Les tribus et les ethnies contre le Nationalisme et Patriotisme congolais

(Par Jean Kambayi Bwatshia, Professeur Emérite et Recteur de l’UNISIC)
Dans la présente réflexion, j’entends parler de la « la tribu » et de l’« ethnie » comme les choses « fantomatiques» qui, dérangent l’éclosion d’un véritable Etat démocratique dans notre pays. Je parle aussi de la nation congolaise, comme nation à problème dans un contexte de nationalisme et de patriotisme. Et, je termine mon propos en vous disant que le Congo a besoin d’un nouveau leadership pour réussir le miracle congolais.
1. De la « tribu » et de l’ethnie
L’espace habitable africain est habité par de peuples disloqués, stockés vaille que vaille, et par la foi selon la volonté des nations colonisatrices. Il était impérieux, pour ces dernières, pour mieux connaître leurs nouveaux sujets de valoriser, d’une manière ou d’une autre, les spécificités de chaque groupe humain stocké. Après, on les appela des « tribus ».
En langage colonial, la tribu suppose être un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants ayant une affinité linguistique, culturelle et une organisation sociale commune. C’est un groupe qui admet avoir une même origine et un même ancêtre commun réel ou mythique. Vivant sur un territoire politiquement propre et autonome, ce groupe s’est organisé en d’autres sous-groupes qu’on a appelés « clans ».
Dans l’ensemble, cette organisation sociale est caractérisée par une conscience parentale que les ethnologues, historiens, sociologues au service de la colonisation, ont appelée « conscience tribale ». On imagine qu’elle est extrêmement forte souvent obsessionnelle, identitaire et fêlée. Naturellement, la notion des clans, tribus n’axas la même connotation selon qu’on parle en langue congolaises ou en celle du colonisateur.
Donc, dès le départ, ces groupes vont entrer malgré eux, dans une autre identité, celle voulue par les nouveaux maitres. C’est cela la RDC d’aujourd’hui. Hélas ! On imagina aussi que plusieurs tribus pouvaient constituer une ethnie.
L’ensemble d’une telle stratification se considère comme héritier d’une même communauté historique et culturelle. Celle-ci se formule en termes de descendance commune partageant la volonté de la maintenir et de la défendre d’une façon ou d’une autre. Sans avoir nécessairement une expression politique, l’ethnie peut se subdiviser, se regrouper ou se réorganiser en définissant de nouvelles frontières sociales selon le processus d’amalgame, d’incorporation, de division ou de prolifération, en fonction des circonstances économiques ou politiques. Facilement détectable de l’extérieur, sa mesure dépend du degré de l’expression de la conscience ethnique groupale de ses membres.
Dans la mentalité populaire africaine et surtout dans les milieux urbains, le langage ne voit pas d’inconvénient de parler d’ethnie alors qu’on veut signifier la tribu et vice versa. La doctrine coloniale, sa littérature et son enseignement ont mentalisé les concepts « tribu » et « ethnie » en termes de primitivité par opposition à « société civilisée. » L’histoire de ces termes, si l’on veut, remonte à l’antiquité gréco-romaine.
A l’époque, en effet, pour les Grecs, le vocable « ethnos » s’applique à l’origine, aux populations païennes vues comme des « nations au rabais et privées d’histoire ». Les Romains les appelaient les « barbares », c’est-à-dire ces étrangers sans organisation sociale fixe. Cette conception, atteignant la modernité contemporaine, a gardé la même teneur quand, dans le contexte darwinien, elle fut appliquée à tous les peuples du Congo.
Leur organisation socioéconomique et politique, disait-on, était assez lâche. La traite des Noirs, avec son arrogance raciste, a préféré s’en tenir au terme « tribu ». A partir de ce moment, les ethnologues, anthropologues, sociologues, historiens, coloniaux de tout bord et de tout genre, ces « spécialistes du Congo » spécialement, l’ont utilisé alors simplement, pour désigner n’importe quel groupe humain dont la culture, selon eux, « se présentait comme étrange et curieuse. »
Alors, du terme « tribu » on a tiré l’adjectif « tribal » pour qualifier de « traditionnel » ou simplement tout individu, toute culture, toute histoire issue hors de « la civilisation » européenne. Et par opposition, on a créé le terme « détribalisé » pour l’appliquer à toute personne ou groupe de personnes qui ont reçu une instruction à l’occidentale et ont adopté le mode de vie européen. Ainsi, il était aisé de qualifier l’idéologie qui sous-tend la façon d’être tribal, de « tribalisme ».
La péjoration et la désapréciation gardent ici, tout leur contenu. A « tribu » aussi, a-t-on collé les notions complexes et ambigües de « dialecte » et de « patois » en lieu et place de « langue ». Hélas ! Ces « choses », au Congo sont historiques et collent à la peau des Congolais qui, malgré eux, doivent faire avec. Ici, l’identité dite est tribale et ethnique devenue une puissante conscience des « origines » des peuples dont il faut bien tenir compte tout en sachant que l’ethnicité devenue « ethnisme », et « tribalité » devenue « tribalisme », dérangent énormément le Congo dans sa marche citoyenne vers la démocratie.
Au lendemain de Berlin, le Congo se présente comme un continent écartelé, émietté... II ressemble à une « chose » monstrueuse, totalement bigarrée, hirsute et cacophonique, forgée expressément par l’impérialisme concurrent de la deuxième moitié du XIXème siècle. Il est réellement visible comme un gibier marqué par les coups de coutelas d’épaisseurs.
Les « pièces » ou les morceaux du territoire ainsi désagrégés et vaille que vaille organisés, étaient devenus des provinces, districts, territoires et secteurs. C’est clair, ces genres de portions tribalo-ethniques de territoire n’étaient ni homogènes, ni économiquement viables. Et pour montrer que cela était bon malgré tout, il fallait placer la colonie sous la force d’une main administrante coercitive et redoutable. Ça y est, les Congolais, ont trouvé leur nouvelle « patrie », le Congo belge.
2. Nation congolaise : nation à problème
Congo démantelé, convoité, Etat extraverti, conscience tribale aiguisée... est un phénomène qui rend difficile l’existence de la nation et complique davantage la problématique de la nationalité et de l’éclosion du nationalisme. Il est à la base de l’affaiblissement de maints efforts déployés par les leaders de bonne foi pour réaliser l’intégration nationale nécessaire et indispensable à l’exercice de la souveraineté.
La question est réellement sérieuse ; si l’être « politique tribal » ne devient pas l’être politique national » on continuera à se poser la question comme celle-ci : Quel Etat pour l‘Afrique ? Ainsi, me semble-t-il, vouloir ‘‘ faire l’expérience d’une irruption brutale et violente de la conception de l’Etat moderne dans la vie africaine, est une entreprise périlleuse non conforme à la réalité. C’est pourquoi, je dis que, tant que le Congo restera à son état de copie certifiée conforme non conforme aux Etats européens, ils ne peuvent que rester « Etat sans Etat ».
Tout cela est bien symptomatique ! Tout porte à croire que les Congolais, en choisissant la voie de l’indépendance, ont semblé n’être pas disposés à en assumer les conséquences. On doit rougir de honte. Nationalisme, indépendance, démocratie, patriotisme sont des termes qui, une fois appliqués chez un peuple, eom_pgrtu4çjoitrdçgnéquences. Il faut les enseigner dans un contexte passionnel et émotionnel ; il faut les exalter, sans cesse, pour les élever, il faut les défendre en termes de grandeur et de gloire en termes de destin commun.
3. De la patrie et de la nation
Je veux dans ce point montrer le fait que le concept de « patrie » de « patriotisme » ne pouvait venir à l’esprit des pères des indépendances. Si l’expression « mère-patrie » se rattache et s’identifie au « patrimoine » c’est-à-dire à l‘ensemble des biens reçus en héritage, biens légués par les aïeux, par exemple : terre, territoire, pays, valeur tradition, au Congo une telle conception est difficile à réaliser, car la terre, le territoire, le pays sont des créations d’autrui.
C’est avec raison que c’est l’esprit patriotique d’un peuple qui façonne son amour pour sa patrie. Un amour toujours renouvelé de génération en génération. Un amour pour son histoire, son peuple, ses langues, sa conformation naturelle ; un amour qui s’étend même jusqu’aux actions des citoyens et aux fruits de leurs génies.
Ainsi, tout danger qui menace ou menacerait le grand bien de la
e patrie, devient-il une occasion de le mesurer ou de le vérifier. Le Congo doit rougir de honte quand ses leaders parlent de « ma Patrie... » Quand eux-mêmes patrimonialisent leurs pays ! Non, l’existence d’une Nation, avec son corollaire, la Patrie, est un plébiscite de tous les jours comme
et l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie. Une affirmation volontairement agissante de partager culturellement et
collectivement le destin d’une communauté nationale est celle qui fait «exister » l’homme au monde. C’est par elle que naît la conscience nationale On et patriotique. On est donc, ici, très loin, de la conscience tribale et ethnique.
La nation, au concret, est un alibi identitaire accueillant qui fonde l’aspiration politique d’un peuple. Elle est l’âme, un principe spirituel, un
a consentement toujours actuel et actualisé, un désir affiché de vivre ils ensemble. Elle est la conditionnalité de l’existence d’un Etat et du principe
de nationalité. Le Congo, se débat encore dans les spectres de la lutte structurante entre le tribalisme, l’ethnisme et le nationalisme intégrateur. On ne dira jamais assez que le caractère polyethnique des populations congolaises réagit fortement sur la construction de l’identité nationale. Il est pratiquement impossible de construire la nation à partir de l’Etat. Une telle voie est dangereuse et conduit à des comportements aberrants et même contraires aux aspirations congolaises (unité nationale).
Les gestes de chauvinisme tribal attardé et de xénophobie ont élu domicile partout au Congo. C’est au nom de la « nation tribu » qu’on gouverne, qu’on chasse, qu’on expulse. Non ! Les Congolais doivent parvenir à créer un Congo - espace de liberté, de la cohabitation et de convivialité qui peut répondre mieux à cette notion de grande famille à laquelle, le Congolais est sensible. Je me demande s’il ne faut pas créer une « science congolaise » de l’Etat qu’on appellerait, par exemple, la « statologie congolaise ».
L’évolution du Congo indépendant a démontré qu’elle peut être qualifiée d’ambigüe, de fantôme, de déboussolée, en panne, mal partie, orpheline, écartelée, isolée du reste du monde, mosaïque de plus ou moins cinquante tribus... Quel drôle de puzzle ? Il s’agit pour moi de cet ensemble suspendu à un vide, formidable Léviathan tropical doté de toute la pesanteur perverse du colonialisme ; un ensemble habité jadis par des « citoyens », ces anciens « indigènes » qui, naturellement, sont loin de constituer une « société civile » forte, structurée et vigoureuse, prête, à faire contrepoids à la société politique néocoloniale et qui apparaît comme « une tête apoplectique ».
Nous nous posons alors la question fondamentale de savoir, et
aujourd’hui, qui doivent renverser l’équation? Comment doivent-ils le
faire?
Réponse ! Les Congolais eux-mêmes; ceux-là mêmes qui se
situeront ou qui se situent déjà dans la voie de l’unité nationale réelle et
concrète; une unité pour le changement positif, qualificatif, quantificatif,
compétitif, observable et mesurable pour les Congolais.
Quels sont ces Congolais qui opéreront ce genre de changement ? Réponse ! Ceux qui pensent déjà ou penseront à la constitution d’un nouveau leadership
visionnaire prêt à quitter la conscience schizophrénique écartelée au
carrefour de l’histoire.
4. Du leadership au Congo
Oui le Congo a besoin d’un nouveau leadership.
Nous voulons dire aux leaders congolais de dire non au péché de la
perversion; pour dire également en second lieu que le Congo a besoin des
leaders crédibles pour dire en troisième lieu que les élites intellectuelles
congolais doivent quitter leur être complice silencieux face à la mauvaise
gouvernance de leurs gouvernements. Je veux vous dire, mes amis, que la
RD. Congo est devenue superflue loin de la grandeur et de la dignité
humaine. Nous voulons dire mêmement que les Congolais, dans leur
indépendance sans liberté, se contentent d’être dans la dérive de la raison. Je souligne que l’anormal est devenu le normal qu’on acclame avec bonheur.
On se dit avec désinvolture que « cela a été toujours ainsi ». On est esclave
dans son propre pays. Est-ce normal quand on fonctionne selon un mode de
production social tribaliste, claniste, ethniste? Est-ce normal quand toute la
société vit ostensiblement dans la corruption, pillage, mauvaise gouvernance, tous ces défauts qui avilissent et pervertissent l’homme
Congolais.
Vivant dans un système de misère généralisée, et d’extrême
pauvreté, les Congolais se sentent réduits aujourd’hui au niveau de
l’animalité. Tous vivent sous l’aiguillon de la faim qui les pousse dans la
mendicité et la corruption qui ne disent pas leur nom. Non, le Congo et les
Congolais méritent mieux que cela. Leur pays est bien grand, mais hélas,
sans grandeur.
Sans provoquer qui que ce soit, le peuple veut des humbles crédibles. C’est-à-dire ces hommes qui ont compris les sens de grandeur mentale et de mental de grandeur au sens moral et éthique. Ces hommes capables de susciter avec les autres, leurs semblables, un Congo nouveau, plus profond, plus démocratique. Ces hommes capables de créer leurs capacités intrinsèques, un consensus autour d’eux pour l’émergence d’un Congo digne, capable d’être fier dans le concert des Nations.
Ces hommes seront ceux qui auront une vision claire du monde qui se mondialise de plus en plus. Une vision d’un Congo réellement unit se situant loin des nationalismes agressifs, anachroniques et décadents.
La notion de grandeur signifie ici beaucoup de choses, depuis la simple taille ou « grandeur mesurable » en passant par une « grandeur » caractérisée par l’étendue de l’influence, la puissance et le prestige politique, social, culturel, moral, spirituel et intellectuel pour atteindre le sens plus profond des mérites. Je dis que les Congolais attendent l’avènement de « l’événement nouveaux leaders ».
Ces derniers seront chargés des missions nobles et sacerdotales dans l’accomplissement de l’Etat congolais. Ils récusent les tripotages constitutionnels. Ils ne veulent plus succomber dans la tentation du mal que font miroiter leurs dictateurs. Les intellectuelles qui ne sont pas nécessairement des diplômés d’universités doivent comprendre qu’ils doivent cesser de s’abriter dans des carapaces du pouvoir sans pouvoir pour donner à ceux-ci des allures de modernité démocratique.
Le Congo a besoin de l’Elite intellectuelle c’est-à- dire, ces personnes qui ont émergé dans la société et qu’on peut classer dans la catégorie des meilleurs et des distingués selon les critères de valeur morale et de l’éthique.
Produit d’une société africaine déchirée par la colonisation et les
dictatures, ces personnes doivent témoigner d’elle, loin de se laisser
conduire comme de véritables « moutons de Panurge» prostitués se répandant en courbettes et en flatterie ignobles pour sauvegarder les espèces sonnantes, trébuchantes et des avantages précaires et douteux. L’élite congolaise aujourd’hui, a brumé son esprit critique.
De compromission en compromission, il y a risque qu’elle finisse comme une épave ou un fossile social ayant perdu même le peu de connaissances reçues aux études. Elle est devenue un zombie.
Oui, «l’élite africaine» participe silencieusement à la perversion de
la société. Ayant pactisé avec le mal radical qu’elle banalise, elle est devenue superflue et insensible à la misère qui accable le peuple. Le Congo,
Mes amis, a besoin des prophètes. Ces gens de lumière qui émergent comme artisans de la restauration Congolais capables d’inventer une véritable
éthique du futur. Et aussi capables de quitter l’imagination inférieure,
fantaisiste, déréglée pour tendre vers une imagination supérieure, active et inventive.
Le Congo est bien en panne ! « Il est émietté » « Il refuse le développement » «il est déraciné » « déboussolé » dans un monde si trouble où «la démocratie est déjà piégée ». On dirait que le Congo est ligoté « Le Congo meurt-il ?». Le miracle congolais aurait-il lieu sans les Congolais ? Et avec quels Congolais ?
Oui, le miracle congolais pourra avoir lieu si seulement les Congolais eux-mêmes commencent par comprendre que toute l’histoire de leur Etat postcolonial est l’œuvre d’une histoire : celle de la colonisation. Le miracle congolais pourra avoir lieu si seulement les Congolais eux-mêmes commencent par comprendre que la valeur de leurs ressources naturelles et humaines est proprement leur affaire. Le miracle congolais pourra se
produire si seulement les Africains commencent par eux-mêmes, à
j s’apercevoir qu’une indépendance politique n’a de valeur que mentale. Le
miracle congolais peut se produire quand les Congolais eux-mêmes apprendront leur Congo en termes d’idée, pensée en fonction des exigences historiques de leur société; quand ils comprendront par eux-mêmes que l’Etat est d’abord un support politique au service du peuple, loin d’une personnalité forte soit-elle.
Enfin, le miracle congolais peut se produire le jour où les Congolais
eux-mêmes s’empêcheront de concevoir les Etats en termes de féodalité
suffisamment mécanique à la place des sociétés civiles, conscientes d’elles- mêmes et actrices du changement.
Le sommet de l’Etat n’est pas un lieu d’apprentissage d’exercice de
responsabilité. II n’est pas non plus le lieu d’éclosion éventuelle de talents potentiels. Non ! Les plus hautes charges de l’Etat sont un lieu d’exercice de la maturité, de la sagesse et de talents confirmés.
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