La République se construit-elle contre la démocratie ?
(Par le Professeur Patience Kabamba)
Par définition, la démocratie se caractérise comme le pouvoir exercé par le peuple et pour le peuple. Le kratos appartient au dèmos. Dans son acception première, la démocratie se caractérisait par un processus de désignation aléatoire - le tirrage au sort - impliquant que chaque individu au sein de la société était potentiellement apte à exercer le pouvoir. Néanmoins, l'édification complète de la république engendrera inévitablement une structure distincte de cette démocratie initiale. Elle a réalisé cette action en deux étapes.
Premièrement, par le biais d'une démocratie représentative. Au lieu d’écouter les citoyens, on sélectionne des représentants à leur place. La république parlementaire s'approprie l'expression populaire. Dans le contexte de notre république, on observe une confiscation non seulement de l'expression populaire, mais également des ressources financières qui lui sont dues. Le député, se présentant comme « du peuple », perçoit à lui seul un revenu mensuel de 21.000 dollars, tandis que le salaire mensuel d’un enseignant du secondaire et d’une infirmière s’élève respectivement à 150 et 80 dollars.
Ainsi se construit une république en opposition à la démocratie congolaise. Ces disparités manifestent un décalage entre les représentants du peuple et le peuple lui-même, étant donné qu'ils ne partagent plus les mêmes conditions. En raison de sa rémunération, le niveau de vie d'un député diffère considérablement de celui de la majorité des citoyens qu'il représente.
Il devient par conséquent progressivement plus ardu pour le représentant du peuple de représenter efficacement ce dernier ou de servir d'intermédiaire entre les citoyens et les autorités. Cette logique a incité certains pays, telle que la Chine, à ne pas considérer la fonction de député comme une activité professionnelle à part entière.
Les Députés chinois exercent leurs fonctions respectives au sein de la société, conformément à leur formation initiale. Le député chinois participe aux sessions législatives de manière bénévole, son revenu étant assuré par son salaire. Cette modalité de représentation présente l’intérêt d’immerger le représentant du peuple au sein du milieu de travail auquel appartient la majorité des citoyens qu’il représente. Sa pratique professionnelle lui confère une compréhension plus pragmatique des problématiques affectant sa communauté, étant donné qu'il en fait lui-même l'expérience.
Dans les démocraties libérales ayant inspiré le modèle congolais, les Députés perçoivent une rémunération conséquente qui les protège des besoins élémentaires et les éloigne des difficultés quotidiennes de la population qu'ils sont censés représenter. Cette approche s'avère potentiellement rationnelle. Néanmoins, dans ce genre de représentation, il arrive fréquemment que le représentant du peuple ait des opinions divergentes par rapport aux aspirations de ce même peuple qu'il représente.
Il s'agit du paradoxe de Condorcet. La République, tout en nécessitant des représentants du peuple et en se dotant des mécanismes nécessaires à leur sélection, compromet paradoxalement le fondement même de la démocratie, à savoir l'exercice du pouvoir par le peuple et pour le peuple.
La seconde occurrence d'une opposition entre la République et la démocratie se manifeste lorsque le demos, qui détient le kratos, se trouve assujetti à la valeur d'échange. Il apparaît que le fonctionnement démocratique au sein de la République est désormais tributaire de ressources financières. Le groupe politique qui détient le pouvoir se trouve désormais dans une situation de prospérité financière.
Les élections, ayant confisqué l'expression populaire, produisent désormais une approbation inégalée. Un montant de cent mille dollars américains est requis pour déposer une candidature à l'élection présidentielle en République démocratique du Congo. Ce montant excède considérablement les moyens financiers du citoyen congolais moyen. L'accès à la fonction de président est interdit à toute personne non nantie.
Le tirage au sort s'est transformé en un souvenir particulièrement distant. La République se constitue par la destruction de la démocratie et l'instauration d'une forme de dictature démocratique axée sur la valeur d'échange. Cette interrogation revêt un caractère fondamental étant donné que les sociétés égalitaires antérieures à la révolution néolithique mettaient en œuvre une forme de démocratie basée sur la désignation aléatoire ; chaque membre masculin de la communauté était considéré apte à exercer des fonctions dirigeantes.
L’avènement de la valeur d’échange a conduit à l’émergence d’une classe sociale détentrice de stocks, dont les actions se sont caractérisées par une double démarche : d’une part, la tentative de légitimation de leur position dominante par le biais de textes établissant un lien entre leur émergence et la volonté divine. Ils deviendront, en second lieu, des acteurs du système d’exploitation esclavagiste. La propriété de leurs biens ne s'appuyait pas uniquement sur le droit divin, mais leur conférait également la prérogative d'asservir d'autres êtres humains.
Le mode de production esclavagiste s’est répandu au XIIIᵉ siècle, notamment dans les villes italiennes de Venise, Rome et Florence. La révolution bourgeoise progressait graduellement en s'appropriant le pouvoir d'achat de la noblesse sans effusion de sang. La révolution la plus aboutie ne s'est pas initiée par une modification du régime politique, mais par la confiscation de la valeur ajoutée par la classe bourgeoise révolutionnaire.
Le triomphe du capital se concrétisera au XVIIIe siècle, consécutivement à la perte du pouvoir politique par la noblesse, elle-même induite par un déclin économique s'étendant sur près de onze siècles. Les marchands capitalistes s'emparèrent du pouvoir en Europe occidentale. Depuis lors, nous évoluons dans un régime de dictature démocratique fondé sur la valeur d’échange, c'est-à-dire celle du capital.
Le commerce triangulaire, caractérisé par l'acheminement de marchandises de faible valeur vers l'Afrique, lesquelles étaient échangées contre des esclaves – individus réduits à l'état de marchandise –, se poursuivait par le transport de ces derniers vers l'Amérique, où ils étaient employés dans les plantations sucrières. L'arrivée du sucre en Europe est consécutive à l'obsession de la Grande-Bretagne victorienne pour ce produit.
Ce commerce et la colonisation, perçue comme une alternative à celui-ci, sont issus du capitalisme. La démocratie s'est muée en une justification du capitalisme. Dans le contexte du néolibéralisme, la république se trouve pleinement subordonnée aux intérêts du capitalisme, ce qui compromet significativement le fonctionnement démocratique. Nous vivons ce que Franci Cousin qualifie de dictature démocratique de la valeur d’échange.
Il m’est fréquemment reproché de procéder à une réduction systématique au capital et de privilégier invariablement l’économie politique au détriment des enjeux identitaires. Il est naturellement impératif d'assurer un équilibre adéquat.
Cependant, il a été observé que les sciences sociales ont parfois ou souvent privilégié les questions identitaires au détriment de l’économie politique. Le conflit dans l’est de la République Démocratique du Congo présente une dimension identitaire fondamentale, bien qu’il se manifeste également dans le domaine de l’économie politique par la recherche des ressources minières congolaises.



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