De retour en RDC, Joseph Kabila tente de faire oublier son bilan de Président

L’ancien président de la RDC, Joseph Kabila, assiste à une réunion avec des chefs traditionnels dans l’une de ses résidences à Goma, le 30 mai 2025.
L’ancien président congolais, qui séjourne désormais à Goma, dans l’est du pays, se pose en sauveur de la nation. Au pouvoir jusqu’à la présidentielle de 2018, sur laquelle il a influé, il a laissé un bilan contesté.
Si le retour de Joseph Kabila faisait l’objet d’une série Netflix, le synopsis serait tout trouvé. «En exil depuis près d’un an, l’ancien président revient pour sauver la RDC », pourrait-on lire. La suite des aventures du sénateur à vie ne déplairait sans doute pas à Olivier Kamitatu, qui a regardé sur YouTube son discours à la nation, le 23 mai. « Sa voix a résonné comme l’écho de notre dignité collective, celle qui refuse catégoriquement l’humiliation », a commenté l’opposant sur le réseau social X.
Olivier Kamitatu est le directeur de cabinet de Moïse Katumbi, ancien adversaire farouche de Joseph Kabila. La mémoire du règne contesté de cet homme qui dirigea la RDC de 2001 à 2019 s’est-elle si vite évaporée que son retour est vu d’un bon œil par ceux qui l’ont combattu ?
Incontournable dans les négociations
Jadis ennemis, Moïse Katumbi et Joseph Kabila se sont vus à Addis-Abeba, en décembre dernier. Les deux hommes ont également cosigné une tribune, tout comme les opposants Martin Fayulu et Delly Sesanga, le 30 avril, pour appeler à un dialogue national. « Quand la maison brûle, on a besoin de gens pour éteindre le feu, même son ennemi », résume Prince Epenge, porte-parole de la coalition Lamuka, qui a pourtant connu « les cachots sous Kabila ».
L’ancien président semble aujourd’hui incontournable dans les négociations en cours pour trouver une solution à la crise dans l’est de la RDC. Avec ce rôle qu’il a choisi d’endosser, il signe un retour en grâce alors même que sa volonté de se maintenir au pouvoir avait été à l’origine d’une grave crise politique, entre 2016 et 2019, et qu’il a pesé sur le scrutin présidentiel de 2018 – lequel a débouché sur l’élection de Félix Tshisekedi.
Pour sa responsabilité dans ce résultat contesté, « il devrait d’abord présenter des excuses aux Congolais » a réagi Denis Mukwege sur France 24, le 28 mai. L’ancien candidat à l’élection présidentielle invite Kabila à « assumer son bilan désastreux ».
« Il y a eu de fortes pressions internationales et locales qui ont conduit à son départ du pouvoir, rappelle Venance Kalenga, consultant indépendant sur les questions des droits de l’homme. Et pour s’y maintenir, il avait auparavant eu recours à la répression politique contre les militants, les journalistes et toutes les personnes qui étaient contre la prolongation de son mandat, qu’on appelait le « glissement ». À chaque manifestation, il y avait des morts, on a même tiré dans des églises ! »
Mais Kabila ne revient pas sur le devant de la scène politique pour s’excuser. Dans son discours de 45 minutes, le 23 mai, il a défendu le « bel héritage » d’un pays qu’il aurait quitté uni, souverain et économiquement sain.
« L’humilité aurait voulu qu’on sente le président Kabila plus conscient de ses erreurs et prêt à aller de l’avant. Mais dans son discours, il a fait plutôt l’éloge de son bilan », remarque le lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba, qui a documenté les dérives financières de son régime. Joseph Kabila et ses proches sont soupçonnés d’avoir détourné près de 140 millions de dollars entre 2013 et 2018, selon les révélations de l’enquête Congo Hold-Up.
C’était hier, mais c’est déjà si loin. « La déception de la population vis-à-vis du gouvernement actuel tend à rendre les gens nostalgiques », observe Venance Kalenga. « Beaucoup de choses ont été réalisées par Félix Tshisekedi, mais ce n’est pas à la hauteur des attentes de la population. Les Congolais espéraient plus de réformes sociales dans un pays où il y a beaucoup de jeunes au chômage, où l’exode rural est très important et où, surtout, la guerre est revenue », développe l’analyste.
« Oui, Congo Hold-Up c’était sous Kabila, mais aujourd’hui on a l’affaire des forages, l’affaire des 100 jours et on sent l’impunité, assène Jean-Jacques Lumumba. Les Congolais attendaient que le président Tshisekedi soit l’antithèse du président Kabila. »
Des contradictions dans le discours
Joseph Kabila met en avant son expérience de soldat pour mieux se démarquer de Félix Tshisekedi, ce président civil qui n’a su empêcher la percée des rebelles du M23 dans le Nord et le Sud-Kivu. « Militaire, j’ai juré de défendre la patrie jusqu’au sacrifice suprême », énonce-t-il, solennel, dans son discours à la nation.
Pourtant, Joseph Kabila a décidé de revenir en RDC via le territoire conquis par ceux qu’il a jadis combattus. « Il se retrouve dans les mains des officiers des forces armées qu’il a radiés », s’est d’ailleurs étonné Julien Paluku, ministre du Commerce extérieur et ancien gouverneur du Nord-Kivu. « C’est quand même contradictoire », a-t-il insisté lors d’un point presse le 27 mai.
« Je vous exhorte de quitter Goma, cette ville martyre », lance Martin Fayulu à Joseph Kabila dans un discours diffusé le 2 juin. L’ancien candidat à la présidentielle, qui disait avoir pardonné à Joseph Kabila, hausse le ton et met en garde l’ancien président contre une « collaboration » avec les rebelles de la coalition AFC/M23 qui tiennent Goma, où l’ancien président vient d’élire domicile. « Le chemin vers la rédemption de nos erreurs passées, c’est le dialogue, pas la compromission », prêche Martin Fayulu.
Patrick Muyaya, ministre de la Communication, n’a pas manqué de relever « un ensemble de contradictions » lors d’une interview à la télévision publique congolaise et appelle surtout les Congolais à tourner la page. « Le président Kabila est un homme du passé qui dans le contexte actuel n’a rien à proposer pour l’avenir », insiste-t-il.
« Vous ne pouvez pas l’écarter »
En retrait depuis 2019, le raïs revient, selon certains, avec l’aura du faiseur de paix sensible au bien commun. « Il a une certaine sagesse », reconnaît Prince Epenge. Kabila dresse surtout un bilan du pays qui fait mouche chez les opposants au président Tshisekedi. Il dénonce un État « failli, divisé, désintégré, au bord de l’implosion, et inscrit en bonne place au palmarès des pays pauvres les plus corrompus et très endettés ».
« Je partage son diagnostic », admet Bienvenu Matumo, militant de la Lucha. Avec cette nuance : « On n’aime pas Kabila pour son bilan à la tête du Congo. Mais en même temps, il est devenu un acteur incontournable dans cette crise, donc on est obligé de faire avec lui. Un acteur comme ça, avec autant de leviers diplomatiques, qui a gardé une certaine liaison avec des milieux militaires et politiques, que vous l’aimiez ou non, vous ne pouvez pas l’écarter », concède-t-il.
Fort de son carnet d’adresses, Joseph Kabila a multiplié les rencontres avec d’anciens chefs d’État, comme avec l’ancien président nigérian et médiateur dans la crise dans l’est de la RDC, Olusegun Obasanjo, ou avec les anciens présidents sud-africains Jacob Zuma ou Thabo Mbeki, qui l’a reçu en ami chez lui, à Johannesburg, le 18 mars, et le défend dans les médias sud-africains.
Mais en Afrique du Sud, où Joseph Kabila a fait des études, la dénonciation par le président Cyril Ramaphosa des « neuf années gâchées » que furent à ses yeux les mandats de Jacob Zuma n’a pas empêché ce dernier de revenir dans l’arène politique malgré les accusations de corruption et une peine d’inéligibilité.
De Jeune-Afrique
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