RDC : pour Félix Tshisekedi, une révision constitutionnelle semée d’embûches

Le Président congolais a beau disposer d’une large majorité au Parlement, certains obstacles se dressent contre sa volonté de modifier la loi fondamentale de 2006. Le choix du lieu avait tout d’un symbole. Alors que l’idée d’une modification de la Constitution circulait depuis des mois dans les arcanes du pouvoir, c’est à Kisangani, dans la ville où se sont déroulés une partie des travaux qui ont abouti à la loi fondamentale promulguée en 2006, que Félix Tshisekedi a officialisé son projet. Le 23 octobre, le président y a fustigé une Constitution « rédigée à l’étranger par des étrangers ». Ce texte, approuvé en 2005 par plus de 84 % de la population congolaise, ne serait « pas adapté aux réalités » de la RDC.
Un sujet sensible
Pour remédier à ces « faiblesses », Félix Tshisekedi a annoncé la mise en place d’une commission d’experts chargés de plancher, dès 2025, sur les changements envisagés. Il faudra sans doute patienter plusieurs mois avant de connaître les contours du projet et les obstacles qui, en fonction de la forme qu’il prendra, se dresseront sur la route du Chef de l’Etat. La présidence, qui avance prudemment sur ce sujet sensible, affirme que « toutes les options sont sur la table ». Si bien qu’il est pour l’instant difficile de savoir s’il s’agira d’une simple révision de la Constitution de 2006 (comme cela a été le cas en 2011) ou d’un changement pur et simple, comme le sous-entendent plusieurs soutiens du Chef de l’Etat.
Les deux options ont leurs inconvénients. Le processus de révision est très encadré. Dans ses articles 218, 219 et 220, le texte actuel fixe le cadre et les limites dans lesquels une telle démarche peut être menée. Ces dispositions stipulent que l’initiative d’une révision peut être prise soit par le président, soit par le gouvernement après délibération en conseil des ministres, soit par le Parlement sous l’impulsion de la moitié des membres de chacune de ses chambres ou, enfin, à la suite d’une pétition adressée aux deux chambres du Parlement par au moins 100 000 citoyens.
Pour faire ensuite entériner le projet, deux possibilités : le président peut convoquer un référendum, ou pas, s’il parvient à faire voter la Constitution révisée par l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès. Il faudrait alors l’approbation minimum des trois cinquièmes des membres du Parlement, c’est-à-dire d’au moins 300 élus.
Cette étape ne présente, en principe, pas de risque pour Félix Tshisekedi qui dispose d’une très large majorité parlementaire depuis les élections de décembre 2023. Il doit néanmoins s’assurer de la cohésion de son propre camp. Jusqu’à présent, les soutiens les plus vocaux d’une révision ou d’un changement de la Constitution ont été les membres de son propre parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Ces derniers ont déjà commencé à faire campagne pour sensibiliser la population à l’utilité d’un tel projet. En revanche, les autres poids lourds de l’Union sacrée, la coalition au pouvoir, se montrent plus discrets sur le sujet.
Il faudra également que le président congolais revienne sur l’une des mesures phares de son premier quinquennat : l’instauration, en mai 2021, de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Selon la Constitution, « aucune révision ne peut intervenir pendant l’état de guerre, l’état d’urgence ou l’état de siège ».
Communication sporadique et parfois contradictoire
Que se passerait-il si Félix Tshisekedi voulait changer la loi fondamentale, et non pas simplement réviser l’existante ? « À la différence de la révision, le changement de Constitution n’est pas encadré par les textes », répond Bob Kabamba. Professeur à l’université de Liège, en Belgique, il était l’un des experts sollicités pour la rédaction du texte promulgué en 2006. « Certains articles sont inviolables et nécessitent la rédaction d’une nouvelle Constitution, précise-t-il. Tout va donc dépendre des points que le pouvoir souhaite amender. »
Difficile pour le moment d’évaluer l’ampleur des réformes envisagées, tant la communication sur le sujet a été sporadique – et parfois contradictoire. « À ce stade, l’opinion devra se contenter du principe tel qu’énoncé par le président », tranche Tina Salama, la porte-parole du chef de l’État. Elle précise toutefois que certaines priorités ont été identifiées, comme « l’assouplissement » de la procédure d’installation des institutions et la nécessité de remédier à « l’instabilité des institutions provinciales ».
C’est pourtant une autre disposition qui focalise l’attention : celle qui encadre la limite et la durée des mandats et qui est contenue dans l’article 220 du texte. Ligne rouge de chaque débat sur la réforme constitutionnelle, cet article prévoit que « la forme républicaine de l’État, le principe du suffrage universel, la forme représentative du gouvernement, le nombre et la durée des mandats du président de la République et l’indépendance du pouvoir judiciaire » ne peuvent faire l’objet d’aucune révision. Par conséquent, le chef de l’État ne peut pas briguer un troisième mandat de cinq ans, alors que c’est précisément ce que l’opposition le soupçonne de vouloir faire.
De Moïse Katumbi à Joseph Kabila en passant par Martin Fayulu, les adversaires de Félix Tshisekedi ont unanimement condamné un projet qui ne sert, selon eux, qu’à ouvrir la voie à un maintien du chef de l’État au pouvoir. Une ambition que le président avait pourtant démentie en août dernier. « Je n’ai jamais dit que je changerai la Constitution pour allonger la durée de mon mandat », avait-il affirmé. Depuis, les prises de parole de certains de ses soutiens n’ont pas vraiment dissipé l’ambiguïté.
« Le Président n’a qu’un mandat de 3 ans »
Lors d’un meeting fin septembre, à Kinshasa, le secrétaire général de l’UDPS, Augustin Kabuya, a critiqué la durée des mandats présidentiels, estimant que les cinq ans prévus par la loi n’étaient jamais effectifs, notamment en raison du temps que prend la formation du gouvernement. « En réalité, le président n’a qu’un mandat de trois ans », a-t-il affirmé. Lors de son discours à Kisangani, le président congolais a préféré botter en touche sur ce sujet, assurant qu’il « ne le concerne pas » puisqu’il relève « de la compétence du peuple ». Autrement dit, s’il venait à être abordé, ce point ne passera que par un référendum. Il nécessiterait inévitablement un changement de la Constitution.
La question de l’indépendance du pouvoir judiciaire sanctuarisée par l’article 220 de la Constitution crispe aussi les débats. Le sujet s’est retrouvé au cœur des états généraux de la justice, qui ont débuté le 6 novembre. À cette occasion, plusieurs hauts fonctionnaires ont plaidé pour une réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), plaidant – à l’instar du député André Mbata – pour que le président ou le ministre de la Justice y soient intégrés.
Autant d’arguments qui suscitent une levée de boucliers au sein de la puissante Eglise Catholique et dans l’opposition. Sortie considérablement affaiblie de l’élection présidentielle de 2023, cette dernière trouvera-t-elle, avec ce débat, un moyen de se rassembler ? Le 9 novembre, l’ancien député Delly Sesanga, lui-même porteur d’un projet de révision constitutionnelle au début du premier mandat de Félix Tshisekedi, a annoncé la création d’une plateforme « contre le changement de la Constitution et un troisième mandat au président Félix Tshisekedi ».
(Avec Jeune Afrique)
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