dit de « minerais contre sécurité ». En théorie, ce modèle vise à garantir à Washington un accès aux minerais critiques du Congo (cobalt, coltan, lithium), indispensables à la transition énergétique, en échange d’un appui sécuritaire et diplomatique concret pour stabiliser l’Est du pays. Mais la réalité, elle, est tout autre : le deal piétine. Et les raisons de ce blocage révèlent une géopolitique opaque, des influences étrangères dissimulées, et un double jeu qui trahit la souveraineté congolaise. Un accord né dans un contexte de guerre et de duplicité Comment négocier un partenariat sur la sécurité quand le pays est envahi ?

  La RDC discute d’un accord de développement alors que le Rwanda

 — reconnu par de multiples rapports de l’ONU et des o r g a n i s a t i o n s internationales - maintient des troupes sur le sol congolais et soutient activement le groupe armé M23, responsable de massacres, de viols, de pillages et de l’occupation de villes entières comme Goma et Bukavu. Le paradoxe est total : le Congo parle de paix et d’investissement avec ses partenaires, pendant que son agresseur continue de tuer, d’occuper et d’exploiter. Dans ce contexte, toute discussion de «sécurité garantie» devient absurde car la première sécurité, celle du territoire, est bafouée. Les conditions américaines : une asymétrie inacceptable Washington demande à Kinshasa d’en finir avec les FDLR  un vieux groupe armé hutu résiduel, présent depuis plus de trente ans en RDC — comme condition préalable pour convaincre Kigali de retirer ses troupes.

Autrement dit, on exige de la victime de neutraliser un problème historique, pendant que l’agresseur conserve le contrôle du terrain. Cette approche réveille les vieux réflexes des années Clinton : une indulgence systémique envers Paul Kagame, traité comme un partenaire modèle malgré ses violations flagrantes  du  droit international. Le Congo, lui, reste sommé de « prouver sa bonne foi », alors même qu’il subit  une  guerre d’agression. C’est le retour d’une diplomatie à géométrie variable où les droits humains et la souveraineté deviennent négociables selon  les  stratégiques. intérêts Les rencontres de Doha : diplomatie parallèle ou connivence silencieuse ? C’est à Doha, au Qatar, que plusieurs rounds de discussions ont eu lieu entre émissaires américains, rwandais et congolais. Officiellement,  ces rencontres visent à « rapprocher les positions » et à « construire une paix durable ».

En réalité, elles suscitent un malaise croissant à Kinshasa : les discussions semblent pilotées en coulisses par des intérêts qui ne défendent pas le Congo, mais cherchent à protéger le Rwanda et à préserver les circuits d’exploitation des minerais stratégiques. Des  sources diplomatiques confirment que certaines séances se sont déroulées sans véritable  mandat du gouvernement congolais, dans des formats où les représentants du M23 — pourtant considérés comme terroristes par la RDC — ont été traités comme des interlocuteurs légitimes. Pire encore : le nouvel envoyé spécial américain, Massad Boulos, censé faciliter  la  paix, est soupçonné de s’être aligné sur des positions favorables à Kigali, sous l’influence d’acteurs du Golfe liés au financement  des infrastructures minières régionales. Cette « diplomatie de Doha » contourne les institutions  officielles, déplace la négociation hors du cadre africain et risque de transformer la RDC en simple objet d’arrangements économiques secrets. C’est  une  faute stratégique : on ne peut construire la paix en excluant le pays victime et en ménageant son agresseur. Un «minerais contre sécurité» vidé de sens Le principe du deal américain — échanger ressources contre stabilité — est aujourd’hui vidé de tout contenu concret. Comment parler de sécurité quand les minerais sont extraits de zones contrôlées par des milices ? Comment parler d’un partenariat équilibré quand la RDC n’a même pas la maîtrise totale de son territoire ? Comment espérer des garanties sérieuses quand les États-Unis eux-mêmes hésitent  à  désigner clairement le Rwanda comme acteur de déstabilisation ? Les accords ne peuvent pas être signés parce que le Congo est invité à troquer sa souveraineté contre une promesse incertaine de protection, alors même que les forces qui déstabilisent le pays sont tolérées ou encouragées par les puissances  censées «garantir la paix». Kabila, le grand fantôme du désastre Dans ce brouillard diplomatique, le spectre de Joseph Kabila refait surface. Celui que beaucoup considèrent comme l’un des principaux artisans du chaos institutionnel et de la dépendance structurelle du Congo durant ses dix-huit années de règne, multiplie aujourd’hui  les déplacements et les contacts internationaux. Des informations circulent sur des « offres » faites à certains États pour l’aider à revenir au pouvoir en échange d’un accès privilégié aux ressources congolaises. Son retour dans le jeu politique, à travers des réseaux financiers et sécuritaires hérités de son régime,  complique davantage les efforts de reconstruction et donne des munitions à ceux qui veulent prouver que le Congo reste un État fragile, manipulable, sans continuité stratégique. Le véritable enjeu : refuser la balkanisation diplomatique Ce qu’on appelle aujourd’hui « processus de paix » est en réalité une recomposition géopolitique dont le but caché est de morceler le Congo. Les demandes du M23 — gérer l’Est du pays ou obtenir un statut spécial — ne sont rien d’autre qu’une tentative de légitimer une partition de fait. Et les partenaires étrangers, au lieu de s’y opposer, semblent chercher à en tirer profit : ils y voient une manière plus «stable» de sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement. Mais une chose doit être dite clairement : la RDC n’est pas à vendre, ni à Doha, ni à Kigali, ni à Washington. La paix ne se négocie pas entre ceux qui pillent et ceux qui se taisent. Elle se construit sur la vérité, la justice et la reconnaissance pleine et entière de la souveraineté congolaise. Pour sortir de l’impasse : trois préalables clairs-  Reconnaissance officielle par les partenaires étrangers de la présence militaire rwandaise en RDC et exigence d’un retrait immédiat.- Suspension de toute médiation de Doha- Signature d’un accord minerais contre sécurité uniquement  après certification du contrôle territorial complet par Kinshasa. Conclusion : le Congo ne peut plus être le laboratoire du cynisme international Le monde se mobilise pour l’Ukraine, pour Gaza, pour Taïwan. Pourquoi pas pour le Congo, où la guerre la plus meurtrière du XXIe siècle continue dans l’indifférence ? Les Etats-Unis et leurs alliés doivent choisir : soit ils défendent sincèrement la stabilité et la justice, soit ils assument qu’ils privilégient les minerais à la morale. Mais qu’ils sachent une chose : le peuple congolais ne renoncera jamais à sa dignité ni à son droit de vivre en paix sur un sol libre. Eric Kamba Géostratège, Analyste des relations internationales et des conflits en Afrique centrale. Auteur de « La Grande Usurpation » et « Le Pouvoir caché de la diplomatie informelle »

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