Le pari risqué du grand Inga, héritage d’un chantier négligé !

Le pari risqué du grand Inga, héritage d’un chantier négligé !

(Par Tite Liongi Enkonkoy, Expert en suivi-évaluation) 

La République Démocratique du Congo (RDC) s’étend sur 2 267 000 km2 pour une population de plus 100 millions d’habitants. Cet État se situe au cÅ“ur du continent africain, position centrale qu’une faible ouverture sur l’Atlantique, sur seulement 37 km de littoral, semble renforcer. Mais c’est de ce corridor vers l’Atlantique, cette « queue de poêle », que lui vient une de ses forces qu’il nous semble intéressant d’analyser ici ; l’aménagement du Kongo central et des chutes d’Inga en particulier. La Banque Africaine de Développement dans dans son programme considère ce pays comme ayant un fort potentiel énergétique notamment autour de la maîtrise de ses capacités hydro-électriques qui sont estimées à 110 GW. C’est dans ce cadre-là qu’est né l’ambitieux projet « Grand Inga ». Ce projet de méga-barrage, sur le deuxième fleuve du Monde par son débit, de 40 000 m3/s en haute saison et 36 000 m3/s en saison sèche, apparaît comme une réponse possible au constat de la BAD, qui placerait alors la RDC en position dominante pour la production d’électricité au sein du continent africain.

Inga, une réponse à des besoins

L’idée d’un mégaprojet de barrage sur le cours inférieur du fleuve Congo existe depuis plus de 40 ans. Deux grands barrages construits dans les années 1970 et 1980 nommés Inga 1 et 2 sont actuellement en service à proximité des installations prévues. Le projet de réseau de barrages intitulé Grand Inga prévoit la construction de deux barrages supplémentaires bien plus importants.

Grand Inga devrait obstruer totalement le cours du fleuve Congo et fournir de l’électricité à la moitié du continent. Ce gigantesque projet compterait en tout huit étages de retenue avec une capacité nominale totale de près de 44 GW pour un coût de 80 milliards de dollars US.

Poursuivre l’équipement du Kongo Central

« Inga » désigne les rapides Kongo central qui constituent la plus importante concentration de cascades au monde si près de l’embouchure d’un fleuve. En effet, le Congo descend rapidement en direction de l’océan, fait une courbure à 180 degrés, voit son chenal se rétrécir, ce qui donne à cette partie du fleuve des qualités rares du point de vue du potentiel hydroélectrique.

L’intérêt n’est pas nouveau et le fleuve Congo est d’ailleurs déjà équipé en barrages pour la production d’électricité. En effet, Inga 1 et Inga 2 respectivement construits en 1972 et 1982, fournissent de l’électricité pour la capitale Kinshasa, située à seulement 225 km au Nord, et aux mines du Katanga reliées par une ligne à haute tension sur une distance de 1 700 km.

Mais ces installations vieillissent mal et leur mauvais entretien n’arrange rien. Ainsi, sur les six groupes d’Inga 1, trois étaient à l’arrêt début 2011[2]. Quant à Inga 2, quatre groupes fonctionnaient sur les huit installés. Le bilan reste donc très défavorable avec seulement 0,9 GW produits sur les 1,8 GW attendus.

Des enjeux environnementaux à ne pas négliger

Comme le signale la Régie des Voies Fluviales de la RDC (RVF), il faut prendre en compte les irrégularités du débit du fleuve Congo. D’abord en raison d’un déficit en précipitations qui affecte tout le bassin hydrographique du Congo. Ensuite, on constate une baisse inquiétante des eaux du Lac Tanganyika (moins 80 cm en dix ans dans le port de Bujumbura).

Enfin un réchauffement des eaux touche le Congo provoquant une plus forte évaporation. Le projet du « Grand Inga » pourrait aussi pâtir du transfert d’une partie des eaux de l’Oubangui vers le lac Tchad, qui subit un asséchement problématique et qui pourrait même être menacé d’assèchement total. En août 2011, le Président Kabila s’est rendu lui-même sur les lieux pour constater que le canal d’amenée d’Inga 1 était presque à sec. Le problème semble donc déjà être une réalité. Alors comment continuer à réaliser le projet si l’eau vient à manquer encore plus dans les années à venir ?

Les barrages d’Inga 1 et Inga 2, bien qu’ils aient contribué à la production d’électricité en République Démocratique du Congo, ont également eu des impacts environnementaux significatifs. Ces impacts incluent des perturbations des écosystèmes fluviaux, des changements dans la biodiversité, et des risques potentiels pour les communautés locales.

Problèmes environnementaux liés à Inga 1 et 2

  • Altération du régime hydrologique : la construction des barrages a modifié le débit naturel du fleuve Congo, affectant la faune et la flore aquatiques, ainsi que les activités humaines dépendantes du fleuve.
  • Impact sur la biodiversité : la création de retenues d’eau a entraîné la submersion de terres agricoles et d’habitats naturels, modifiant les écosystèmes locaux et menaçant certaines espèces.
  • Risque de méthane : la décomposition de la matière organique dans les zones inondées peut produire du méthane, un gaz à effet de serre, contribuant au changement climatique.
  • Menace pour la faune : les lignes de transport d’électricité peuvent représenter des obstacles pour la faune sauvage et augmenter les risques de collisions.
  • Déplacement de populations : les projets d’Inga ont potentiellement entraîné le déplacement de communautés locales et la perte de leurs moyens de subsistance.

Conséquences pour les communautés locales

  • Pêche : la modification du régime hydrologique a impacté la pêche, une activité essentielle pour de nombreuses communautés riveraines.
  • Agriculture : les inondations dues aux barrages ont détruit des terres agricoles et réduit la production agricole.
  • Santé : l’augmentation des maladies liées à l’eau, comme le paludisme, est une préoccupation pour les populations locales.

Le projet Grand Inga

Le projet Grand Inga, une extension potentielle des barrages existants, soulève des préoccupations environnementales encore plus importantes en raison de sa taille et de son impact potentiel sur le fleuve Congo. Il est crucial que les autorités prennent en compte ces aspects environnementaux et sociaux lors de la planification et de la mise en œuvre de ces projets.

La société civile congolaise, les ONG Locales et les habitants des zones Concernées continuent de critiquer L’absence d’études de suivi environnemental et social portant sur Inga 3, Notamment au vu des connaissances actuelles sur les conséquences néfaste de  la construction et de l’exploitation des barrages existants sur la population locale.

Il est impossible d’estimer l’ampleur des dégâts écologiques. Toutefois, une chose est sûre : Inga 3 entraînera une diminution du niveau du fleuve et de sa vitesse d’écoulement, mettant en péril la biodiversité et la biodiversité des espèces.

La fonction du fleuve Congo comme l’un des plus grands mécanismes d’absorption du CO2 au monde est également menacée. Inga 3 entraînera le déplacement forcé d’environ 37 000 foyers d’agriculteurs ainsi que de l’infrastructure sociale et économique des bords du fleuve Congo.

Par le passé, les grands projets ont toujours posé d’importants problèmes politiques en RDC en raison de leur vulnérabilité particulière à la corruption. Avec 82 point d’Indice de perception de la corruption en 2019, la RDC se classe à la 168e place sur 180 pays analysés.

 L’opacité de la Planification et de l’attribution du projet de même que la divergence des intérêts des représentants nationaux comme internationaux, ou encore la mauvaise gestion des projets existants, en sont quelques symptômes. En outre, la société civile et les populations locales n’ont jusqu’à présent pas été associées au projet et ont été très peu informées de l’évolution du processus.

L’inventaire historique, économique et politique

Les plans de construction du méga barrage Inga 3 sont en discussion depuis le début du siècle. Dès 2004, le gouvernement congolais signait avec cinq pays d’Afrique australe une déclaration d’intention portant sur la construction de la centrale hydraulique. En Janvier 2009, la RDC résilia cet accord et conclut un nouveau partenariat avec l’entreprise anglo-australienne BHP Billiton.

Mais cette relation commerciale se solda également par un échec. En 2013, deux anciens présidents, Joseph Kabila et son homologue Jacob Zuma, s’accordèrent pour céder à l’Afrique du sud plus de la moitié des 4,8 GW de puissance totale d’Inga 3. En 2016, la Banque mondiale se retira du financement pour cause d’absence d’études de faisabilité et de manquements au contrat de la part du gouvernement congolais.

Toutefois, et malgré l’incertitude planant sur le financement du projet, Kabila attribua l’appel d’offre à un consortium sino-européen. Les investisseurs augmentèrent alors la capacité prévue pour passer à 11 GW. Mais les entreprises partenaires entrèrent en conflit et en  janvier 2020, l’entreprise espagnole ACS se retira du projet Inga 3. Félix Tshisekedi, le successeur de Kabila revit de nouveau les capacités de production électrique à la baisse pour revenir aux 4,8 GW.

L’histoire de ce projet controversé devrait à elle seule alerter  les investisseurs, les organisations de développement, ainsi que sa population. Les coûts de construction d’Inga 3 représenteraient selon les estimations entre 12 et 24 milliards de dollars, le  gouvernement congolais avait annoncé qu’il participerait à la concurrence de 3 milliards de dollars US par le biais de crédits aux conditions préférentielles, potentiellement extensibles jusqu’à 6 milliards de dollars US.

Le reste du financement devra être assuré par des investissements privés. En supportant des coûts aussi élevés et le risque financier immense qui en découle. la RDC, Déjà endettée à plus de milliards de dollars US, risque de s’enfoncer plus profondément encore dans le piège de la dette.

Conclusion et recommandations

Ainsi, cela fait presque un siècle (depuis 1921), que l’Afrique a été identifiée comme le continent possédant un fort potentiel en ressources énergétiques avec la moitié du potentiel hydro-électrique mondial et principalement avec le fleuve Congo.

Le « Grand Inga », projet sans cesse repoussé, reste pourtant un gage d’indépendance énergétique pour la RDC et plus largement la possibilité pour les populations africaines d’accéder plus facilement à l’énergie. Mais « Grand Inga » illuminera-t-il un jour les Africains ? Au vu des difficultés, notamment financières, le projet congolais reste encore en l’état. A cela s’ajoute l’opacité dans la gestion des déplacés du camp Inga.

Il y a des allégations de gestion opaque du camp de déplacés d’Inga,  notamment en ce qui concerne la distribution des aides et les conditions de vie. Ces allégations soulèvent des inquiétudes quant à la transparence et à la responsabilité des acteurs humanitaires impliqués dans la gestion du camp. L’on peut énumérer quelques points ressortissants des informations disponibles en notre possession :

  • Le manque de transparence dans la distribution des aides ;
  • Les mauvaises conditions de vie : les témoignages recueillis font état de conditions de vie déplorables dans le camp, notamment le manque d’accès à l’eau potable, à des latrines et à des soins de santé adéquats ;
  • Absence de mécanismes de plainte : il est rapporté que les mécanismes de plainte et de rétroaction mis en place sont inefficaces, voire inexistants, empêchant les déplacés de faire part de leurs préoccupations et de leurs problèmes aux gestionnaires du camp.

Il est important de noter que ces allégations peuvent affecter la confiance de la population qui sera ciblée lors de la prise en considération (validation) de l’étude d’impact environnementale et sociale, notamment le déplacement de la population.

Il appartient aujourd’hui au Gouvernement de la République d’assurer une coordination responsable avec la structure qui est en charge de gestion de ces différents cas pour baliser le chemin à ce méga projet qui génère l’espoir d’un peuple.

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