Mgr Fulgence Muteba : « Un Gouvernement d’union nationale ne résoudra pas tout en RDC »

Les religieux congolais se sont rendus aux Etats-Unis dans l’espoir de rallier des soutiens au « pacte social » qu’ils promeuvent pour ramener la paix dans l’Est. Interviewé par « Jeune Afrique », le président de la Cenco dit ne pas craindre une interférence entre les différents processus engagés. Poursuivant leur tournée aux États-Unis, des responsables de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et de l’Église du Christ au Congo (ECC) ont rencontré, le 2 avril, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres. Les prélats, qui ont déjà rencontré ces dernières semaines des acteurs locaux, à commencer par les Présidents congolais, Félix Tshisekedi, et rwandais, Paul Kagame, tentent d’esquisser des pistes de sortie de crise à l’heure où de larges pans de l’est de la RDC sont occupés par les rebelles du M23, soutenus par Kigali.
Les religieux congolais ont également échangé à New York avec Jérôme Bonnafont, représentant permanent de la France auprès de l’ONU, ainsi qu’avec le responsable Afrique du département d’État, rencontré à Washington. Le 3 avril, ce sont des membres du Congrès américain qu’ils ont tenté de rallier à leur démarche. Quelles sont les prochaines étapes ? Comment faire en sorte que tous les processus engagés n’empiètent pas les uns sur les autres ? Le président Félix Tshisekedi doit-il se sentir menacé ? Depuis Washington, Mgr Fulgence Muteba a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Comment s’est passée votre tournée aux États-Unis ?
Mgr Fulgence Muteba : Très bien. Les personnalités que nous avons rencontrées, dont le secrétaire général des Nations unies, se sont montrées très attentives. Nous avons échangé avec des élus du Congrès, mais aussi avec des responsables d’organisations qui travaillent avec la RDC. Nous sommes même allés à l’Université George-Washington parler de notre projet de paix. Si la situation sur le terrain se calme, nous allons parvenir à faire de grandes choses.
A tous, nous avons dit que pour jeter les bases d’une paix durable en RDC et dans la région des Grands Lacs, il faut que les gens puissent échanger : je parle d’une discussion entre les acteurs congolais, mais aussi d’une discussion entre la RDC et ses voisins, en toute sincérité. Et cela suppose que nous arrivions à mettre de côté les questions qui alimentent les guerres successives depuis une trentaine d’années.
Mais, parallèlement, Félix Tshisekedi a chargé son conseiller spécial en matière de sécurité de mener de larges consultations…
Nous ne sommes pas contre, mais nous pensons que le problème est plus profond et que constituer un gouvernement d’union nationale ne résoudra pas tout. Il y a d’autres problèmes et c’est pour cela que nous préconisions une approche plus globalisante.
Cela fait plusieurs semaines maintenant que vous avez entamé votre tournée. Elle vous a mené dans l’est de la RDC, au Rwanda, en Angola, au Kenya et jusqu’en Europe. Est-ce que cela ne commence pas à faire long ?
Il s’agit d’une initiative bien réfléchie. Il faut d’abord écouter pour pouvoir obtenir un consensus. Il y a beaucoup d’interlocuteurs et de partenaires, au Congo et à l’extérieur du Congo.
Qui voulez-vous encore rencontrer ?
Je crois que nous irons en Afrique australe. Il est important que nous puissions avoir des garanties de la SADC [Communauté de développement de l’Afrique australe] pour nous aider à résoudre un certain nombre de problèmes.
Mais la défiance exprimée dans les cercles du pouvoir à Kinshasa ne risque-t-elle pas d’être un obstacle ?
Nous nous en tenons à ce que Félix Tshisekedi nous a dit. Et il nous a dit que notre initiative était louable.
Mais des responsables du gouvernement vous ont accusés de travailler en étroite collaboration « avec les ennemis de la République »…
C’est faux, et ces accusations n’ont aucun fondement. Beaucoup de personnes qui se prononcent sur notre initiative n’ont même lu notre feuille de route. Qu’elles commencent par le faire, et plus aucune de leurs accusations ne tiendra la route.
Et quand un responsable politique déclare que les services de sécurité de Kinshasa sont en possession d’enregistrements audio qui démontrent une certaine complicité entre les religieux et les ennemis de la RDC…
Les crises s’accumulent depuis des décennies, le Congo en est aujourd’hui presque paralysé. Même notre niveau de vie est indigne d’un pays comme la RDC. Je vous l’ai dit : pour résoudre nos problèmes, il faut que l’on se parle. Et pour cela, il faut bien se contacter. Et puis le président Tshisekedi n’a-t-il pas rencontré le président Kagame à Doha ? Une concertation directe entre les autorités congolaises et le M23 n’a-t-elle pas été envisagée ? Alors que nous reproche-t-on ?
Des médiations ont été initiées depuis Luanda, depuis Nairobi, le Qatar s’invite maintenant à la table… Votre initiative n’est-elle pas de trop ?
Notre processus est complémentaire de ceux de Luanda et de Nairobi, il n’y a pas d’interférences. Quant à celui du Qatar, il a au moins permis aux gens de se parler. La RDC est aujourd’hui dans une situation catastrophique. L’essentiel pour nous, c’est vraiment que l’on trouve des solutions définitives pour éviter la répétition des guerres. Nous ne sommes pas là pour porter des coups contre un régime, mais pour trouver des solutions. On ne peut pas continuer comme cela : on risque de perdre ce pays, ce n’est un secret pour personne.
Les crises s’accumulent depuis des décennies. Le Congo en est aujourd’hui presque paralysé. Il n’est pas normal que des armées étrangères puissent venir comme ça au Congo, qu’une partie de notre territoire soit occupée par des gens que l’on ne contrôle pas. Même notre niveau de vie est indigne d’un pays comme la RDC.
Que pensez-vous des leaders de l’opposition qui affirment que Félix Tshisekedi n’est plus l’homme de la situation ?
Je préfère ne pas parler des individus, mais des Congolais, de leur aspiration à vivre ensemble et dans la dignité.
Mais certains ont accusé les Églises de travailler à son départ du pouvoir. Que leur répondez-vous ?
Nous ne voulons faire partir personne, pas plus que nous ne voulons en faire venir. Le pacte que nous proposons n’a pas cette vocation-là. Relisez notre feuille de route : nous n’avons rien écrit qui aille en ce sens.
Comment faire avancer votre agenda face à un pouvoir qui ne vous fait pas confiance ?
Cela ne nous a pas été signifié.
Vous vous êtes beaucoup déplacés ces derniers mois. Qui finance vos activités ?
Ne sous-estimez ni l’Église catholique ni l’ECC. Elles ont les moyens de couvrir nos frais. Ne sont-elles pas les institutions qui fonctionnent le mieux dans ce pays ? Et puis il y a des gouvernements qui ont pris en charge nos frais de déplacement. C’est le cas des gouvernements angolais, kényan, ougandais et même rwandais.
Même le Rwanda, qui soutient une rébellion accusée d’exactions ?
Il a estimé que notre initiative était salutaire. Nous sommes des pasteurs, et nous sommes à la recherche de solutions.
Et si un jour, le président Tshisekedi devait cesser de soutenir votre initiative ?
Nous aviserons à ce moment-là. Nous consulterons les évêques et les pasteurs de nos deux Eglises, et trouverons des solutions.
(Avec Jeune Afrique)
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