All Section

Lumumba Héros Cardinal et Père du républicanisme congolais : le meurtre parricide et le sacrilège sociopolitique débilitant

Lumumba Héros Cardinal et Père du républicanisme congolais : le meurtre parricide et le sacrilège sociopolitique débilitant

(Par Hubert  Kabasu Babu Katulondi, Ecrivain et Libre Penseur)

huner.png

Hubert  Kabasu Babu Katulondi

Extrait du chapitre 5 du Tome I de l’essai (inédit) intitulé L’ESPRIT DU POUVOIR ET LE POUVOIR DE L’ESPRIT EN RDC (en trois Tome).

Dans la version la plus rependue au Congo, et suite à la reconnaissance par l’Etat Belge de sa responsabilité dans l’assassinat du premier Premier Ministre Congolais E.P. Lumumba le 17 Janvier 19961, ce meurtre est attribué aux impérialistes dans leur lugubre dessein d’éliminer ce héros nationaliste panafricain. Il s’érigeait en obstacle à la continuité de leur prédation sur les ressources du Congo. La culpabilité des Belges et des Américains est absolument indiscutable. Mais les Congolais étaient-ils des innocentes victimes de la manipulation étrangère, sans mobiles personnels, ne sachant pas ce qui se passait ? Est-ce que les gens qui envoient celui dont ils reconnaissent le statut du père du nationalisme à la mort (avec affreuse mutilation et dissolution du cadavre dans l’acide), sont normaux ? La thèse du mental pré-républicain soutenue dans cet essai permet de lever le voile sur cette phase importante de notre histoire.            

LA THÈSE DE L’ESPRIT POLITIQUE PRE-RÉPUBLICAIN ET LES POLITICIENS TRACTÉS PAR LES PULSIONS PRIMAIRES

Au-delà des mobiles impérialistes dans la mort de Lumumba, nous devons impérativement aussi cerner la responsabilité des Congolais, actionnée dans ce parricide par leurs pulsions égotisme-narcissique, accumulatives et thanatos. Ces évolués dont le mental gravitant sur leurs mois et leurs personnes qu’ils embellissaient avec une fascinante passion (on les voit d’ailleurs sur leurs photos, tous toujours tirés à quatre épingles, comme des précurseurs des fameux « sapeurs zaïrois » des années 1980-1990). Non-initiés à l’éthique républicaine et convaincus chacun qu’il est le nombril de l’univers étant donné que chacun portait le fantasme du colonisateur (Etre supérieur aux autres), ils avaient de graves difficultés de s’accepter mutuellement. On voit à l’œuvre cette pulsion dans l’âpreté des relations entre ces élites et les divisions qui ont eu lieu dans leurs partis politiques (Lumumba versus Kalonji, Kasavubu contre Bolikango, Kalonji antagonique à Ngalula, Tshombe en conflit contre Sendwe). Et on constate qu’en général c’est Lumumba qui fut victime de la haine de ses contemporains, surtout à Kinshasa (l’ouest), et avait son bastion à l’Est – une situation analogue à celle de J.Kabila 40 ans après !                                

Lumumba fut aussi victime de la pulsion d’accumulation de la part de ses envieux contemporains. La compétition sociopolitique, dans ce contexte de l’après indépendance était surtout, à en croire les affirmations de Thomas Kanza, une course aux ressources. On sait, par exemple, que beaucoup de politiciens en voulaient à Lumumba à cause des fonds qu’il avait obtenus des libéraux Belges et avec lesquels il se procura sa somptueuse résidence du Boulevard du 30 Juin, à Kinshasa (villa qui fut abandonnée à la ruine. Elle a été réhabilitée sous le régime de J.Kabila. Cette résidence du héros cardinal national qui dans un pays normal serait déclarée monument national et converti en lieu touristique). Il y a aussi le luxueux véhicule Impala avec lequel Lumumba effectua une superbe campagne électorale en 1960, faisant ainsi rougir ses compétiteurs de jalousie. Lumumba, cet outsider venu de la lointaine Stanleyville (Kisangani) et qui s’imposait à Kinshasa, se tira aussi la foudre des députés nationaux dont il fustigea l’augmentation faramineuse des émoluments de 100.000 à 300.000 Francs (Gérard-Libois et B. Verhaegen, 1961).                                                               

Par ailleurs, les Commissaires généraux (Jean-Marie Bomboko, Losembe Cardozo, Etienne Tshisekedi, etc.), à qui les officiers militaires confièrent la gestion temporaire du pays, pendant la crise  constitutionnelle (Septembre 1960), se livrèrent à une gestion calamiteuse, et attirèrent  la foudre des Lumumbistes (Gérard-Libois et B. Verhaegen, 1961). De septembre 1960 à Février 1961, les commissaires généraux, premiers universitaires congolais, doublèrent les avances auprès de la Banque Centrale. Le déficit budgétaire passa de 11 à 300 millions de Francs ! (64 ans après, on fustige les déficits chroniques du régime de l’alternance. Ce régime a aussi recouru aux devises en réserves étrangères pour combler ses carences en trésorerie). Les commissaires généraux aussi considéraient Lumumba comme un ennemi juré à cause des Lumumbistes qui dénonçaient leur gestion calamiteuse. Donc au plan national plus déterminant, l’élimination définitive de Lumumba était, pour ceux qui bénéficiaient de cette gestion désastreuse des Commissaires Généraux, un stratagème prohibant le retour de ce gêneur au pouvoir, afin de se livrer allègrement à la prédation. Dans sa résidence surveillée du Boulevard du 30 juin, Lumumba neutralisé était ébranlé par cette gestion catastrophique. Il voyait déjà la décadence de la République, tombée aux mains des prévaricateurs, s’annoncer. La dilapidation des ressources par la gestion égoïste du budget de l’Etat est donc une pathologie politique originelle.

En définitive, Il existait bel et bien des dispositions psycho-politiques internes, et des réflexes de la horde propices à une volonté des politiciens congolais eux-mêmes d’éliminer Lumumba. Les occidentaux ont exploité une motivation endogène existante. Celle-ci était produite par un mental pré-républicain, fait des instincts ethniques, d’égotisme, de fascination matérielle, de jalousie et du réflexe de l’état de nature de l’anéantissement de l’autre.

2. LA PERVERSION PSYCHO-POLITIQUE CONGOLAISE : LA PULSION THANATOS ORIGINELLE

L’assassinat de Lumumba, dans lequel un Premier Ministre issu de la majorité et jouissant du soutien de la Chambre de Représentants (’Assemblée Nationale) est envoyé à la mort par le Président de la République, Kasavubu, avec l’assentiment de Mobutu, qui était pratiquement son bras droit, met à nu une extraordinaire prouesse machiavélique. Ce meurtre étale aussi une diablerie assassine digne des esprits porteurs de graves perturbations psychiques. 

Comment en furent-ils arrivés là ? Quel était leur état psychique pour arriver à commette un crime si odieux, digne d’un film d’horreur ?

 On ne peut manquer de déceler une perversion de l’Etre,  manifestant un phénomène de perturbation de l’Esprit, défiant toute logique toute normalité psychologique et politique, dans la trame de cet horrible meurtre. Un enchevêtrement alliant volonté froide d’élimination physique, de trahison et de meurtre glacée avec mutilation du corps, digne d’un scénario hollywoodien. Les criminologues attestent que la mutilation des corps des victimes découle d’une psychopathologie sado-schizophrénique (Sharma, 2018 ; Hickey, 2015). Dans une étude sur les crimes avec mutilation des corps, Hakkanen-Nyholm et al (2009) observent la causalité de ces actes dans une enfance perturbée et un déséquilibre mental. Le criminel mutilant les cadavres de ses victimes éprouve une sorte d’orgasme ou de délectation psychique fantasmico-orgasmique. Il trouve aussi dans cet acte abject un sentiment de puissance sur la victime, dans une illusion d’omnipotence. Dans cette optique, on peut déceler dans le parricide dont Lumumba fut victime, le schéma d’un meurtre perpétré par des criminels pathologiques. Comme des personnes assouvissant l’instinct de fauves politiques dans la destruction post-mortem de la victime et une hargne maladive à faire disparaître le corps comme pour l’anéantir à jamais. Dans ce genre de crimes, les criminologues discernent, à partir du modus operandi et surtout de la disparition du corps, le profil des meurtriers comme porteurs d’un déséquilibre psychique de type narcissique et sadique (Dahmer,  2008).  

Le fait que les personnes qui avaient été pointées du doigt comme les auteurs directs ou indirects de ce crime (ayant avili notre histoire), notamment Tshombe et Munongo, aient été acceptés par la société comme dirigeants nationaux (avec Tshombe comme premier ministre et Munongo ministre de l’intérieur en 1964), démontre en lui-même que dans l’âme de la société, dans sa matrice logique et éthique, avait connu de graves perturbations ayant complètement tronqué ses critères de validation du pouvoir. C’est pourquoi, dans notre société, on assiste à la sublimation de l’odieux, qui dans d’autres pays provoque la répulsion collective. On y observe l’acclamation du scandaleux, qui ailleurs produit la sanction sociétale immédiate et impose la démission et conduit au suicide à cause du poids écrasant de l’insupportable infamie. Cette adaptation au cruel, et cette sorte de validation du vil, qui ailleurs suscite émoi et condamnation, est observable en RDC jusqu’à ce jour.      Une odieuse dénormativisation existentielle collective, au sens de la zombication ou de l’imbecilisation collective dont parle l’illustre Théologien et Philosophe Congolais KA-MANA.

Les schémas explicatifs fournis ci-haut trouvent un élément de véracité accrue dans le fait que les principales personnalités impliquées dans ce parricide furent très liées à Lumumba. Bien plus, ces personnalités avaient bénéficié du soutien de Lumumba pour leur accession au pouvoir. Kasavubu avait été un compagnon de Lumumba à la table ronde de Bruxelles. Il faut rappeler qu’à cette Table Ronde, en 1960, les politiciens Congolais refusèrent unanimement de siéger au début des travaux parce que Lumumba n’y était pas, ayant été incarcéré á la prison de Buluwo à Jadotville (Likasi). Ils réclamèrent la présence de Lumumba qu’ils accueillirent ensuite au pied de l’avion, le portant sur leurs épaules en plein tarmac, dans une joie exubérante. Mais, moins d’une année après, ils formèrent presque le même consensus pour envoyer celui qu’ils avaient sublimé à Bruxelles à une mort infâme a Elisabethville.

Kasavubu et Lumumba furent des compagnons qui risquèrent leurs vies ensemble dans des voyages en avion sur toute l’étendue de la République après l’indépendance afin de tirer le Congo du chaos face à la session Katangaise et le séparatisme du sud Kasaï. On se rappellera de ce drame où leur avion dont l’atterrissage fut refusé à Elisabethville par Munongo, faillit s’écraser faute de fuel et parvint à se poser à Kindu (récit direct de feu General Dikuta, qui fut élevé au grade de capitaine par Lumumba à Kindu). Mieux, Kasavubu devait pratiquement son élection à la Présidence de la République au soutien de Lumumba. Le choix en faveur de Kasavubu portait une claire logique nationaliste-républicaine manifestée par Lumumba qui orientait ses actions politiques. Thomas Kanza témoigne que face aux pressions exercées sur lui pour soutenir Bolikango au lieu de Kasavubu, Lumumba fut inébranlable. Le témoignage de Kanza (1972) qui s’était rendu avec son Père Mbuta Kanza au Palais de la Nation pour persuader Lumumba de ne pas soutenir Kasavubu, est à la fois éloquent et saisissant. Thomas Kanza (1972: 128) écrit :

«Sa décision, disait-il, était irrévocable. Il fallait, insistait-il, oublier les querelles du passé. Il était convaincu que Kasavubu ferait un excellent président, meilleure en tout cas que Bolikango, qui était, selon lui, un simple homme de paille de la Belgique et un protégé des Catholiques. Si Kasavubu n’est pas élu, avertissait-il, les Bakongo se révolteront et nous savons tous quels désordres peuvent s’en suivre avant comme après l’indépendance. Ils pourront alors se rattacher au Congo-Brazzaville et ce serait le début de la fin pour notre indépendance »

On voit ici, dans une certaine mesure, l’effacement de J.Kabila, qui aurait pu s’arc-bouter comme ses collègues présidents en Afrique Centrale, par un forcing pour un troisième mandat, mais s’est abstenu de ce schéma. Plus remarquable encore, autant il a accepté la victoire électorale du leader de l’UDPS, un parti qui pendant 18 ans l’humiliait et déversait sur lui des torrents d’invectives avilissants, attaquant même sa famille. Indéniablement, J.Kabila, porteur de l’Esprit consociatif était orienté par l’impératif de la cohésion et la paix pour l’avancement du Congo. Mais, en dépit de cela, même après l’alternance, ceux qui ont bénéficié de ses sacrifices et de sa bonne volonté républicaine, n’ont pas cessé de le vilipender dans l’élan de la pulsion thanatos : l’instinct de l’anéantissement des autres.

Il est évident que Kasavubu avait subi les pressions de l’Eglise Catholique (Lumumba aurait menacé de nationaliser l’Université Lovanium), des Américains et des Belges. Mais on ne peut vraiment pas affirmer que comme Président de la République, Kasavubu n’avait pas la possibilité de réserver un sort moins cruel à son bienfaiteur politique Lumumba.  Le cas de Mobutu mérite aussi une réinterprétation psycho-politique.  Lumumba fut son mentor. Il avait des liens très rapprochés avec Lumumba avec qui ils se livrèrent à des randonnées (après la sortie de Lumumba de la prison à Léopoldville), dans toutes les communes de Kinshasa (sur la mobylette vespa de Mobutu). Lumumba fréquentait la famille de Mobutu, après sa sortie de la prison.  Il y fut condamné suite à une affaire relative à son travail au bureau de la Poste de Stanleyville (Kisangani). Mobutu fut l’assistant de Lumumba à Bruxelles. Après la Table Ronde politique, celui-ci lui confia la responsabilité de gérer le contentieux économique. En ultime instance, Lumumba nomma Mobutu secrétaire exécutif du gouvernement et, mieux, l’éleva au grade de colonel en 1960. Quel que soit l’angle sous lequel on peut considérer la relation entre Lumumba et Mobutu, il est établi que Mobutu doit toute son élévation politique et militaire à Lumumba.                               

Maintenant, on peut se poser la question : comment une telle personne peut envoyer à la mort celui qui l’a catapulté au firmament de l’arène politique et militaire ?

Dans l’optique de la psychologie politique, on peut affirmer qu’un tel acte ne peut avoir été validé dans l’Esprit de Mobutu que par des éléments extérieurs intenses ayant court-circuité ou ébranlé toute la loyauté vis-à-vis de la victime. Une telle perturbation du système de validation psychique et éthique n’est possible que par l’ébranlement des valeurs telles que la sincérité, la fidélité, la loyauté, par des événements d’une intense capacité déstabilisatrice de cette échelle de valeurs. La manipulation par les américains, les manœuvres des Belges seules, ne pouvaient pas amener Kasa-Vubu et Mobutu à accepter la mort de Lumumba, sans dispositions préalables psychologique et éthique, voire logique, en eux, validant cette sollicitation meurtrière.                                                             

Les éléments perturbateurs de la gratitude des principales personnalités ayant bénéficié du soutien de Lumumba et l’ayant envoyé à la mort, sont de deux ordres. Le premier résulte d’une sorte de consensus de meurtre par réflexe de la horde combiné aux pulsions d’accumulation et égo-narcissique, comme expliqué dans les chapitres précédents. Mobutu, jeune politicien, avait repéré ces pulsions chez les aînés au sommet de l’Etat (Bomboko, Nendaka, Kalonji, Tshombe, Kasavubu) qui vouaient une haine viscérale à Lumumba. Deuxièmement, pour trahir Lumumba, Mobutu doit avoir subi un intense martèlement psychologique, sur le gain d’un tel acte non seulement par les Américains et des Belges mais surtout par ses aînés qui, eux, étaient les bénéficiaires politiques directs de l’élimination physique de Lumumba.  Les ainés avaient le mobile : la conquête immédiate du pouvoir (alors que Mobutu était dans l’armée) conjuguée à la haine politique vis-à-vis de Lumumba bien avant l’indépendance. Mais cela n’innocente nullement Mobutu. La sentence passée par l’histoire le retient sûrement comme l’un des acteurs principaux de cet horrible meurtre – dont les effets de la débilitation politique hantent les Congolais 64 ans après. Quant à Kasavubu, Tshombe et Munongo, ils ne pouvaient qu’éliminer Lumumba,  car non seulement ils portaient la pulsion thanatos, mais ils redoutaient le nationalisme,  l’unitarisme et le républicanisme de Lumumba. Ces options politiques lumumbiste se dressaient comme obstacles à la réalisation de leur dessein séparatiste qui leur auraient permis de monopoliser les ressources dans leurs «républiquettes».  

Le meurtre de Lumumba par les personnes qui lui devaient leur ascension politique, dans une conspiration où les occidentaux (censés être des civilisateurs) étaient les maîtres à penser du crime, a, par sa bouleversante trahison, par la cruauté, par le mensonge et surtout par la mutilation et la disparition du corps de la victime, traumatisé toute la nation. Il s’agit-là du premier acte le plus sinistre de l’histoire politique du Congo par son intense ingratitude traitresse et assassine. Le paroxysme du sacrilège meurtrier par la disparition du corps de la victime. Son impact dans la psyché et le subconscient collectif continu jusqu’aujourd’hui et n’a pas été suffisamment décrypté. Ainsi, les premiers pas du Congo souverain, en formation de sa personnalité politique collective, furent marqués par cet acte d’un machiavélisme inégalé en Afrique. Les politiciens Congolais furent en effet les premiers en Afrique à tuer leur premier ministre. Et aucun procès, même à titre posthume n’a eu lieu au Congo, comme si la société elle-même avait approuvé cette abomination, dont elle a tellement honte que sa voix dépérît dans la gorge par les frissons de la honte, chaque fois qu’elle veut en parler.

3. LE PARRICIDE-SACRILEGE ET LE MYTHE FONDATEUR DE LA NATION

Les jeunes universitaires Congolais qui étaient au point de terminer leurs études à Lovanium en 1960 et dans les universités Belges, les aînés tels que Kalonji, Kasavubu, Nendaka, Tshombe, Munongo, Ileo,   ainsi que tous les Congolais à l’âge de conscience furent tous acteurs et spectateurs de cette tragédie-sacrilège. Mais ils furent aussi victimes inconscientes d’une distorsion psycho-cognitive produite par ce meurtre-abomination.                                                                                                                                                   

Comme dans la mythologie Grecque, la tragédie de Lumumba apparaît avec les traits d’un phénomène d’envoûtement collectif. En faisant périr le héros cardinal qui incarnait le rêve de la Res Publica congolaise, de la nation, la société rejeta elle-même l’idéal de son «étant républicain». En offrant le père du républicanisme congolais, du nationalisme authentique, en holocauste au profit de leur conquête du pouvoir, les premiers politiciens congolais répudièrent, par ce sacrilège, les principes de l’unité et de l’intégration nationale qu’il incarnait. Dans nos cultures africaines, un tel meurtre parricide (comme tout autre crime profanateur tel que l’inceste) a toujours des conséquences débilitantes sur la descendance : débilité discursive, déviationnisme comportemental, schizophrénie politique, impotence développementale. Il faut un rituel national de libération-purification cathartique, un rite de libération spirituelle de la nation, de l’envoûtement de ce meurtre-sacrilège, pour faire fleurir cette vision dont il était le père. 

Dans cette optique, au plan de l’anthropologie politique, le meurtre de Lumumba peut être appréhendé comme la conséquence de ce que Girard désigne comme une « rivalité mimétique ». Elle conduit les hommes : « A désirer toujours selon les désirs des autres. C'est-à-dire,  à entrer en conflit pour s’approprier l’objet convoité, au risque de s’abîmer dans une violence sans limite » (Girard,  1972 : 269). A l’époque de l’indépendance où la mentalité magico-religieuse et le fétichisme s’imposaient avec acuité, ce meurtre-sacrilège suscita un mythe et diverses autres thèses d’ensorcellement. Lumumba dont le corps avait disparu était devenu un Esprit errant. Il hantait tous les villages et les villes réclamant la restitution de son cadavre. Verahegen (1966) fait allusion aux guerriers Simba dont les chants de guerre reprenaient en refrain « nous ne pourrons pas toucher des femmes, ni nous laver avant d’avoir vu Lumumba ».

Une observation de taille mérite d’être formulée à ce sujet. Dans certaines sociétés, le meurtre du père (le parricide) est un rituel de transformation ou de purification. Un peu comme dans le mythe Freudien du meurtre du père par ses enfants. Ce parricide devient un interdit. Les enfants se repentent et s’engagent à ne plus poser un tel acte. Leur père devient le symbole du sacré. Un sacré stabilisateur. Un sacré intégrateur. Celui qui tisse le lien entre les enfants, ravivant en eux la conscience d’une communauté de destin et éclaire leurs esprits sur le bénéfice d’une cohabitation pacifique par le partage équitable des ressources. C’est pourquoi la mort de Lumumba mérite une réinterprétation psycho-politique pour en faire le socle symbolique de la république. En tant que communauté nationale, cette mort est notre mythe constructeur qui, pour paraphraser Girard (1972-269), est :

« Le sacrifice du bouc émissaire dont chacun affectera de croire qu’il a quelque responsabilité dans l’affaire et que, pour cette raison, il n’a pas lieu d’être vengé mais seulement sacralisé». 

Mais,  au Congo, ce parricide-sacrilège a libéré une énergie psychologique politiquement idiotisante. Une sorte de force débilitante dans l’arène politique. Les meurtriers ont, comble du machiavélisme, exploité le mort et son nom pour conquérir le pouvoir et le maintenir. Le nom de Lumumba est devenu cette incantation, ce credo fétichiste, que l’on déclame pour toucher la sensibilité des Congolais afin de chercher la validation politique dans la conscience collective, même si, comme on l’a vu, les actions menées n’ont aucune essence républicaine ni nationaliste du Lumumbisme. A ce sujet, il convient de souligner que le nationalisme se conçoit  premièrement par rapport à la nation dans la recherche de la cohésion nationale et la prospérité de tous. C’est secondairement qu’il s’envisage par rapport à l’extérieur, car les fragmentations nationales produisent la vulnérabilité exogène.

Comme on peut le réaliser maintenant, les Congolais qui n’avaient jamais été les acteurs politiques pendant la colonisation, débutèrent leur expérience germinative de la gestion de l’Etat par le meurtre de celui dont la vision tirait les Congolais de leur cloisonnement dans les ethnies et aires existentielles primaires. Eu égard au fait que ce meurtre était aussi organisé grâce aux « mindelé » (blancs considérés comme porteurs d’une intelligence supérieure à l’époque), elle sculpta une image tronquée de la politique dans la psyché des Congolais. Les manœuvres, la manipulation, la falsification de la vérité, la haine et la cruauté qui aboutirent à la tragédie de Lumumba constituèrent, dans la conscience collective, les caractéristiques essentielles de la politique. Dans son inscription sur notre psyché, l’élément respect de la valeur humaine de l’autre, richesse commune, gratitude, loyauté, furent éliminés. C’est d’ailleurs à partir de cette époque que dans le langage courant la politique fut associée à la fourberie ( luvunu), à la sorcellerie ((Tshididi), au sacrilège, au mensonge. Dans d’autres sociétés, ces traits sont des caractéristiques accidentelles, exceptionnelles de la politique. Lorsque quelques acteurs les pratiquent, ils sont sanctionnés par leur propre conscience qui le pousse à la démission et au suicide. Cela est observé dans les systèmes politiques développés (plus logiques et éthiques) où la société réagit toujours avec vigueur lorsque la fourberie, le mensonge, les contrevérités, surgissent dans la politique. Cette sensibilité éthique des républiques matures à la déviation scandaleuse discursive et comportementale en politique, est absente au Congo parce que, justement, le mental pré-républicain est dominant.

(Texte inédit et protégé)

Imhotep Kabasu Babu Katulondi

Ecrivain et Libre Penseur

(Président d’AGIR NEW CONGO, www.agirnewcongo.com)

 

Comments est propulsé par CComment

Author’s Posts

Image

Download Our Mobile App

Image
Image
© 2025 JoomShaper. All Rights Reserved

Design & Developed by IKODI DESIGN & IT SOLUTIONS