Les « oubliés » des élections de 2023 à la traîne dans l'exercice de leurs mandats pour mieux servir les entités territoriales décentralisées

(Par Dr David Menge, Conseiller Municipal Honoraire de la ville d’Ivry-sur-Seine, en France)
Dans un contexte où les élections de 2023 ont suscité de vives attentes et des espoirs de renouveau, il est essentiel de se pencher sur ceux qui, malgré leur élection, semblent avoir été laissés de côté dans l'exercice de leurs mandats. Qui sont ces élus, souvent qualifiés d'« oubliés », et comment leur situation impacte-t-elle la dynamique territoriale ? Cette analyse vise à explorer les défis auxquels ils font face, les raisons de leur lenteur dans l'action, et les conséquences sur les communautés qu'ils sont censés servir. En mettant en lumière ces enjeux, nous espérons susciter une réflexion sur la nécessité d'un engagement renouvelé et d'une responsabilité partagée pour un avenir meilleur.
Les élections générales de 2023 ont marqué une étape cruciale, permettant pour la première fois depuis l'adoption de la loi organique sur la décentralisation en 2008, l'élection des Conseils urbains et communaux dans les villes et les communes. Cependant, l'incapacité de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), dépourvue des ressources, à organiser les élections des exécutifs locaux issus de ces conseils élus entrave le bon fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées (ETD). Cette situation limite non seulement l'efficacité de leur action auprès des populations, mais soulève également des questions essentielles concernant la gouvernance locale. Les maires et les bourgmestres nommés continuent de gérer les villes et les communes, sous l'œil complaisant de l'administration étatique, ignorant les élections de décembre 2023.
Devons-nous attendre encore 15 ans pour élire les collèges exécutifs, comme ce fut le cas avec les Conseils urbains après la promulgation de la loi organique sur la décentralisation ? Cette question délicate pourrait amener les électeurs à se détourner de l'État en tant que décideur et organisateur des politiques publiques, en s'abstenant massivement lors des prochaines élections. L'État, qui établit les lois et règlements régissant le fonctionnement de notre société, doit s'emparer de ce dossier, surtout en cette période de pourparlers de paix, afin de rendre justice aux citoyens, véritables souverains.
Depuis que le Président de la République a comblé le vide démocratique en organisant, avec la CENI, les élections locales du 20 décembre 2023, les Congolais ont redécouvert l'importance de leurs territoires pour la cohésion nationale. Toutefois, il est surprenant de constater que, malgré ces avancées, des blocages politiques persistent et que les autorités locales nommées continuent de gouverner sans être contrôlées par les élus mandatés par la communauté depuis environ un an et demi.
Nous avons discuté de ce sujet avec de nombreux élus issus de diverses entités territoriales décentralisées à travers le pays. Ces derniers ont exprimé leur sentiment d'impuissance face au désintérêt manifeste des décideurs politiques pour les élections locales. « C’est un travail non achevé », ont-ils conclu, tout en se demandant si cela n’était pas tout simplement un gâchis politique ! Depuis près d'un an et demi, ils peinent à mettre en œuvre les politiques pour lesquelles ils ont été élus. Ils se demandent ce qu'ils pourront dire à leurs électeurs lors des prochaines élections si la situation ne s'améliore pas.
Lors du Conseil des ministres du 9 février 2024, le Président de la république a réaffirmé son engagement envers un programme de renforcement des capacités des ETD. Il s'était engagé à persuader l'exécutif de mettre en œuvre ce programme une fois les Assemblées territoriales installées, dans le but d'améliorer la gouvernance locale. Nous nous demandons pourquoi, plus d'un an plus tard, ce programme n'a pas été appliqué. Actuellement, le Gouvernement, déstabilisé par la guerre d'occupation initiée par le Rwanda, n'a plus les ressources financières nécessaires pour permettre à la CENI d'organiser les élections des exécutifs locaux. Tous les moyens sont dirigés vers le soutien de nos militaires qui luttent pour repousser l'ennemi rwandais et ses alliés du M23/AFC.
Cependant, l'histoire nous enseigne que les nations organisées ont su se renforcer pendant les périodes de guerre. Dans cette optique, je propose, en tant qu'élu local honoraire, une solution permettant aux élus locaux issus des élections de décembre 2023 de reprendre le flambeau et de conduire le développement des ETD.
En l'absence de ressources pour organiser les élections des exécutifs locaux par la CENI, je suggère que le Gouvernement prenne une mesure exceptionnelle. Il s'agirait de suspendre temporairement la loi organique sur la décentralisation et la loi électorale, permettant ainsi de contourner la CENI. Les conseils urbains et communaux pourraient organiser eux-mêmes ces élections, comme cela se pratique dans plusieurs pays, notamment en France.
Sous la supervision du Ministère en charge des ETD, les conseils urbains et communaux organiseraient les élections de manière transparente, et les présidents de ces conseils transmettraient les procès-verbaux des élections à l'autorité compétente pour validation. Cette proposition pourrait être testée rapidement dans les 24 communes de la ville de Kinshasa et étendue à d'autres provinces si les résultats sont concluants. Les élus locaux que j'ai consultés soutiennent cette idée et sont prêts à participer bénévolement à l'organisation du scrutin pour faire avancer la démocratie et permettre aux ETD d'être gouvernées efficacement et de progresser vers le développement local.
Pour faire face aux défis actuels, il est impératif que le Gouvernement prenne des mesures audacieuses pour surmonter les obstacles à la décentralisation. En permettant aux conseils urbains et communaux de prendre en main l'organisation des élections locales, nous pourrions non seulement revitaliser la démocratie locale, mais aussi renforcer la confiance des citoyens dans leurs institutions. Il est temps de transformer ces défis en opportunités et de tracer la voie vers un avenir où les ETD jouent pleinement leur rôle dans le développement de notre Nation.
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