All Section

Deux axes majeurs de la gouvernance Tshisekedi révélés lors du « Sommet des 3 Bassins »

Deux axes majeurs de la gouvernance Tshisekedi révélés lors du « Sommet des 3 Bassins »

 (Par Christian Gambotti)

 

 Agrégé de l’Université – Président du Think Tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) - Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Décryptage du discours très politique prononce par Félix Tshisekedi

dee.png

Intervention de Félix Tshisekedi au "Sommet des 3 Bassins": un discours très politique avec appel à une coopération "sincère" entre les Etas Africains

Lors du IIème  Sommet des « Trois bassins forestiers tropicaux du monde », - le Congo, l'Amazonie, la région Bornéo-Mékong-Asie du Sud-Est – qui s’est tenu du 26 au 28 octobre 2023 à Brazzaville, en République du Congo, Félix Tshisekedi, alors en campagne électorale en RDC, a prononcé un discours-clef qui révèle deux axes majeurs de sa gouvernance s’il était réélu. Ce discours comprend deux parties bien distinctes : une première partie qui montre la nécessité « d’établir des synergies et de favoriser la solidarité entre le Brésil, l’Indonésie et la RD Congo, les trois gardiens des plus grandes réserves de forêts, de tourbières et de biodiversité du monde » ; une deuxième partie, très offensive sur la guerre perpétuelle qui se déroule depuis 30 ans dans l’Est de le RDC.

La transition entre les deux parties du discours se fait sur la dénonciation d’un activisme armé décidé à Kigali (1) qui entraîne, au moment même où se déroule ce « Sommet des 3 Bassins », la destruction des forêts et de la biodiversité du Parc National des Virunga (2), une zone protégée qui est la plus riche en biodiversité d’Afrique. Il me paraît essentiel de revenir sur ce discours prononcé par Félix Tshisekedi à Brazzaville, devant de nombreux dirigeants, deux mois avant sa réélection à la présidence de la République.

Les « Sommets mondiaux » se caractérisent le plus souvent par des prises de parole dictées par le « politiquement correct ». Il s’agit de ne fâcher personne. Or, lors de son premier mandat, Félix Tshisekedi s’est affirmé comme un président résolu à tenir un discours de vérité, loin de l’hypocrisie générale qui caractérise les relations internationales avec, notamment, sur le sol africain, les « guerres oubliées » dont on ne parle jamais (3).

Loin des discours convenus des « Sommets » mondiaux

Les « Sommets » mondiaux sont l’occasion, pour les chefs d’Etat et les plus grands experts (scientifiques, associations, ONG), de tenir des discours convenus. Les décideurs publics et privés, comme les chœurs de l’opéra, s’immobilisent pour mieux chanter « Marchons ! Marchons ! » Les discours convenus, écrits sous la plume du « politiquement correct », sont ensuite rangés dans les armoires des organisations internationales et vite oubliés. Félix Tshisekedi a pris l’habitude de tenir des discours de vérité qui, parfois, peuvent déranger l’Afrique elle-même. Le discours qu’il a prononcé lors du « Sommet des 3 Bassins » a, selon Jeune Afrique », « laissé pantois la plupart des délégués ». Pour quelle raison ? Il s’agit, loin des prises de parole convenues qui s’abreuvent à la fontaine du « diplomatiquement correct », d’un discours de vérité sur plusieurs sujets : l’état de l’inclusion Sud-Sud, les habits trompeurs d’un panafricanisme de façade, la « guerre oubliée » dans l’Est de la RDC et les véritables causes du retard de l’Afrique dans son développement. S’adressant aux Africains eux-mêmes, le mot d’ordre que ne cesse de marteler Félix Tshisekedi, depuis qu’il dirige la RDC, est le suivant : « Soyons sérieux ! ». La crédibilité se construit sur le sérieux et la fin d’une hypocrisie généralisée. Félix Tshisekedi a profité du « Sommet des 3 Basins » pour tenir un discours de vérité.

Un discours de vérité sur 4 points

  • Le rôle de l’inclusion Sud-Sud

Pour Félix Tshisekedi, l’inclusion Sud-Sud ne s’inscrit pas dans l’affrontement entre l’Occident pluriel et le Sud global que voudraient bâtir certains pour des raisons idéologiques, mais bien dans le cadre d’une gouvernance mondiale au service de l’amélioration des conditions de vie des populations. L’enfermement de l’inclusion Sud-Sud dans un camp correspond à une vision court-termiste qui privilégie d’hypothétiques bénéfices immédiats, politiques et économiques, au détriment d’une vision à plus long terme. Chaque Etat africain est bien entendu souverain dans les choix qu’il fait pour construire son développement et répondre aux urgences qui sont les siennes. En ce sens, Félix Tshisekedi ne croit pas à un panafricanisme de façade qui nie la diversité du continent. En revanche, il considère que les Etats africains doivent parler d’une même voix sur des sujets qui concernent la sauvegarde de l’humanité et de la planète, notamment la lutte contre le réchauffement climatique. Le « Sommet des 3 Bassins » vise à mettre en œuvre cette nécessaire inclusion Sud-Sud, sachant que l’Amazonie, le Congo et la région Bornéo-Mékong-Asie du Sud-Est représentent à elles seules 80% des forêts tropicales du monde et les deux tiers de la biodiversité́ terrestre. Ces régions jouent ainsi un rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique et la régulation du bilan carbone. Félix Tshisekedi rappelle aussi, dans son discours, l’importance des crédits carbone (4) pour financer le développement économique de ces trois bassins. Selon Félix Tshisekedi, l’inclusion Sud-Sud pour aller vers une gouvernance commune des trois écosystèmes régulateurs, - Amazonie, Congo, Bornéo Mékong Asie du Sud-Est -, va permettre d’accélérer la formation d’une coalition mondiale décidée à agir en refusant la fatalité des deux camps qui s’affrontent, le Sud global et l’Occident pluriel, en refusant aussi, pour l’Afrique, d’endosser les habits trompeurs d’un panafricanisme de façade purement idéologique. La plus large organisation panafricaine aujourd'hui est l'Union africaine qui, à aucun moment, ne cherche à enfermer l’Afrique dans un camp.

  • Les habits trompeurs d’un panafricanisme de façade

Félix Tshisekedi est un panafricaniste convaincu. Elu président de la République, et il est le premier président à l’avoir fait, il effectue ses premiers déplacements dans les pays voisins de la RDC, affirmant la nécessite d’un dialogue permanent pour que les pays de la région vivent en paix, restent unis et mettent en œuvre des projets communs. A l’issue de ses déplacements dans les pays voisins ((Kenya, Angola, Congo Brazzaville, Rwanda, Ouganda), il est en mesure, pour chaque Etat visité, de dresser la liste des projets étudiés. « Mais, car il y a un « mais », selon Félix Tshisekedi : alors que les pays voisins devraient construire entre eux des ponts, lui, en tant que président de la RDC, il est en effet tenté de construire des murs à cause de ceux qui entretiennent un état de guerre perpétuelle pour piller l’Est de la RDC. Si l’objectif de l’Union Africaine était de faire taire les armes en 2020 en Afrique, cet objectif est devenu une chimère. « Nous devons avoir le courage entre Africains de nous regarder les yeux dans les yeux, et nous dire qu’on ne peut pas s’appeler frères et nous poignarder dans le dos en même temps. ». Le panafricanisme de façade, idéologisé par les activistes, est un mythe trompeur qui ne tient pas compte des réalités politiques et géopolitiques. Chaque Etat africain est un Etat souverain qui ne peut se fondre dans l’illusoire unité que confèreraient une même couleur de peau et le partage du fardeau de la colonisation. L’entreprise coloniale s’est achevée voici plus de 60 ans, mais, en Afrique, le tribalisme, les affrontements ethniques et les guerres civiles existent toujours, comme il existe des Etats et des seigneurs de guerre qui entretiennent des situations de belligérance, les uns par opportunisme économique, les autres pour s’enrichir. Félix Tshisekedi peut-il être un bâtisseur de paix dans un environnement instable et volatile, en proie à de violents affrontements depuis près de 30 ans ? Il s’agit de cette région montagneuse des Grands Lacs, située au centre de l’Afrique, qui inclue les États du Rwanda et du Burundi, la partie occidentale de l’Ouganda et l’extrémité occidentale de la Tanzanie, les provinces de l’Est congolais, le Kivu et l’Ituri. Or, ce conflit qui dure depuis plus de 30 ans est oublié et sous-médiatisé.

  • La « guerre oubliée » dans l’Est de la RDC

Alors que les conflits ukrainien et palestinien sont, à juste titre, surmédiatisés, parce qu’ils aliment le risque d’une troisième guerre mondiale, le conflit qui dure dans l’Est de la République démocratique du Congo depuis plus de 30 ans, un record historique et mondial selon l’ONU, fait partie des « guerres oubliées » dont on parle peu, parce qu’elles se déroulent en Afrique. L’Afrique est loin et le risque s’arrête aux dimensions d’une conflictualité régionale sur fond de guerre ethnicisée. Ni l’Occident, ni la Russie, ni la Chine ne se sentent menacés. Le conflit dans l’Est de la RDC prend essentiellement la forme d’un affrontement entre, d'un côté, le M23, puissamment armé, et de l'autre, les FARDC (Forces Armées de la République du Congo) sous-équipées. Il s’agit d’une « guerre oubliée » qui se déroule dans l’indifférence générale, tient à rappeler Félix Tshisekedi.

  • Les véritables causes du retard de l’Afrique dans son développement

L’une des vérités que délivre le discours de Félix Tshisekedi est la suivante : « Nous devons arrêter de rejeter nos responsabilités sur des étrangers non-Africains. La colonisation, ça fait une soixantaine d’années qu’elle est terminée en Afrique ». Selon Tshisekedi, les amis, les alliés et les partenaires de l’Afrique continuent à prendre les dirigeants africains pour des irresponsables pour trois raisons : 1) Nombreux sont ceux qui continuent d’affirmer que la colonisation est toujours responsable du retard de l’Afrique 2) Les Etats africains sont incapables de construire la paix entre eux  3) Les Africains ne sont pas pris au sérieux, ce qui explique la difficulté des amis de l’Afrique à nouer des partenariats. Il cite alors l’intervention d’Emmanuel Macron : « J’ai suivi avec attention l’adresse du président Macron, toute sa bonne volonté à vouloir venir dans des partenariats, j’ai tout de suite compris par son attitude que c’était du « politiquement correct ». Il n’en croyait pas un mot. Non pas parce que lui est menteur, non, loin de là, mais parce que, nous, nous ne sommes pas sérieux et eux le savent. » L’état actuel d’une Afrique qui se construit dans la haine de l’autre fait que les bonnes initiatives ne peuvent aboutir. La paix est l’incontournable préalable au développement et à l’amélioration des conditions de vie des populations.

            La nécessaire synergie sur la préservation des grands bassins forestiers

Le « Sommet des 3 Bassins » réunit des dirigeants qui sont en train de construire, dans le cadre de la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes, la première coalition mondiale afin de restaurer 350 millions d'hectares d'écosystèmes terrestres et aquatiques.

Lors de son Discours, Félix Tshisekedi a rappelé trois choses : 1) le projet mondial de mettre fin à la déforestation d'ici à 2030 prend du retard, ce qui nécessite une action urgente. Les causes de ce retard sont triple : le manque de volonté politique pour créer des synergies aux niveaux local, national et mondial ; le sous-financement ; les conflits armés dans des zones à protéger (le parc national des Virunga en RDC) 2) la protection du couvert forestier et de la biodiversité permet de  promouvoir des pratiques durables dans l’intérêt des populations autochtones en leur offrant des opportunités économiques et une trajectoire d’émancipation (co-bénéfices sociaux) 3) la possibilité, pour les pays, de saisir les opportunités du marché du carbone. Il s’est d’ailleurs tenu, les 23 et 24 octobre 2023, à Kinshasa, une conférence sur le marché du carbone montrant la nécessité de réglementer ce marché afin de le crédibiliser, dans l’intérêt des pays vendeurs et des acheteurs toujours sous la menace d’être accusés d’avoir acheté des crédits carbone de mauvaise qualité. Chacun, pays vendeurs et acheteurs, doit participer à l’amélioration de l'intégrité du marché du carbone.

Félix Tshisekedi entend faire de la RDC un pays leader dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce rôle stratégique, qui relève d’une responsabilité historique, Félix Tshisekedi entend le jouer avec ses pairs. D’où son appel à l’unité pour une gouvernance climatique panafricaine et à la mobilisation de tous, ce qui commence par la coopération des 3 Bassins afin de définir des politiques communes. Au-delà de la lutte contre le réchauffement climatique, Félix Tshisekedi a voulu faire passer un message politique : la nécessité pour les pays Africains d’être unis pour relever les défis qui se présentent à eux. Les chocs du présent (crises sanitaires, crises climatique, crises humanitaires), qui risquent de s’aggraver dans le futur, demandent en effet une réponse commune. Pour cela, il faut mettre fin à une hypocrisie généralisée et bâtir une paix durable en Afrique. Le Discours prononcé par Félix Tshisekedi lors du « Sommet des 3 Bassins » ne s’arrête pas aux préoccupations environnementales, c’est un discours de vérité, très politique. Longtemps sous-estimé, Félix Tshisekedi s’affirme de plus en plus comme un homme politique qui n’a pas peur de dire des vérités qui dérangent et à ses frères africains et à ses alliés et soutiens. Réélu pour un second mandat, il doit mettre en œuvre, aidé par un gouvernement d’action, les solutions qui feront de la RDC l’un des modèles de développement dans une Afrique qui évolue et se transforme.

  • La phrase prononcée par Félix Tshisekedi est la suivante : « Cela n’a pas été décidé à Washington, à Paris, à Bruxelles ou à Londres. Cela a été décidé en Afrique et plus précisément à Kigali. C’est l’œuvre d’un frère africain. » Tshisekedi en appelle à bannir l’hypocrisie qui existe entre les dirigeants africains.
  • Bien qu’il soit classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, le Parc national des Virunga est constamment menacé par la guerre, le trafic illégal des ressources et le braconnage. Les Virunga restent la zone la moins sûre de toute la région des Grands Lacs. Les conflits empêchent la mise en œuvre des actions de conservation des Virunga et le développement d’une l’économie verte. S’ajoutent les catastrophes naturelles imprévisibles.
  • Au Soudan, la guerre et le chaos humanitaire (déplacement de huit millions de personnes, exactions, pillages, famine), se déroulent dans l’indifférence générale.
  • Crédits carbone : l'idée des crédits carbone apparaît à la fin des années 1990. Elle s’institutionnalise avec le « Protocole de Kyoto », premier traité mondial sur le changement climatique. Il s’agit de définir, pour chaque nation industrialisée, des limites strictes d'émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), et la mise en place d’un mécanisme facilitant la déclaration, l'échange et la surveillance de droits d'émission. Un organisme de régulation, les Nations Unies, émet des quotas. La séquestration des GES permet de recevoir des « crédits carbone ». Une forêt ou un projet de plantation d'arbres qui permettra de séquestrer 1000 tonnes de CO2 se verrait attribué 1000 crédits carbone, si certains critères sont respectés. Economiquement, le prix moyen d’un « crédit carbone » est variable (entre 10 € et 500 € la tonne de CO2).

Comments est propulsé par CComment

Author’s Posts

Image

Download Our Mobile App

Image
Image
© 2025 JoomShaper. All Rights Reserved

Design & Developed by IKODI DESIGN & IT SOLUTIONS