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Lorsque les Chercheurs éternuent, l’Etat s’enrhume : Présentation aux thésards de l’Université Catholique du Congo

Lorsque les Chercheurs éternuent, l’Etat s’enrhume : Présentation aux thésards de l’Université Catholique du Congo

(Par Prof. Patience Kabamba)

Introduction :

Henry Ford visitait une usine automobile à Chicago en compagnie d’un délégué syndical. Dans un atelier ou les robots avaient complétement remplacé les ouvriers, d’un ton ironique Ford lança à l’endroit du délégué syndical : « à ceux-là, ça va être difficile pour toi de refiler une carte syndicale ! » Et le délégué syndical lui répondit sur un même ton narquois, « Sans doute, mais à toi, ça va être difficile de leur vendre des voitures » !

La recherche revêt d’un double enjeu pour qui souhaite bâtir une société démocratique. D’un côté, le lieu de la liberté au travail du chercheur, liberté qui provient du fait que l’on fait ce que l’on aime, de l’autre, celui de la coopération et de la connaissance pour le monde, au bénéfice de l’humanité. Cependant, avide de profit, le contexte néolibéral encourage des recherches qui non seulement s’articulent avec les besoins du patronat mais également participe à la fabrique d’un citoyen devenu consommateur et auto entrepreneur de sa vie. Subordonner les chercheurs à la prescription néolibérale devient alors le moyen de subordonner les futurs citoyens à ces exigences.

En effet, le travail du chercheur n’est pas une chose aisée. Faire de la recherche, c’est faire vivre un conflit permanent entre ce que fait le chercheur et le réel de sa situation de travail dont « l’évaluation par les individus et les collectifs dépend des critères de performance qu’ils se donnent. » (Bourgeois et Hubault, 2013).

La double lecture d’un texte

Quel que soit le texte en notre présence, il existe deux manières de le lire. Mêmes les textes bibliques font objets de deux types de lectures s’ils sont considérés premièrement comme des textes au même titre que les autres textes de la littérature.

Un texte peut être lu comme un fossile qui éveille les choses du passé et qui plait à ceux qui veulent que le présent demeure tel qu’il est, inchangé et inchangeable. Les disciples du statu quo sont généralement ravis par ce type de lecture car elle ne change rien à la donne existante. Ce type de lecture est un supplément d’âme à la névrose du monde. Lorsqu’on a fini la lecture, il n’y a aucun impact sur sa vie et sur le cours des événements.

La lecture dans ce cas de figure est une accumulation des connaissances qui ne servent à rien dans l’existence concrète. Ce type de lecture est quasi talmudique et débile et se contente de répéter des hochets théoriques sans aboutir à une transformation de la vie personnelle ou communautaire.

La Bible ou le Coran peuvent aussi être lus de cette manière au terme de laquelle le texte reste un fossile et la vie du lecteur n’en subie pas le moindre impact.

Plusieurs personnes qui lisent la Bible sont dans ce cas de figure lorsque cette lecture ne change pas leur vie et ne les mobilise pas pour lutter contre l’aliénation historique qui a pris en otage notre être générique fait d’éros, d’amour et de volupté. L’amour est ce qu’il y a de plus indocile et rebelle a toute objectification de la personne aimée. Dès que vous vous sentez utiliser comme un objet dans une relation, vous devez l’arrêter pour être fidèle à votre être générique. C’est cette fidélité que nous recherchons dans chaque texte que nous lisons.

Le second type de lecture est celle qui considère qu’un texte va toujours au-delà du texte et permet d’aller à la matérialité pratique des luttes quotidiennes de la vie. Le texte procure au lecteur la capacité offensive pour aller à la lutte contre toute tentative de domestication de la vie humaine.

Il existe en chacun de nous une flamme insurrectionnelle qui reste allumée et qui nous pousse à changer les choses dans notre vie et dans la vie de notre communauté. Comme je l’ai dit plus haut, nous sommes des êtres dotés de ce que les Grecs appelaient “éros”, l’amour qui nous pousse à nous rebeller contre les forces qui tuent la vie en nous. Lorsque nous lisons un texte, quel que soit le texte, nous devons chercher les liens entre ce texte et notre vie et celle de notre communauté. Tout texte nous renvoie à la vie courante, à l’histoire de nos insatisfactions et de notre domestication. Le texte a donc pour rôle de maintenir allumée la flamme incendiaire que nous portons en nous.

Même la Bible, elle doit être lue de la même manière avec la flamme insurrectionnelle qui est en nous. Jésus n’a pas fondé d’Église, mais une « ecclésia » qui signifie une “assemblée insurrectionnelle” contre tout ce qui détruit la vie humaine. Vaincre la mort dans la Bible signifie s’opposer à ce qui détruit la vie. La mort est l’ensemble des forces qui détruisent la vie. La flamme insurrectionnelle que nous portons en nous est allumée par la lecture du texte biblique ou de tout autre texte. Sans cela, nous devenons des cadavres vivants.

Malgré les difficultés que nous traversons dans notre pays, nous voulons une chose, rester en vie, c’est-à-dire tuer tout ce qui nous empêche de vivre heureux. En d’autre terme nous voulons garder cette flamme insurrectionnelle en nous, nous voulons la garder allumée en toute circonstance. Au-delà de sa texture, tout texte nous conduit à raviver notre flamme incendiaire contre la mort physique ou sociale, à la manière du “conatus” Spinoziste.

Notre sante se conserve et se développe lorsque le travail que nous faisons fait sens. La crise de la Covid 19 nous a permis de poser la question du pourquoi nous travaillons, pourquoi nous faisons de la recherche ; un travail qui n’est pas que douleur et souffrance, mais aussi source d’épanouissement, espace des liens sociaux, lieu de la créativité humaine. Il existe un lien indéfectible entre santé au travail et le sens que chacun y met ou y trouve.

Un intellectuel n’est pas quelqu’un qui pense.

Il est quelqu’un qui congèle la pensée dans une relation narcissique, prétentieuse et égotique. L’intellectuel a la prétention de découvrir, de créer.

Marx, reprenant les présocratiques et Hegel, nous a appris que “chaque fois que je lis quelque chose d’intelligent, quelque chose de profond, je ne fais qu’épouser la naturalité du cosmos qui parle en moi et que je recueille.

Le logos, la radicalité du logos, le fameux LG, le logos, c’est la parole qui recueille. Dans les circuits linguistiques des vielles matrices indo-européenne, c’est le verbe par lequel le chasseur-cueilleur exprimait qu’il récupérait, cueillait, qu’il collectait une bête.

Le logos est la parole du vrai parce qu’il épouse la rationalité de l’authentique et qu’il se borne avec humilité de le recueillir. La véritable pensée est anti-intellectuelle parce qu’elle récuse la division du travail, qu’elle soit qu’il n’y a pas de création personnelle. Toute intellection radicale et vraie est impersonnelle. Elle est humble, elle est transmission de radicalité profonde.

La soi-disant création personnelle est une imposture narcissique du fétichisme de la marchandise. Un intellectuel, c’est la pensée du faux omniprésent. L’intellectuel a la culture narcissique de la représentation et il épouse le mythe, il est le représentant de cosmos. Il marchandise le savoir et accusent de plagia ceux qui s’en serve sans son aval comme s’il en était le producteur ontologique. Ce narcissisme est le signe marquant de l’intellectuel ignorant de la puissance social à la base du logos.

La puissance Sociale

Une expression de Marx qui articule la qualification du travailleur avec sa capacité à prendre sa part dans l’Histoire. Le patron acquiert dans l’échange la puissance de travail de celui qui reçoit un salaire. La puissance sociale n’est pas une notion rattachée à un individu, mais a un collectif. La puissance de la classe dominante découle de ce qu’elle possède, mais la puissance sociale du travailleur découle du pouvoir qu’il a sur sa tâche, son organisation, ses finalités et les outils nécessaires à son exécution. Une cherche digne de ce mot émane de la puissance sociale. Comme Marx le stipule, « Plus l’ouvrier s’extériorise dans son travail, plus le monde étranger, objectif, qu’il crée en face de lui, devient puissant, plus il s’appauvrit lui-même et plus son monde intérieur devient pauvre, moins il possède en propre. » En d’autre termes, tantôt le travail contraint aliène l’individu qui se perd, tantôt il devient émancipateur pour l’individu qui porte les choses à l’existence (Canguilhem 2002).

Conclusion

Ce par quoi se différencie le chercheur, c’est génériquement la permanence de logos critique et la volonté subversive contre des tentatives de simplement réaménager la technique du pouvoir de l’oppression, mais de se débarrasser totalement de l’Etat oppressif. Le chercheur est celui qui refuse la falsification générale de la réalité afin de faire œuvre révolutionnaire de retour ontologique à la primordialité de l’Être.

Alors que Marx en prolongement des luttes de classes ouvrières réelles, avait toujours souligné que l’auto-émancipation du prolétariat devait être l’œuvre du prolétariat lui-même pour éradiquer le salariat et l’Etat. Le chercheur court toujours le risque de se transformer en une avant-garde intello-bureaucratique extérieure au prolétariat pour diriger et fusiller ce dernier sur les routes barbelées de salaires de misère de la part de l’Etat Congolais. En revanche, il est évident que tous les errants narcissiques en mal de notoriété spectaculaire dans le monde dé-spiritualisé de la nouvelle religion du marché, ont toujours eu besoin dans leur irrépressible besoin de se faire voir et valoir, d’adhérer à des théâtres de rédemption et à des milices messianiques…Mais tout cela c’est en fait uniquement du théâtre pour les crédules jobards de l’impuissance existentielle.

C’est finalement ce par quoi l’intellectuel en tant qu’égotiste divaguant représente bien le pôle le plus extravagant de la division du travail aliénant par ce refoulement de toute vérité vécue sous la présence réelle de la fausseté régnante qu'assure l'organisation de l'apparence dans la réussite sociale du parvenir autolâtre le plus à la mode.

Comme le disait Marx dans L'idéologie allemande : « Toute l'illusion qui consiste à croire que la domination d'une classe déterminée est uniquement la domination de certaines idées, cesse naturellement d'elle-même, dès que la domination de quelque classe que ce soit cesse d'être la forme du régime social, c'est-à-dire qu'il n'est plus nécessaire de représenter un intérêt particulier comme étant l'intérêt général ou de représenter "l'universel" comme dominant (…) Dans la vie courante, n'importe quel boutiquier sait fort bien faire la distinction entre ce que chacun prétend être et ce qu'il est réellement; mais notre histoire n'en est pas encore arrivée à cette connaissance vulgaire. Pour chaque époque, elle croit sur parole ce que l'époque en question dit d'elle-même et les illusions qu'elle se fait sur soi. ».

Comme le disait Marx dans le Manifeste, « Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d'une lutte de classes existante, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos yeux. » Dans ces conditions et comme l’avaient fort bien compris Héraclite et Parménide, la saisie correcte du logos du monde en tant que rationalité historique du devenir telle qu’elle fixe la cohérence du logos de la pensée prend son départ critique dans l’identification dialectique de la vérité et de l’être.

Éric Arthur Blair de Barcelone a souligné cette chose essentielle que celui qui ne récuse pas absolument et définitivement la domestication politique ne peut produire autre chose qu'une ultime variante théiste du mensonge marchand : la mystification de l'Etat décent.

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