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Le français est aussi notre langue maternelle

Le français est aussi notre langue maternelle


(Par Gilles Mpembele, PhD, MBA, Senior Avionics Engineer at The Boeing Company, Adjunct Professor at Washington University in St. Louis, Missouri)

*Espérance M. n’a pas eu beaucoup de chance dans son enfance. Un environnement familial défavorisé et dysfonctionnel ne lui a pas permis d’avoir accès à de bonnes écoles où les enfants sont initiés dès le bas âge à la pratique du français. Plus tard, adulte, elle resta convaincue que ses lacunes en français l’avaient empêchée d’atteindre les sommets de la réussite professionnelle auxquels pourtant une intelligence vive et une ambition intime la destinaient. Ainsi, lorsqu’elle devint mère, elle prit, comme beaucoup d’autres mères en Afrique, une décision souveraine : élever sa fille unique dans un environnement préférentiellement sinon exclusivement francophone et francophile, consciente qu’une maîtrise de la langue française permettrait à sa fille d’accéder à des opportunités professionnelles plus importantes et plus gratifiantes.
Cette attitude est pourtant à contre-courant d’une tendance nouvelle dans certains milieux universitaire et médiatique, qui consiste à railler le français et à élaborer des plans fumeux d’un retour fondamentaliste aux langues africaines. Visiblement, les assauts contre la langue française ne trouvent pas écho auprès de nombreuses mères africaines.
Le français n’est pas une langue étrangère
Au cours d’une émission télévisée, un professeur d’université, juriste et parlementaire, déclara à peu près ceci : « le français n’est pas notre langue. Qu’importe que nous le parlions ou l’écrivions incorrectement. Nous devrions enseigner le droit, les sciences et la philosophie dans les langues et dialectes congolais ». Cette opinion n’est pas minoritaire dans les milieux intellectuels congolais, mais elle est plus récente qu’elle n’y paraît.
En 1964, Hubert Makanda, président de l’Association Générale des Étudiants de Lovanium (AGEL), organisa une revendication étudiante pour africaniser l’université congolaise, mais il le fit dans un français impeccable, à l’oral comme à l’écrit. Valentin Yves Mudimbe n’a pas simplement adopté le français comme outil de travail académique et scientifique, mais il se l’est littéralement approprié au point d’en faire un patrimoine culturel personnel, expression de sa culture et de son identité africaine. Le Cardinal Malula, comme Monseigneur Tshibangu, a porté l’étendard du concept d’inculturation de l’Église sans jamais renier le rôle du français dans l’expression et la pratique africaines de la foi chrétienne.
Le phénomène de rejet apparent du français est nouveau. Il participe d’une volonté de déculturation et de déconstruction des acquis culturels et sociologiques issus de la rencontre entre les sociétés africaines et les pouvoirs colonisateurs occidentaux. Le choc des cultures fut douloureux, tragique, et a laissé des traces sur les langues et cultures africaines. Le recul des langues africaines ne peut être célébré, mais la perspective historique n’a jamais apporté la moindre preuve qu’elles auraient connu une évolution indépendante comparable aux langues internationales comme le français et l’anglais. Les sociétés africaines devraient faire la paix avec ce passé, douloureux certes, mais immuable.
Dans l’histoire de l’humanité, les langues ont traversé les frontières et les cultures. Le Grec et le Latin s’étaient répandus sur des terres et des cultures bien au-delà de la Grèce continentale et de la péninsule italique. De même, l’expansion occidentale dans le monde a permis le rayonnement des langues européennes à travers le monde. Le concept de retour intégral aux langues africaines n’est ni réaliste ni pratique.
Le français fait partie intégrante du patrimoine culturel congolais et 140 ans de pratique de cette langue ne peuvent être effacés sans introduire des distorsions culturelles et sociologiques. Un exemple simple est le retour aux pratiques anthroponymiques anciennes à la suite de la politique de recours à l’authenticité du président Mobutu qui eut pour effet de troubler l’ordre établi de l’état civil congolais et qui conduisit le pays à décrocher inutilement des standards internationaux dans ce domaine.
Le français n’est pas une langue étrangère et son adoption n’est pas la marque d’une défaite culturelle. Il fait partie du patrimoine culturel et sociologique congolais au même titre que d’autres langues nationales, avec un avantage incomparable qu’il permet au Congo de s’ouvrir au monde et de participer à l’évolution de la culture universelle et au rendez-vous global du donner et du recevoir.
Essayez donc de traduire « enchevêtrement quantique » en Tshiluba ou en Kikongo
Sur un plan purement conceptuel, il peut être tentant de vouloir traduire le savoir universel en langues congolaises, mais la tâche n’est pas aussi facile qu’on le pense. Le nombre de mots et concepts nouveaux qu’il faudra créer pour traduire les branches comme la physique, la chimie, la biologie et d’autres serait considérable au point qu’à l’arrivée une nouvelle langue serait créée, qui n’aurait que très peu à voir avec la langue congolaise initiale. Prenez le cas de la Bible par exemple, les traductions en langues congolaises ont eu recours à la création de nouveaux mots qui, dans la plupart des cas, a consisté à africaniser des concepts hébraïques, judaïques, ou grecques. Le terme même de « Biblia » en est un exemple.
Ceux qui doutent encore de la complexité et de l’impraticabilité de cette tâche peuvent essayer de traduire « enchevêtrement quantique » en Tshiluba ou en Kikongo.
L’effort n’en vaut peut-être pas la peine, car il existe une solution simple et pratique : enseigner ces matières dans les langues où elles ont pris corps comme le français et l’anglais.
Ainsi, en dépit de ce qu’une certaine élite intellectuelle prétend, l’effort de traduction du savoir universelle en langues congolaises est une tâche monumentale et quasi impossible. Le vocabulaire et la structure même de ces langues devront connaitre une évolution considérable pour qu’elles puissent rivaliser le français ou l’anglais, ou même le mandarin et le sanskrit. Et si ceux qui proposent cette révolution, comme le professeur-parlementaire mentionné ci-dessus, sont sérieux dans leur démarche, ils devraient commencer par traduire tous les lois et règlements du pays en langues nationales et rédiger des traités complets de linguistique prescriptive et descriptive. Cela n’arrivera pas.
Réformer et renforcer l’enseignement du français à l’école
Les décisions politiques d’assurer l’enseignement fondamental dans les langues congolaises plutôt qu’en français ont souvent été prises dans un contexte de déconstruction de l’héritage colonial. Mais la mise en œuvre de ces décisions n’a jamais permis de véritablement concurrencer le français. Elles ont introduit des distorsions dans l’éducation nationale et ont produit plusieurs générations d’écoliers avec des lacunes graves en français.
En outre, personne n’a jamais pu expliquer le bien-fondé de faire des études dans une langue nationale congolaise qu’on n’utilisera que très marginalement dans sa vie professionnelle. Les distorsions résultant de ces décisions politiques sont encore visibles aujourd’hui si l’on considère l’émergence d’une génération d’enseignants et de professeurs qui estiment qu’il n’est pas nécessaire pour les écoliers et les étudiants de bien parler et de bien écrire le français parce que, selon eux, le français est une langue étrangère.
Lorsque dans les années 70-80, le constat fut établi que les étudiants entrant à l’université avaient des lacunes graves en français, on introduisit le cours de « logique, expression orale et écrite » dans les classes de recrutement pour apprendre aux étudiants à bien réfléchir, parler et écrire.
Une première proposition est que ce cours soit adapté à tous les niveaux des cycles primaire, secondaire et supérieur, et qu’il soit enseigné à partir de l’école primaire pour initier les élèves à la réflexion logique, à l’esprit critique, aux techniques de composition et de présentation, ainsi qu’à l’art oratoire.
Une deuxième proposition est l’intensification des cours de composition et de dissertation, qui devraient exiger que les étudiants rédigent une composition sur un sujet donné au moins une fois par semaine, en sachant établir une différence entre ce qui peut être le développement d’une opinion personnelle et l’élaboration d’une analyse factuelle.
Une troisième proposition est l’initiation dès le bas âge à l’art de parler en public, afin de vaincre la peur et l’angoisse associées à cette activité. La pratique du théâtre et d’autres arts scéniques devrait être généralisée, ainsi que l’initiation à l’art de lire un discours préparé ou de prononcer un discours impromptu, et les techniques respiratoires pour contrôler ses émotions.
Une quatrième proposition est de mettre un accent particulier sur l’élocution et la prononciation, qui sont aussi des aspects du langage qui doivent s’apprendre dès le bas âge. Les élèves doivent être en mesure d’appréhender la différence de prononciation entre « peur » et « père », et entre « pur » et « pire ».
Mais, bien plus, c’est dans les familles que cette prise de conscience devrait être la plus grande. Il faut encourager les parents à parler à leurs enfants en français, autant que possible, pour qu’ils grandissent dans un environnement où ils acquièrent les fondamentaux de cette langue. Ceci ne devrait pas être simplement un vœu pieux mais devrait être élevé au niveau de politique gouvernementale, avec des moyens financiers publics adéquats et des mesures incitatives appropriées.
L’importance pour les enfants de maitriser la langue française, parlée et écrite, a été bien comprise d’Espérance M. et d’autres mères africaines, en dépit des propositions d’un retour radical aux langues africaines qui émergent ici et là. Les mères congolaises et africaines savent mieux que l’élite universitaire et médiatique, que la clé du succès pour leurs enfants est dans la maîtrise du français. Elles ont fait et continuent de faire le choix du français comme première langue pour leurs enfants, sans regret et sans aucun complexe. L’avenir de la langue française en RDC se trouve peut-être entre leurs mains.

 

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