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Petite histoire des Constitutions en République Démocratique du Congo

Petite histoire des Constitutions en République Démocratique du Congo

(Par Jean-Marie Mutamba Makombo, Professeur émérite / Université de Kinshasa)

S’alignant sur la demande pressante du Front Commun présentée par Jean Bolikango le 27 janvier 1960, la Table Ronde Belgo-Congolaise a acté tout de suite le 30 juin pour l’accession du Congo à l’indépendance. Pour mettre en place les institutions du Congo indépendant, il ne restait plus que cinq mois. Le 19 février, la Table Ronde adopta des résolutions qui définissaient les attributions des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et partageaient le pouvoir entre les autorités centrales et provinciales. Une commission politique de six Congolais désignés par les partis politiques présents à la Table Ronde devait rester à Bruxelles pour assister le ministre du Congo dans la transcription des résolutions de la Table Ronde sous forme de projets de loi et l’ébauche de l’avant-projet de constitution. Et c’est ainsi que la Loi fondamentale qui résulte des options affirmées par les délégués congolais à la Conférence de la Table Ronde politique, et qui organisait les pouvoirs et définissait les structures du nouvel Etat congolais fut votée par le Parlement belge le 19 mai 1960.

Une première entorse de la Loi fondamentale se produisit le 30 juin 1960. Le Chef de l’Etat était irresponsable. Aucun acte du Chef de l’Etat ne pouvait avoir d’effet s’il n’était contresigné par un Ministre qui, pour cela seul, s’en rendait responsable (Art. 19 et 20). Joseph Kasa-Vubu  fit rédiger son discours du 30 juin par un Belge, l’Administrateur Jean Cordy, et ne l’a pas soumis à un membre du gouvernement. Selon l’article 36, le Premier Ministre conduit la politique de l’Etat en accord avec le Conseil des Ministres qu’il préside. Patrice Lumumba n’a pas soumis lui aussi au Conseil des Ministres le célèbre discours du 30 juin rédigé avec l’assistance des Guinéens Diallo Telli et Tibou Tounkara, du Camerounais Félix Moumié, des Congolais Joseph Mbuyi, Jacques Lumbala et Anicet Kashamura.

Le 30 juin augure le 5 septembre 1960. La Loi fondamentale fut enjambée allègrement. Deux mois plus tard, le Chef de l’Etat et le Premier Ministre se sont destitués mutuellement dans la nuit du 5 septembre sans l’avis ni du gouvernement, ni du parlement.

La Loi fondamentale assignait le pouvoir constituant au Chef de l’Etat et aux deux Chambres (art.4). La constitution devait être élaborée endéans 3-4 ans pendant la première législature. C’est ainsi que le Chef de l’Etat a convoqué les Chambres en assemblée constituante pour le 31 août 1963. La durée des travaux de la constituante était fixée à cent jours.

Comme les parlementaires tergiversaient et faisaient de l’obstruction parce qu’il ne leur avait pas été autorisé d’introduire des motions de censure contre le gouvernement pendant la durée de la session constitutionnelle, le Chef de l’Etat clôtura la session parlementaire le 29 septembre, et mit en place une commission chargée de l’élaboration d’un projet de constitution.

Cette commission fut présidée par un membre du gouvernement central, Joseph Iléo, assisté de Marcel Lihau, secrétaire général. Elle comprenait dix catégories de participants totalisant 137 membres, à savoir 4 représentants du gouvernement central, 42 des assemblées provinciales, 42 des gouvernements provinciaux, 12 des syndicats, 16 des employeurs, 9 des collectivités rurales, 2 du Conseil National de la Jeunesse, 2 de la Presse, 2 des étudiants, 6 des confessions religieuses.

La Commission constitutionnelle se tint à Luluabourg (Kananga) du 10 janvier au 11 avril 1964. Le référendum se déroula du 25 juin au 10 juillet 1964 dans la partie du territoire national qui n’était pas contrôlée par la rébellion muleliste. Les régions troublées par des conflits armés ne participèrent pas au référendum. Pendant la tenue des travaux, une petite délégation vint rendre compte au Chef de l’Etat Kasa-Vubu, et lui demanda ce qu’il voulait voir figurer dans la constitution. Celui-ci leur répondit : « Faites la constitution en ne pensant pas à moi. La constitution doit être impersonnelle. Imaginez quelqu’un d’autre que moi qui accède au pouvoir. Qu’est-ce qui arrivera ? ».

Le projet de constitution soumis au référendum consacrait le principe du fédéralisme en adoptant la répartition des compétences entre le gouvernement central et les provinces. Il admettait aussi la répartition des recettes entre l’Etat et les provinces. La République démocratique du Congo comprenait la Ville de Léopoldville et 20 provinces autonomes. Mais le terme « fédéral » qui n’était pas repris dans la constitution ne pouvait être utilisé qu’à partir de la troisième législature (art.178).

La constitution promulguée le 1er août 1964 a voulu porter un remède aux facteurs de la crise depuis l’indépendance. Pour prévenir les sécessions, on a défini minutieusement la structure de l’Etat et les relations entre institutions centrales et provinciales. Un accent particulier fut porté à l’intégrité du territoire de la République (art. 2). Pour parer à l’instabilité institutionnelle, on a institué un régime semi-présidentiel. Le Président de la République n’était plus le Chef d’Etat irresponsable de la Loi fondamentale qui portait des chrysanthèmes. Toutefois, il n’était pas encore élu au suffrage universel direct. Selon l’article 56, il devait être élu par un corps électoral composé des membres du Parlement et des délégués de la Ville de Léopoldville qui votaient dans la Capitale, ainsi que des membres des assemblées provinciales, qui voteraient chacun au chef-lieu de la province qu’il représentait. Pour lutter contre l’arbitraire des pouvoirs publics, on a installé un arsenal de 35 articles illustrant les droits fondamentaux (art. 12 à 46). Il est à souligner que la constitution du 1er août 1964 condamnait et interdisait le parti unique en République démocratique du Congo (art.30).

Moins de trois ans après la promulgation de la constitution du 1er août 1964, dix-neuf mois après le coup d’Etat militaire, une nouvelle constitution fut promulguée pour s’adapter à la conjoncture politique et être conforme à l’orientation du nouveau régime. La constitution du 24 juin 1967 contraste avec les constitutions antérieures.

D’abord par sa concision, elle ne comprend que 85 articles contre 204 articles pour la constitution de 1964, et 259 articles pour la Loi fondamentale de 1960. Ensuite par ses principes : la constitution de 1967 consacre un Etat unitaire centralisé et le régime présidentiel. Elle introduit plusieurs innovations : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, le mandat présidentiel porté à sept ans au lieu de cinq, l’institution du monocaméralisme, l’admission des femmes au vote, la fixation de l’âge de l’électorat à 18 ans et de l’éligibilité à 25 ans. Le nombre de provinces est ramené à 8, plus la ville de Kinshasa. Combattant la prolifération des partis politiques, la constitution de 1967 limite leur nombre à un maximum de deux (art. 4). L’article 69 stipule : « En vue de promouvoir l’unité africaine, la République peut conclure des traités et accords d’association comportant abandon partiel de sa souveraineté ».

La Constitution de 1967 fut adoptée après le référendum organisé du 4 au 23 juin. Le « Oui » l’a emporté avec 97,8%. Ultérieurement, cette constitution subit dix-sept modifications.

Le 24 avril 1990, le Président Mobutu a pris la décision d’introduire au Zaïre (RDC) des réformes dans le sens de la libéralisation politique. Parmi les réformes, il y avait notamment la fin du monopartisme, l’abolition de l’institutionnalisation du Mouvement Populaire de la Révolution, la suppression de son rôle dirigeant, le multipartisme à trois, la séparation entre le Parti et l’Etat, la reconnaissance des trois pouvoirs traditionnels, la dépolitisation des services publics, l’instauration d’un pluralisme syndical, etc. Aussi certaines dispositions de la constitution furent-elles été modifiées par la loi n°90-002 du 5 juillet 1990.

Par la suite s’est tenue la Conférence Nationale (août 1991 – décembre 1992) qui avait l’ambition d’exprimer la souveraineté du peuple et d’installer un nouvel ordre politique dans le pays. A cet effet, après le Compromis politique global du 31 juillet 1992, la C.N.S. a produit et adopté le 4 août 1992 l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de Transition qui n’a jamais été appliqué. Les changements portaient sur le nom du pays (République du Congo), l’emblème (drapeau bleu-ciel, orné d’une étoile jaune dans le coin supérieur gauche et traversé en biais d’une bande rouge finement encadrée de jaune), l’hymne national (Debout Congolais, l’hymne de l’indépendance), le régime en place (le Haut Conseil de la Révolution, émanation de la C.N.S. ; un Premier Ministre élu par la C.N.S., véritable chef de gouvernement, responsable devant le H.C.R.). La résistance du Président Mobutu aux changements prônés par la CNS conduisit à un dédoublement des institutions, à la confusion et au blocage du fonctionnement de l’Etat avec la loi n°93/001 du 2 avril 1993 portant Acte Constitutionnel harmonisé relatif à la période de la transition, après la tenue du Conclave politique de Kinshasa.

Des concertations politiques se sont avérées nécessaires. Entreprises au Palais du Peuple par Mgr. Laurent Monsengwo Pasinya, président du H.C.R., avec l’accord du Chef de l’Etat Mobutu, elles  aboutirent à l’Acte Constitutionnel de la Transition promulgué le 9 avril 1994 qui a revu et corrigé l’Acte du 4 août 1992.

La durée de la Transition était de quinze mois (art. 117). La dénomination de République du Zaïre fut maintenue dans l’article 1, de même que le drapeau vert-clair orné au centre d’un cercle jaune dans lequel figurait une main droite tenant un flambeau à la flamme rouge, et la Zaïroise comme hymne national. Dans l’article 56 la majorité des Conseillers de la République désignés par la Conférence Nationale Souveraine s’est diluée dans le Haut Conseil de la République – Parlement de Transition en recevant les Députés de l’ancienne Assemblée Nationale ayant participé en cette qualité à la C.N.S., ainsi que les Négociateurs aux concertations politiques du Palais du Peuple.

En sept mois seulement, du 18 octobre 1996 au 17 mai 1997, Laurent-Désiré Kabila, « le tombeur de Mobutu », a marché à la tête de l’armée des enfants-soldats « Kadogo » sur la République du Zaïre avec l’aide des Tigres katangais et de ses alliés étrangers. Le vendredi 16 mai 1997, le président Mobutu quitta Kinshasa pour Gbadolite, sa sécurité ne pouvant plus être assurée par l’armée. Le 17 mai, l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL) fit à Lubumbashi le constat de la vacance du pouvoir au sommet de l’Etat. Elle suspendit la constitution et les institutions de la République, et prit le pouvoir d’Etat.

Dix jours plus tard, le président Laurent – Désiré Kabila publia le décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en République Démocratique du Congo. Ce texte constitutionnel se caractérise par sa brièveté (15 articles) et sa concision qui s’expliquent par le délai très court de son élaboration. La nécessité et l’urgence invoquées dans le préambule, c’est l’investiture du nouveau Président de la République, la légalité et la légitimité que recherchait le nouveau Pouvoir conquis par les armes. Le Président de la République concentre entre ses mains les pouvoirs exécutif, législatif, réglementaire, juridictionnel et constitutionnel. Les membres du Gouvernement ne sont responsables que devant le Président de la République.

Une nouvelle page d’histoire est écrite avec la guerre d’agression qui a frappé la RDC en 1998. Le Rwanda a utilisé des comparses congolais. L’enlisement de la guerre, avec ses millions de tués, de blessés et de réfugiés, a conduit à conclure « une paix des braves » où il n’y aurait ni vainqueurs ni vaincus. La guerre sur le terrain s’est transportée sur le tapis avec les multiples tractations et négociations entre les belligérants. Elles ont abouti le 17 décembre 2002 à l’Accord Global et Inclusif sur la Transition de Pretoria adopté à Sun City le 1er avril 2003, et coulé dans la Constitution du 4 avril 2003. Le consensus s’est fait sur une répartition équitable et équilibrée des différentes responsabilités d’Etat entre les Composantes et Entités du Dialogue Inter-Congolais, schématisée par une formule : « le Régime 1+ 4 ». Les parties présentes à l’Accord étaient :  le Gouvernement de la R.D.C., le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (R.C.D.), le Mouvement de Libération du Congo (M.L.C.), l’Opposition politique, les Forces vives, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie/Mouvement de Libération (RCD/ML), le Rassemblement Congolais pour la Démocratie/National (RCD/N) et les Maï-Maï. Les quatre postes de Vice-Président étaient réservés aux Composantes Gouvernement, RCD, MLC et Opposition politique.

Appelée à adopter le projet de constitution à soumettre au référendum, l’Assemblée Nationale de la Transition 1+4 (2003-2006) eut à se prononcer sur l’article 70. Quelle serait la durée du mandat présidentiel ? Le débat se déroulait en plénière. Le président de l’Assemblée Nationale suspendit la séance pour le vote, le temps pour chaque groupe parlementaire de recevoir le mot d’ordre du chef du parti. La séance reprit avec un vote nominatif pour intimider les députés qui étaient nommés et non pas élus. Le Président Joseph Kabila et le Vice-Président Jean-Pierre Bemba avaient enjoint aux députés de leurs composantes (Gouvernement + Mouvement de Libération du Congo) de voter pour un mandat indéterminé. Chacun d’eux misait pour devenir le premier président de la Troisième République. Ils comptaient aussi sur des membres de la Société Civile. Malheureusement pour eux, la majorité des députés opta « pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ».

 La Constitution du 18 février 2006 est fondatrice de la 3ème République en R.D.C. Elle fut promulguée après un référendum organisé du 18 au 19 décembre 2005. Pour consolider l’unité nationale et créer des centres d’impulsion et de développement à la base, la Constitution a structuré la RDC en 26 provinces, y compris la ville-province de Kinshasa. Elle reconnaît des compétences exclusives à ces provinces qui en exercent d’autres concurremment avec le pouvoir central. Par ailleurs, la Constitution fixe le partage des recettes nationales à raison de 40% pour les provinces et de 60% pour le pouvoir central.

Les provinces sont administrées par un Gouvernement provincial et une Assemblée provinciale. Elles comprennent, chacune, des entités territoriales décentralisées qui sont la ville, la commune, le secteur et la chefferie. Pour assurer des rapports harmonieux entre les provinces elles-mêmes d’une part, et le pouvoir central d’autre part, une Conférence des Gouverneurs présidée par le Chef de l’Etat est instituée pour émettre des avis et formuler des suggestions sur la politique à mener et sur la législation à édicter par la République.

In fine, pour préserver les principes démocratiques et écarter les révisions intempestives, certaines dispositions furent déclarées intangibles. Il s’agit de la forme républicaine de l’Etat, du principe du suffrage universel, de la forme représentative du Gouvernement, du nombre et de la durée des mandats du Président de la République, de l’indépendance du pouvoir judiciaire, du pluralisme politique et syndical (art. 220). De même, toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne ou de réduire les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées est formellement interdite. Aucune révision ne peut intervenir pendant l’état de guerre, l’état d’urgence ou l’état de siège (art.219). L’institution d’un parti unique constitue une infraction imprescriptible de haute trahison punie par la loi (art. 7). La femme a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales. L’Etat garantit la mise en œuvre de la parité homme - femme dans lesdites institutions (art.14).

La constitution du 18 février 2006 fut modifiée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles. Dans le nouvel article 71, le Président de la République est élu à la majorité simple des suffrages exprimés. Il n’est plus question de deux tours en cas où il n’y a pas de majorité absolue au premier tour. Le député national ou le sénateur reprend de plein droit son mandat parlementaire après la cessation d’une fonction politique incompatible (art.110). L’article 218 reconnaît au Président de la République le pouvoir de convoquer le référendum prévu audit article pour l’approbation d’une révision constitutionnelle.

Au terme de l’évolution constitutionnelle de la République démocratique du Congo de 1960 à nos jours, nous observons que notre pays a expérimenté plusieurs types de lois fondamentales qui ont induit différents types de régime politique :

  • Le régime parlementaire, semi-présidentiel, présidentiel, hyper-présidentiel ;
  • Le système fédéral, un Etat unitaire centralisé ;
  • Un parlement bicaméral, un parlement monocaméral ;
  • Le multipartisme à deux, à trois, à plusieurs partis, le parti unique ;
  • Le suffrage direct, le suffrage indirect ;
  • Le mandat présidentiel à cinq ans, et à sept ans.

Au moment où s’engage le débat sur une révision constitutionnelle, il importe que la constitution soit impersonnelle comme le recommandait le président Joseph Kasa-Vubu. Les membres de l’Assemblée Constituante doivent être mus par l’intérêt général. Ils doivent se préoccuper des aspirations démocratiques de la population. Ils doivent avoir en tête le contexte dans lequel se débat le pays : la lutte contre la balkanisation qui nous menace, et la gangrène de la corruption. La Constitution doit être respectée par les acteurs politiques, et ne doit pas être un chiffon de papier.

Jean-Marie Mutamba Makombo

Professeur émérite/Université de Kinshasa

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