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Presse et médias en RDC : la prochaine frontière

Presse et médias en RDC : la prochaine frontière

(Par Gilles Mpembele, PhD, MBA, Senior Avionics Engineer at The Boeing Company, Adjunct Professor at Washington University in St. Louis, Missouri)

*33 ans de pratique journalistique pluraliste ont permis à la presse congolaise d'accumuler un savoir-faire et une technicité parmi les plus admirés du continent. Mais, le succès économique des entreprises de presse et du journaliste moyen est un peu resté à la traîne. Cet article explore quelques possibles avenus pour augmenter le chiffre d’affaires des firmes médiatiques et concurrencer les groupes de presse internationaux. L'approche n'est pas journalistique - l'auteur n'est pas un spécialiste des médias - mais strictement managériale.

Il s'agit d'identifier de nouvelles opportunités d'affaires à même d'accroître les finances des entreprises de presse, d'assurer un retour sur investissement maximal et de revaloriser le travail du journaliste moyen.

Internationaliser les médias congolais pour accroitre leurs chiffres d'affaires

Sur un plan purement informationnel, la République Démocratique du Congo est une mine d'or.

Pourtant, il existe aujourd’hui une disparité criante entre un contenu informationnel surabondant et un marché intérieur étroit, exigu. Pour atteindre l'objectif d'accroissement des revenus, les médias congolais gagneraient à s'internationaliser par la conquête de nouveaux marchés, dans l'espace francophone africain et bien au-delà.

Le concept d'internationalisation signifie essentiellement traiter de l'information congolaise pour la consommation d'un public international, mais aussi traiter de l'actualité mondiale sous une perspective congolaise originale avec l’objectif d’informer et d’édifier une audience internationale. Deux exemples concrets peuvent illustrer ce concept.

Les médias congolais peuvent réveiller la conscience internationale au sujet de la guerre à l'Est du pays, non pas simplement par des éditoriaux, mais par des reportages de terrain capables de rendre compte de la tragédie humaine qui s'y déroule. Le reportage de guerre est un genre journalistique qui n'est pas très pratiqué au Congo, mais il est une condition sine qua none de l'internationalisation de l'actualité de la guerre. Dans son livre "Je reviens de l'enfer", Deo Namujimbo relate son aventure de correspondant de guerre, lorsqu'il infiltra les troupes rebelles du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) afin d'exposer les atrocités de guerre qu'elles commettaient.

Cette responsabilité incombe aux médias et journalistes congolais et elle ne devrait pas être l’affaire des grands médias internationaux. Des reportages et documentaires originaux et sensationnels sur le mode opératoire du M23 et d'autres groupes rebelles, produits par des médias congolais, sont nécessaires pour réveiller la conscience mondiale. Ces reportages pourront ensuite être relayés en boucle par des médias internationaux comme TF1, CNN ou BBC, pour ne citer que ceux-là. Outre que cela réveillera la conscience mondiale, les retombées financières en faveur des médias congolais pourraient être substantielles.

Le deuxième exemple est relatif à une actualité africaine brulante, celle du surgissement de l’engagement russe dans certains pays africains, essentiellement par le truchement du groupe Wagner.

Cette actualité concerne aussi la RDC, si l'on considère une certaine opinion qui réclame à cor et à cri une collaboration avec le groupe Wagner pour, soi-disant, éradiquer le M23 et rétablir la paix à l'Est. Les médias congolais devraient s'intéresser à l'expérience centrafricaine sur cette question.

Dans ce cas aussi, les éditoriaux ne suffiront pas, mais des reportages de terrain sur les faits et gestes du groupe Wagner pourraient exercer une influence considérable sur l'opinion publique et la classe politique dans plusieurs pays Africains.

En raison de la proximité géographique et même culturelle avec la Centrafrique, les médias congolais peuvent y établir un véritable réseau d'informateurs capables de récolter des informations de première main sur le groupe Wagner et l'impact de sa présence sur la vie socio-politique en Centrafrique. Ces reportages pourraient susciter un intérêt particulier à travers le monde et capter une clientèle d’annonceurs dans les canaux de communication où ils seront diffusés.

Il est aujourd’hui urgent de lever le voile sur la vraie nature de l'agenda russe et du groupe Wagner en Afrique : la vassalisation des pouvoirs en place et l'annihilation des aspirations démocratiques des peuples.

Dans le cas spécifique de la RDC, toute paix à l'Est forgée par le groupe Wagner serait une capitulation en trompe-l’œil de l'armée congolaise et la cristallisation des velléités colonisatrices rwandaises.

L'internationalisation de la presse congolaise signifie aussi, par exemple, couvrir la campagne électorale présidentielle au Sénégal avec une indépendance de vue et une ouverture d’esprit qui peuvent captiver le public sénégalais, donner la voix aux opposants africains dans des pays où la liberté de la presse n’est pas aussi établie qu’au Congo, et, en définitive, reprendre un peu la place qu'occupait Africa N0 1 du temps de sa splendeur et concurrencer Jeune Afrique, pour ce qui est de la presse écrite. Mais cette internationalisation n'aura de sens que si elle se traduit par des retombées financières significatives pour les entreprises de presse congolaises. Un contenu de qualité y aidera, et une crédibilité à l’échelle du continent permettra de ramener des revenus publicitaires et des contrats de publi-reportages particulièrement fructueux.

Le modèle des souscriptions payantes et des initiatives de production ou de co-production

D’autres sources de revenus pour les entreprises de presse sont envisageables : le modèle des souscriptions payantes et des initiatives de production ou de co-production. A l'heure des technologies de l'information et des réseaux sociaux, un journal en ligne ou un media audiovisuel peut aisément constituer une base de souscripteurs au-delà de 100,000, générant un revenu de plus de $100,000 par mois. Le modèle de souscriptions payantes n'est pas une chimère. Beaucoup de médias le pratiquent dans le monde. Il existe un nombre potentiellement grand de gens, au Congo et à travers le monde, qui seraient intéressés pour 1 USD par mois à avoir accès à l'actualité de la guerre à l’Est, s'ils ont la garantie que des correspondants de guerre hardis et crédibles pourront les informer en temps réel de la progression des troupes rebelles et de la riposte des FARDC, ainsi que des massacres perpétrés contre les civils, avec si possible l’identité des auteurs présumés, leur mode opératoire et peut-être aussi avec des images de ces atrocités, dans toute leur violence et leur cruauté.

L'actualité de la culture et des arts peut financer la presse

Les productions et co-productions relèvent essentiellement du domaine culturel. Dans les années 70, l'Office Zaïrois de Radio-Télévision (OZRT) avait une couverture africaine qu'il est difficile d'imaginer aujourd'hui. Il a assuré la diffusion et la promotion de la musique congolaise, et a contribué à la naissance d'une industrie cinématographique embryonnaire. L’industrie du film était bien partie. Le film "Moseka", réalisé par Roger Kwami remporta le prix du court métrage au 3ème festival du film panafricain de Ouagadougou (FESPACO) en 1972. Peu de gens se souviennent aujourd'hui de Maitre Bebin, mais il fut parmi les premiers à produire des films d'arts martiaux sur le continent. Si cette trajectoire avait été maintenue, Nollywood se serait appelé Zollywood et le cinéma zaïrois aurait conquis le monde. Aujourd’hui, il existe en RDC des médias et des mécènes capables de reprendre le flambeau.

Si un mécène congolais peut être en mesure de produire un spectacle world class comme Maajabu, c’est qu’il en existe d’autres capables de produire un remake de l’épopée de Lyandja, de la convertir en un Broadway show, et de concurrencer The Lion King dans les salles de spectacle de New York. Le media congolais qui se lancera dans cette aventure pourrait être le premier à jouir d’un chiffre d'affaires de plusieurs dizaines de millions de dollars américains.

Dans le milieu des années 80, la ville de Kinshasa fut secouée comme par une bourrasque culturelle. Dans les étagères vitrées de l'hôtel Intercontinental apparurent de petites formes d'un vert sublime, de ce qui constituera une exposition originale et inédite d'œuvres en malachite.

La mémoire collective n'a retenu de cet évènement que le nom, aujourd'hui encore énigmatique, de celui qui était à l’affiche : l'Artiste Shabien. Avec une couverture médiatique appropriée, cet évènement aurait pu attirer les critiques et amateurs d'arts du monde entier. L’artiste aurait ainsi acquis une reconnaissance internationale immédiate, et les médias qui auraient participé à sa promotion, des partenariats internationaux lucratifs.

Cette reconnaissance internationale, c'est Chéri Samba qui l'obtint par la seule force et la richesse de ses œuvres d'art figuratif, en dépit d'une couverture médiatique locale minimale. De l'avis de certains, ses tableaux valent bien les fresques murales de l'artiste mexicain Diego Rivera, et les portraits réalistes de sa compagne, Frida Kalho. Chéri Samba fut la vedette des expositions internationales notamment au Centre Georges Pompidou à Paris, au musée Guggenheim à Bilbao, au National Museum of African Art à Washington DC, et dans bien d'autres salons d'art prestigieux à travers le monde. Il est aujourd'hui encore la figure tutélaire d'un courant artistique que les spécialistes devraient enfin s'accorder à appeler : l'école de Kinshasa.

Chéri Samba et d’autres artistes de talent, connus et inconnus, sont des valeurs sures sur lesquelles les médias devraient continuer de miser.

Des trésors archéologiques à découvrir

La richesse de la RDC n’est pas seulement dans l’art et la culture contemporains, mais aussi dans le domaine archéologique et les souvenirs perdus des temps anciens. Ce pays-continent n'a pas été suffisamment exploré et il est possible qu'existent encore aujourd’hui des trésors archéologiques à découvrir. Si l'Afrique est le berceau de l'humanité, le bassin du Congo doit en avoir été la première bassine, et il est fort probable que les peuples primitifs aient parcouru les cours d'eau, forêts, savanes de ce grand territoire et qu'ils y aient laissé des traces. Un modèle du journaliste-explorateur, c'est Henry Morton Stanley, qui pour le compte du New York Herald, conduisit une expédition dans les profondeurs de l'Afrique afin de retrouver Sir David Livingstone. Les journalistes et les médias congolais peuvent s'inspirer de Stanley et aller à la découverte du Congo profond où des trésors insoupçonnés pourraient être mis à jour avec à la clé la possibilité d’acquérir notoriété et fortune. L’envers du décor, peut-être, est qu'une découverte archéologique importante au Congo pourrait attirer des cohortes d'aventuriers du monde entier en quête de la toison d'or ou du trésor perdu des Templiers.

Conclusion

Les médias congolais peuvent atteindre un succès économique plus important par l’internationalisation de leur opération. Le foisonnement de l’actualité sociale et politique en Afrique et l’aspiration des peuples à une information de qualité, indépendante et crédible, sont autant d’opportunités pour conquérir de nouveaux marchés et accroître les finances des entreprises de presse congolaises.

En outre, les richesses culturelles de la RDC permettent de diversifier l’offre informationnelle et les sources de revenu. L’accroissement des finances des entreprises de presse bénéficiera aussi au journaliste moyen.

La revalorisation de son travail se traduira par des salaires plus compétitifs capables de rivaliser avec ceux des compagnies minières, des banques, et des sociétés de télécommunications.

Des entreprises de presse et des journalistes indépendants et économiquement forts pourront contribuer plus efficacement au rayonnement global de la RDC et à sa marche vers la modernité et le développement.

C’est cela la prochaine frontière.

 

 

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