La gratuité de l’enseignement de base en RDC : ce que j’en pense

(Par M. l’Abbé Joseph-Pierre MPUNDU, Prêtre de l’archidiocèse de Kinshasa)
Gratuité de l’enseignement primaire : droit fondamental de l’homme
*Avec la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, l’enseignement primaire gratuit a été instauré comme un droit fondamental de l’homme. Mais le concept reste flou dans de nombreux pays et l’objectif complexe à mettre en œuvre. Qu’entend-on au juste par gratuité dans le domaine de l’éducation ? A strictement parler, le terme gratuité signifie “qui se donne pour rien, sans payer”.
La gratuité implique par conséquent l’absence des frais de scolarité pour les bénéficiaires et le financement de l’enseignement par des partenaires de l’éducation autres que les familles (l’Etat, les entreprises, les communautés, les donateurs extérieurs, etc.).
Seul un financement accompli par ces partenaires, épargnant donc les familles, permet de garantir le respect du droit de l’élève à étudier et à disposer des ressources pour étudier. Nous retiendrons donc que la gratuité de l’enseignement a une signification claire et précise : « Elle signifie que la prestation de service, en l’occurrence, l’enseignement dispensé par les maîtres, ne fait l’objet d’aucune contrepartie financière de la part des usagers du service public ». On ne le dira jamais assez, l’instauration des frais scolaires a fait de l’éducation non un droit mais un privilège lié aux conditions socioéconomiques des familles.
Si la gratuité signifie que les bénéficiaires de l’action éducative sont affranchis des frais scolaires, elle suppose en même temps que le financement nécessaire pour le fonctionnement du système éducatif soit endossé par d’autres composantes de la communauté nationale et internationale. Ceci peut se faire de plusieurs façons à travers des taxes, l’aide au développement, etc. Cependant, « même dans les pays où le principe semble désormais ancré, la gratuité de l’éducation n’implique pas que les dépenses privées soient nulles. En ce sens, la gratuité de l’éducation est un vœu pieu et s’arrête bien souvent à la gratuité de l’enseignement.
Et il n’exclut généralement pas certains coûts tels que ceux liés au transport, à l’uniforme, à la participation à l’association des parents, etc. ». Qu’en est-il de la mise en œuvre de cette gratuité de l’enseignement primaire dans notre pays ?
Bref, rappel historique Après son accession à l’indépendance, notre pays, la RDC, a été confronté à de nombreux défis parmi lesquels ceux liés au système scolaire. Il fallait donc impérieusement procéder à la réforme du système scolaire hérité de la colonisation. La nécessité de cette réforme a été rappelée à la Conférence d’Addis-Abeba en 1961, conférence à laquelle le Congo a pris part. Pour cette conférence, les nations africaines se devaient de planifier leurs systèmes éducatifs dans le but de les rattacher aux objectifs du développement économique et social.
Le plan à long terme, élaboré à l’issue de la conférence d’Addis-Abeba, insistait particulièrement sur l’impératif d’un enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous. C’était là le prix à payer pour assurer le développement de l’Afrique.
Ayant pris part à la conférence d’Addis-Abeba, la RDC a retenu, dans sa première Constitution, adoptée en 1964, connue sous le nom de la Constitution de Luluabourg, la gratuité et l’obligation scolaire comme principes fondamentaux devant régir le fonctionnement de son système éducatif. L’article 33 de cette Constitution énonce que « tous les Congolais ont accès aux établissements d’enseignement national sans distinction de lieu, d’origine, de religion, de race ou d’opinion politique ou philosophique ». La Constitution de Luluabourg n’a été que de courte durée. Son application a été suspendue par le coup d’État du 24 novembre 1965, conduit par le Colonel Mobutu. Seulement, ni le Manifeste de la N’Sele, ce catéchisme du Mouvement Populaire de la Révolution, ni la Constitution du 24 juin 1967 n’ont repris la gratuité et l’obligation comme principes de base de l’enseignement primaire. De même, les différentes révisions constitutionnelles effectuées tout au long du règne de Mobutu, voire toutes les réformes du système éducatif réalisées dans l’entre-temps, sont restées muettes au sujet de la gratuité de l’enseignement. Des actions concrètes allant dans le sens d’application de ce principe n’ont pas non plus été entreprises.
Et pourtant, on pouvait lire dans le Manifeste de la N’Sele le passage ci-après qui donne à penser que la gratuité était une préoccupation qui, au-delà du caractère doctrinal, pourrait engendrer des initiatives concrètes : « Aucun jeune Zaïrois ne doit pâtir de l’insuffisance des moyens d’enseignement…Un effort essentiel doit être fait pour que tous les jeunes du pays obtiennent les mêmes chances et puissent nourrir les mêmes espérances devant la vie ». Il n’en était simplement rien dans la réalité des faits.
Editée dans la dynamique de la Constitution de 1967 et des révisions constitutionnelles intervenues tout au long de la décennie 70 et de la première moitié de la décennie 80, la loi cadre de l’enseignement, promulguée le 22 septembre 1986, s’est limitée, à travers les articles 115 et 116, à énoncer l’obligation scolaire sans pour autant l’appuyer sur la gratuité. Il a fallu attendre l’organisation de la Conférence Nationale Souveraine (CNS), en 1992, pour voir le peuple congolais, en quête de libertés et de droits fondamentaux, inclure dans le projet de Constitution et dans la charte de l’éducation élaborés au cours de ce forum, l’obligation et la gratuité de l’enseignement primaire. L’article 40 du projet de Constitution préparée par la CNS est à ce propos suffisamment clair : « l’enseignement est obligatoire et gratuit jusqu’au niveau d’études et jusqu’à l’âge prévus par la loi ».
L’article 33 de la charte de l’éducation est davantage plus précis quant au niveau de la scolarité concerné par la gratuité et l’obligation scolaires : « C’est l’éducation de base qui doit atteindre tous les enfants scolarisables. Elle repose sur les principes d’obligation et de gratuité scolaires ». Malheureusement, à l’instar des autres recommandations et actes de la Conférence Nationale Souveraine, la Constitution et la charte de l’éducation ont été des véritables mort-nés et n’ont guère vu un début d’application. La Constitution du 18 février 2006 va réaffirmer le caractère obligatoire et gratuit de l’enseignement primaire.
En effet, dans son article 43, notre Constitution stipule ce qui suit : « Toute personne a droit à l’éducation scolaire.
Il y est pourvu par l’enseignement national. L’enseignement national comprend les établissements publics et les établissements privés agréés. La loi fixe les conditions de création et de fonctionnement de ces établissements. Les parents ont le droit de choisir le mode d’éducation à donner à leurs enfants. L’enseignement primaire est obligatoire et gratuit dans les établissements publics ». Cette disposition de la Constitution est réaffirmée dans la loi-cadre du 11 février 2014 portant organisation de l’enseignement national dans son article 12, alinéa 1 où il est dit : « Pour atteindre l’éducation de base pour tous, tout au long de la vie, l’Etat :
1. garantit la scolarisation primaire obligatoire et gratuite pour tous dans les établissements publics d’enseignement national, en y consacrant des ressources humaines, matérielles et financières appropriées ».
Une chose est d’inscrire dans la Constution et dans la Loi-cadre sur l’enseignement, le principe de la gratuité de l’enseignement primaire, autre chose est de mettre cela en application. Mise en œuvre effective de la gratuité de l’enseignement primaire La mise en œuvre effective de la gratuité de l’enseignement primaire s’est faite en trois temps. Décision du Président Joseph Kabila en date du 30 août 2010 La Constitution qui nous régit actuellement a été promulguée le 18 février 2006. Elle a consacré dans son article 43 le principe de l’obligation et de la gratuité de l’enseignement primaire. Toutefois, il a fallu attendre quatre ans pour voir la première décision de mise en application de cette disposition constitutionnelle. En effet, c’est le 30 août 2010, une semaine avant la rentrée scolaire, que le Président Joseph Kabila va charger le Gouvernement de prendre toutes les dispositions pour que la gratuité de l’enseignement primaire soit effective pour l’année scolaire 2010-2011. Cette communication présidentielle a été suivie de près par le communiqué du ministre de l’EPSP, Maker Mwango, donnant une définition pratique de la gratuité : « Par gratuité, il faut entendre la prise en charge par l’Etat des frais de scolarité ». Dans ce communiqué, le ministre Maker a précisé que l’opération se déroulerait en deux phases : la première phase concernerait uniquement les classes de 1ère, 2ème et 3ème primaires de toutes les provinces de la RDC, à l’exception des villes de Kinshasa et de Lubumbashi. La seconde phase interviendrait au cours de l’année scolaire 2011-2012 et couvrirait le reste des classes du primaire (4ème, 5ème et 6ème) de l’ensemble du pays, y compris celles du Katanga et de la ville de Kinshasa. La gratuité de l’enseignement primaire a donc été instaurée en RDC dans la précipitation. Les écoles ont ainsi ouvert les portes le 6 septembre 2010 sans en avoir le même entendement et sans savoir exactement quoi faire pour sa mise en oeuvre. C’est le 20 septembre que le Ministre adressera une lettre aux Gouverneurs des provinces dans laquelle il a indiqué des dispositions relatives aux frais de scolarité et aux manuels scolaires.
Plus tard, le vice-ministre va, à son tour, écrire aux Représentants légaux des Églises pour expliquer la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement primaire. Dans cette lettre, le plan d’application de la gratuité a été présenté et le concept spécifié de la manière suivante : « …par gratuité, il faut entendre la prise en charge par l’État de tous les frais scolaires directs, à savoir le minerval, l’assurance scolaire, les frais des imprimés, les frais administratifs (ou de fonctionnement), les frais de promotion scolaire ainsi que les frais institués de fait par les écoles dits frais de motivation. […] il est donc entendu que la gratuité ne s’applique pas aux frais indirects notamment l’achat des uniformes, des manuels et fournitures scolaires, les frais d’internat et le transport scolaire ».
Cette première tentative de mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement de base n’a finalement pas été concluante. Les vieilles habitudes sont revenues au galop.
Certains observateurs en sont même arrivés à dire que « après la gratuité égale avant la gratuité ». En d’autres termes, rien n’a changé. La première Table ronde nationale de 2016 Après l’expérience de 2010-2011 qui n’a pas atteint ses objectifs, le Gouvernement a décidé d’organiser une première Table ronde pour faire le diagnostic des causes de cet échec. Cette première table ronde sur la gratuité de l’enseignement de base s’est tenue en août 2016 à Lubumbashi. Elle avait révélé certaines contraintes qui n’ont pas permis d’atteindre les résultats attendus.
Il s’agit notamment :
• de la dégradation macroéconomique en 2015,
• de l’insuffisance de la préparation et de l’accompagnement de la mise en œuvre de la politique de gratuité,
• du faible niveau des salaires des enseignants et des frais de fonctionnement alloués aux écoles primaires publiques ainsi qu’aux bureaux gestionnaires.
Décision du Président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo Durant sa campagne électorale, Monsieur Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo a promis à la population de mettre en œuvre la disposition constitutionnelle concernant la gratuité de l’enseignement de base. Devenu Président de la République, Chef de l’Etat, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo annonce dans son discours d’investiture qu’il appliquera la gratuité de l’enseignement de base dès la rentrée scolaire 2019-2020.
Pour ce faire, il va instruire le gouvernement afin qu’il prenne toutes les dispositions nécessaires à la mise en application de cette mesure. Le ministre a.i de l’EPSP, Monsieur Emery OKUNDJI, organisera alors une deuxième Table ronde qui sera précédée par un atelier de préparation. Cette deuxième Table ronde nationale sur la gratuité de l’éducation de base s’est tenue du 22 au 24 août 2019, au Kempinski Fleuve Congo Hôtel de Kinshasa.
Il a réuni 225 participants dont les représentants des Cabinets du Chef de l’Etat et du Premier Ministre, des Ministères des Finances, du Budget, de la Fonction publique et de l’EPSP, les Ministres provinciaux en charge de l’éducation et les Directeurs provinciaux de l’EPSP, les représentants des associations des parents d’élèves, des confessions religieuses, des syndicats des enseignants, de la société civile ainsi que des partenaires techniques et financiers. 6 L’objectif était de réfléchir, sur les modalités pratiques de mise en œuvre effective de la gratuité de l’Education de base dès la rentrée de classe au mois de septembre 2019.
Au terme de trois jours des travaux intenses, les participants à la Table ronde ont fait les recommandations suivantes : Au gouvernement de la république :
• la prise en charge des enseignants (débout et assis) non payés et nouvelles unités et l’amélioration des salaires de tous les enseignants ;
• l’octroi d’une prime de diplôme aux enseignants pédagogues et d’une prime de technicité aux enseignants d’écoles techniques et professionnelles ;
• la généralisation et revalorisation des frais de fonctionnement à toutes les écoles d’éducation de base et à tous les bureaux gestionnaires ;
• la valorisation de la prime d’itinérance des inspecteurs ;
• la restauration d’une prime de brousse au profit des enseignants des milieux ruraux.
Au Ministère de l’EPSP :
• procéder au recrutement de nouveaux inspecteurs et enseignants
• garantir un meilleur encadrement pédagogique de proximité.
Aux partenaires éducatifs :
• accompagner le gouvernement dans ses efforts de mise en œuvre de la gratuité de l’éducation de base.
La table ronde a également décidé :
– La création d’une taxe de solidarité pour augmenter le financement interne de l’éducation et diminuer ainsi la pression sur les ménages en ce qui concerne le financement de l’éducation ;
– La restructuration du FPEN dans l’optique d’y insérer des financements innovant, durable, soutenable et écologique du point de vue du droit à l’éducation ;
– Obliger les Chefs d’établissements à rembourser immédiatement les frais d’acompte et autres frais perçus auprès des élèves dans les établissements publics d’enseignement concernés par la gratuité ; – Ouvrir de nouvelles classes et engager de nouveaux enseignants pour les nouvelles classes créées ;
– Payer tous les enseignants engagés pour couvrir les nouvelles classes ; – Réhabiliter les bâtiments et classes délabrées ou à finir et les équiper en mobilier ;
– Assurer le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre de la gratuité, à tous les niveaux, en réactivant le Décret du Premier Ministre mettant en place la Commission interministérielle chargée du suivi-évaluation de la mise en œuvre de la gratuité ;
– Prendre l’arrêté d’admission au corps des inspecteurs de la 8ème Edition et les mettre en service ; – Rationaliser la création et le fonctionnement des écoles et des Bureaux gestionnaires ; – Recenser et identifier les enseignants, avec un focus sur les non-payés et les nouvelles unités ;
– Sanctionner les chefs d’établissements et les gestionnaires qui iront à l’encontre des dispositions relatives à la gratuité. Dans son mot de clôture, le Ministre intérimaire de l’EPSP a invité toutes les parties prenantes à se mettre en action, au regard des résolutions de ces assises : « A présent, il ne nous reste plus qu’à nous rendre sur le terrain, afin de la matérialisation de ces résolutions.
Nous ne devons plus qu’agir à nos différentes positions, aussi bien au niveau central, provincial et local », a précisé Emery OKUNDJI. Le Ministre a.i de l’EPSP a souligné en outre que l’objectif actuel, est de se focaliser sur les mesures qui ont été prises au cours de cette table ronde, toute en reconnaissant que ce qui reste à faire n’est pas une tâche aisée : « Notre objectif, devra être désormais la concrétisation de toutes les mesures d’encadrement et d’accompagnement issues de cette table ronde, qui a réuni toutes les parties prenantes.
Je dois donc avouer, qu’une tâche encore plus ardue nous attend, chacune et chacun dans sa sphère de responsabilité.
Nous devons dès lors, exécuter notre mission avec dévouement et patriotisme, et ce avec le moyen matériel et financier disponible, toute en continuant à réfléchir autour des voies et moyens de mobilisation des ressources nécessaires, pour assurer à la jeunesse de notre pays la pleine gratuité d’accès à l’éducation de base », a renchéri Emery OKUNDJI. Pour le Ministre intérimaire de l’EPSP, les parties prenantes doivent poursuivre les études et réflexions autour du financement de l’éducation de base pour les enfants de la RDC, enfin qu’elle soit accessible gratuitement à tous. Après cette Table ronde, la rentrée scolaire 2019-2020 s’est effectuée en septembre sous le signe de la gratuité de l’enseignement primaire. L’initiative a été applaudi par beaucoup. Elle a été aussi vivement critiquée par certains. Ce qui est normal pour toute œuvre humaine. Il y a toujours dû pour et du contre.
Ce que j’en pense
La première chose que je dois dire c’est que le principe de la gratuité de l’enseignement primaire a été consacré par notre Constitution en conformité 8 à la déclaration universelle des Droits de l’homme et dans le respect de la décision prise à la Conférence d’Addis-Abeba en 1961 qui faisait du caractère obligatoire et gratuit de l’enseignement de base une condition sine qua non pour le développement de l’Afrique.
Il fallait donc, passer du principe écrit à sa réalisation sur terrain.
Aussi, je ne peux que saluer et encourager l’initiative du Président de la République qui a décidé de mettre en application cette disposition constitutionnelle.
Toutefois, quelle que soit la pertinence des recommandations et des décisions prises par la Table ronde qui a balisé le chemin, nous ne pouvons pas nous voiler la face et ignorer les nombreux problèmes que la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement primaire posent actuellement. Le premier constat que nous faisons est celui du surpeuplement des classes. En effet, dans beaucoup d’écoles nous observons un surnombre des élèves dans les classes. Une classe prévue pour un effectif de 30 élèves au maximum en arrive à contenir 80 voire 100 élèves. Ils sont entassés cinq par bancs prévus pour deux élèves ou trois maximum. Certains élèves suivent les cours à même le sol. La classe est tellement bondée que l’enseignant n’a même l’espace pour se mouvoir.
Bien plus, avec ce surnombre, l’instituteur ne peut pas suivre chaque élève et assurer un bon encadrement de ses élèves. Certains élèves n’ayant pas été éduqués à la discipline dès la famille rendent la classe ingérable. Tout ceci déteint sur la qualité de l’enseignement. Il faudrait donc nécessairement songer à construire de nouveaux locaux dans les écoles existantes pour multiplier la capacité d’accueil. Il faudrait aussi construire de nouvelles écoles pour donner la possibilité à tous les enfants d’accéder à l’enseignement. Il y a donc un sérieux problème d’infrastructures scolaires. Face à ce problème de surpeuplement des classes, il se pose aussi la question du nombre d’enseignants. Il faudrait recruter de nouvelles unités. Mais combien de jeunes congolais qui terminent leurs études sont attirés par le beau métier d’enseignant lorsque celui-ci a perdu toute la respectabilité qui était la sienne.
A l’époque, l’enseignant était appelé : Monsieur. C’était une marque de considération, de respect. Il faudrait donc révaloriser le métier d’enseignant. Le deuxième constat concerne le traitement des enseignants et du personnel administratif de nos écoles. En mettant un terme à la prise en charge des enseignants par les parents, ce qui est une très bonne chose, le gouvernement doit réunir les moyens pour assurer à tous les enseignants et au personnel administratif de nos écoles un salaire convenable qui les mettrait à l’abri du besoin et qui les motiverait à faire convenablement leur travail.
Mais, d’où viendra l’argent pour payer des salaires satisfaisants aux enseignants et au personnel administratif de nos écoles lorsque nous savons que la part du budget de l’Etat alloué à l’éducation est minime ? Nous apprenons que la Banque Mondiale a promis d’appuyer l’initiative de la gratuité de l’enseignement primaire en disponibilisant des fonds pour notre gouvernement. Mais jusqu’à quand continuerons-nous à dépendre de l’aide extérieure qui nous met toujours en position de faiblesse et qui nous fait perdre notre souveraineté ? Ne faudrait-il pas ici songer à diminuer la tension salariale qui est pratiquée dans notre pays ? Les écarts de salaire sont tellement énormes dans notre pays qu’il faudrait penser à diminuer en haut et à augmenter en bas pour équilibrer les choses.
A l’époque de la première République, nous apprenons que le Président Kasa-Vubu touchait 75000 Fc et le huissier touchait 10000Fc. Ne pourrait-on pas s’inspirer de cela ? Nous apprenons que l’on va créer une taxe pour soutenir la gratuité de l’enseignement. C’est bien. Mais le problème se pose quant à la gestion de cette taxe lorsque nous connaissons la capacité de prédation qui caractérise les gestionnaires congolais. La question des finances ne concerne pas seulement les salaires, elle touche aussi aux frais de fonctionnement. Comment voulons-nous que nos écoles remplissent leur mission correctement lorsqu’elles ne bénéficient pas de leurs frais de fonctionnement régulièrement et de manière suffisante ?
Nous avons des écoles qui manquent le matériel didactique, les fournitures de bureau, les moyens pour entretenir les bâtiments, etc. L’Etat doit donc faire tout pour mettre à la disposition de nos établissements scolaires des frais de fonctionnement suffisants. Mais, de l’autre côté, il est demandé aux chefs d’établissements scolaires de gérer honnêtement ces frais et de les utiliser dans le strict respect de leur destination. Toutes ces questions relatives aux finances de l’Etat requièrent de la part du Gouvernement une grande maîtrise de ce secteur de la vie nationale.
Une parfaite maîtrise des recettes et des dépenses de l’Etat permettrait de trouver des solutions appropriées à ces problèmes liés aux finances dans le domaine de l’enseignement. Au-delà de toutes ces questions relatives au matériel et aux infrastructures, aux finances, je crois qu’il y a un problème plus fondamental : celui de l’éducation. En effet, je distingue l’instruction de l’éducation. Pour moi, l’instruction touche essentiellement le savoir, les connaissances, la science. Par l’instruction, les élèves apprennent à lire, à écrire, à calculer, etc. Ils accumulent des connaissances dans différents domaines de la science, des connaissances nécessaires pour améliorer la qualité de la vie. 10 Par contre l’éducation, pour ma part, c’est l’initiation à des valeurs morales, humaines, éthiques. La question ici est de savoir si nos écoles sont vraiment des foyers d’apprentissage des valeurs ou tout simplement des lieux d’emmagasinement du savoir.
L’école gratuite devrait être un lieu où les enfants apprennent à intérioriser des valeurs humaines : l’amour, la vérité, la justice, l’honnêteté, la solidarité, le partage, l’humilité, la liberté, la concorde, le pardon, la réconciliation, … L’école gratuite devrait former des hommes et des femmes intègres, d’une grande probité morale. Si notre pays va mal, s’il ne progresse pas beaucoup, ce n’est pas parce qu’il manque des savants, des hommes et des femmes qui maitrisent la science, des intellectuels érudits, des penseurs et des philosophes. Non ! Notre pays souffre de l’absence des hommes et des femmes intègres, incarnant des valeurs morales et humaines universelles. « Science sans conscience, dit l’adage, c’est la ruine de l’âme ». Moi, j’ajouterai : « Science sans conscience, c’est la mort d’une société ».
Il ne suffit donc pas de rendre l’enseignement gratuit mais encore faut-il veiller à la qualité de ce qui est enseigné pour que de nos écoles sortent des hommes et des femmes pétris d’humanité et ayant le sens de l’humain. Conclusion En guise de conclusion, je dirais que l’initiative de la gratuité de l’enseignement de base, est, en soi, une bonne initiative à encourager et à soutenir.
Pour qu’elle réussisse et donne de bons résultats, il faudrait s’engager tous à chercher des solutions aux différents problèmes qu’elle pose. Je n’appuie pas un homme, fut-il le Chef de l’Etat qui a pris cette initiative.
Mais, j’appuie une œuvre qui survivra à son initiateur et qui profitera aux générations futures. Si la gratuité de l’enseignement signifie que tout ne se monnaye pas, tout ne s’achète pas et tout ne se vend pas, qu’il y a des biens que nous recevons gratuitement et que nous sommes appelés à donner gratuitement, alors nous aurons gagné quelque chose de grand. Si la gratuité de l’enseignement nous ouvre à la solidarité et au partage en vue de donner à chacun les chances de réussite dans la vie, alors nous avons gagné quelque de beau. La gratuité de l’enseignement de base est comme un enfant qui vient de naître. Il faut prendre soin de lui, le nourrir afin qu’il grandisse et soit épanoui.
Si chacun des fils et filles de ce pays pouvait apporter sa petite pierre à l’édification de cette belle maison qu’est la gratuité de l’enseignement de base, je crois que nous nous réjouirons plus tard des fruits qu’on va récolter.
Si nous voulons tous la réussite de cette initiative, nous pourrons y arriver.
Et ce n’est pas impossible. Fait à Kinshasa, le 10 octobre 2019
Abbé Joseph-Pierre MPUNDU E BOOTO BOSAWA
Prêtre de l’archidiocèse de Kinshasa
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