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Tentative d’assassinat de Donald Trump : la violence en politique !

Tentative d’assassinat de Donald Trump : la violence en politique !
(Entretien exclusif avec Christian Gambotti,
Politologue, géopoliticien, spécialiste des relations internationales)
 Trump, victime ou responsable de la montée de la violence politique aux Etats-Unis ?
 
La Prospérité - La tentative d’assassinat de Donald Trump est-elle le symptôme d’une Amérique qui s’en prend à elle-même ou de la montée de la violence en politique sur l’ensemble de la planète ?
 
Christian Gambotti - Je ne vais pas dresser la liste de tous les faits de violence politique dans le monde. Ce qui est certain, c’est que la violence politique progresse partout sur la planète. Les réseaux sociaux amplifient ce phénomène. La violence politique existait dans les sociétés et les civilisations les plus anciennes. L’histoire d’Abel et Caïn, qui remonte aux origines de la Création, nous montre que l’assassinat est le moyen le plus sûr pour éliminer un rival. Aujourd’hui, la polarisation croissante du débat politique s’explique par la forte méfiance à l’encontre des institutions, des gouvernements et plus largement des politiques. La radicalisation des opinions, y compris dans les démocraties les plus anciennes, se traduit par une forte augmentation de l’activisme politique qui  nourrit d’abord la violence verbale, puis physique. Arrêtons-nous sur le paradoxe américain : les Etats-Unis sont le modèle absolu de la démocratie, mais la  société américaine coche toutes les cases de la violence. Le deuxième amendement de la constitution américaine garantit le droit de porter une arme. Les armes sont au cœur de la culture américaine (1) et le poids du lobby des armes est historique. Le mythe fondateur de l’Amérique est le mythe du Far West, c’est-à-dire la loi du plus fort. Dans certains États, un citoyen peut légalement abattre toute personne qui est perçue comme « menaçante ». Les assassinats et les tentatives d’assassinat de présidents, qui dépassent la violence ordinaire de la société américaine  ponctuent l'histoire politique des États-Unis. Sur les 46 présidents américains, 4 ont été assassinés (2) et 16 ont fait l’objet d’une tentative d’assassinat. Les tentatives et les assassinats des présidents montrent que nous avons d’abord une Amérique qui s’en prend à elle-même. De nombreuses milices, convaincues que le pouvoir central cherche à retirer aux Américains leurs libertés, se présentent comme les défenseurs de l’Amérique des pionniers. Donald Trump est-il responsable de cette montée de la violence politique aux Etats-Unis ? Evidemment, non.  Mais, il tient, lors de ses campagnes électorales, des propos incendiaires qui attisent la haine et le rejet de l’autre. Analysant la performance de Biden, lors du premier débat présidentiel, il a déclaré à propos de son rival : «Regardez ce vieux tas de merde hors d’usage. C’est un sale type. » Bien qu’il continue à s’exonérer de toute responsabilité, ce sont bien ses partisans qui, le 6 janvier 2021, ont mené une attaque contre le Congrès à Washington. Les tensions que produit la polarisation extrême de la scène politique américaine sont-elles en train de s’apaiser après la tentative d’assassinat de Trump ? Ce n’est pas sûr, même si Trump et Biden ont multiplié, après cette tentative d’assassinat, les messages d’union, de concorde et de paix. La campagne présidentielle a repris aux Etats-Unis avec le retour de la violence verbale. Il n’existe pas de véritable volonté d’apaisement. Or, l’Histoire nous montre que la violence en politique finit par détruire la démocratie et les institutions.
 
La Prospérité – La violence politique et les conflits résultant des élections sont des phénomènes récurrents en Afrique. Depuis les indépendances et l’instauration du multipartisme, des campagnes électorales sont organisées, des élections se déroulent. Les élections, élément central du processus de démocratisation, suffisent-elles pour garantir en Afrique la démocratie, la paix et la justice sociale ?
 
Christian Gambotti – La violence caractérise l’Histoire politique de l’Afrique. Alors que, depuis les indépendances, l’existence d’un parti unique a permis l’appropriation du pouvoir par une ethnie ou un clan, incontestablement, depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, avec l’instauration du multipartisme, l’Afrique est en voie de démocratisation. Mais, il n’existe pas en Afrique de véritable culture de la tolérance. Le multipartisme n’a rien résolu. Les partis politiques se sont construits autour d’une figure totémique, le chef d’une ethnie, ce qui perpétue la tribalisation du champ politique fait d’intimidation, d’exclusion et de violences (3). Les vieux affrontements surgissent toujours au moment des périodes électorales. Si les élections ne sont pas la seule cause de violence pré- ou post-électorale, elles sont toujours le prétexte pour attiser les haines et les rivalités ethniques. Il est moins question de combattre la marginalisation de certaines ethnies, les injustices sociales et les fractures territoriales, que de conquérir ou arracher le pouvoir à un ennemi par la violence. L’histoire récente de la Côte d’Ivoire montre que les élections ont vu la recrudescence de la violence politique et des conflits liés aux élections. Il est toujours question d’instaurer un dialogue inclusif pour aller vers une réconciliation nationale. Ce n’est que récemment que la scène politique ivoirienne s’est apaisée, le résultat des élections, s’il est toujours contesté, n’étant plus remis en cause de manière violente avec appel à l’insurrection populaire et au soulèvement de la rue. .Beaucoup de femmes et d’hommes politiques ivoiriens oublient le Discours prononcé par Houphouët-Boigny, le Père de la Nation, le 7 mai 1965, à Korhogo, ville emblématique du Nord : « Si nous voulons qu’on nous prenne au sérieux à l’étranger, en dehors des frontières de la Côte d’Ivoire, en Afrique et dans le monde, quand nous parlons de paix, d’égalité, il faut qu’à l’intérieur de notre Côte d’Ivoire nous réalisions au préalable la paix entre tous les Ivoiriens, l’unité de tous les Ivoiriens et surtout l’égalité entre tous les Ivoiriens, qu’ils soient du Nord, du Sud, de l’Ouest ou de l’Est. » S’il fallait résumer de façon un peu simpliste la scène politique africaine, on peut dire que les rivalités politiques nées de la compétition pour la conquête du pouvoir d’État ont toujours généré un climat d’extrême violence : les grandes figures des mouvements de libération arrivées au pouvoir ont été renversées ou assassinées (12 dirigeants africains ont été tués, des exécutions extrajudiciaires ont eu lieu et les droits humains ont été bafoués), des dictatures marxistes sanglantes se sont installées, des vagues de coups d’Etat ont touché le continent depuis les indépendances et, depuis 2021, l’Afrique de l’Ouest connaît une épidémie de coups d’Etat militaires. Les causes de ces coups d’Etat ont évolué : dans le passé, elles relevaient des guerres d’influence entre le monde libre et le bloc communiste ; aujourd’hui, elles s’expliquent par le retour du sentiment anticolonial et l’exploitation des frustrations de la rue africaine par les putschistes militaires. En éloignant la forme du pouvoir des normes démocratiques, les violences politiques, dont font partie les coups d’Etat, ont toujours des conséquences désastreuses et donnent une image négative de l’Afrique. En juillet 1999, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a proscrit les coups d’Etat. Cette même année, les militaires ont renversé les gouvernements au Niger, en Sierra Leone, aux Comores et en Côte-d’Ivoire. Les violences politiques ne peuvent pas être combattues par l’illusion que représentent les bons sentiments ou les vœux pieux. Ce qu’il faut combattre, c’est la déliquescence des Etats minés par la corruption et l’ivresse du pouvoir qui s’empare des dirigeants. Le chemin vers une Afrique démocratique et, dans chaque pays, un Etat impartial et des sociétés apaisées, est encore loin. Le pragmatisme que véhicule le panafricanisme économique de la ZLECAf  (Zone de Libre-Echange Continentale Africaine) pour unifier le continent à travers un grand marché unique est insuffisant. Il faut, chez les dirigeants africains, une volonté politique et un objectif commun qui transforment le contrat commercial, qui relève du pragmatisme économique, en un projet civilisationnel dans l’intérêt des peuples et des territoires.
 
La Prospérité – Depuis la guerre en Ukraine, on assiste à la mort du vieux monde de Yalta. C’est un nouvel ordre mondial qui se construit, particulièrement instable, avec, partout sur la planète, des zones de conflictualités intenses. Comment doit se situer l’Afrique dans ce nouvel ordre mondial de plus en plus instable ??Le continent est-il obligé de choisir un camp ?
 
Christian Gambotti – Le constat est évident, le nouvel ordre mondial se construit sur l’hypothèse d’un affrontement entre l’« Occident collectif » et le « Sud global. » L’Afrique doit-elle choisir un camp, celui du monde libre, c’est-à-dire l’Occident, ou celui des régimes autoritaires, dont la Russie de Poutine est le symbole le plus récent ? Le choix ne peut pas être dicté par des puissances étrangères ou se faire dans le cadre d’une passation forcée du pouvoir comme au Mali, au Niger ou au Burkina Faso. Les élections ont permis au Sénégal de changer les dirigeants de façon démocratique. Au Gabon, un coup d’Etat militaire a mis fin à la dynastie Bongo. Mais, ni le Président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, ni le président de la transition gabonaise, Brice Oligui Nguema, n’ont fait le choix de rompre avec Paris, comme en témoignent leurs visites officielles en France. Ce choix du non-alignement, qui me semble correspondre aux intérêts des Etats africains et des populations, est le meilleur chemin vers l’apaisement politique, la concorde nationale et la paix civile. . L’Afrique, depuis le début de la colonisation jusqu’à la fin de la « Guerre froide », a toujours porté le lourd fardeau de l’Histoire, devenant ainsi le jouet des puissances étrangères. La soumission à un camp ou une idéologie a toujours alimenté les violences politiques en exacerbant les rivalités ethniques. Il est urgent que l’Afrique pense d’abord à elle. Alors que le monde se concentre sur l’Ukraine, sur Gaza et sur la tentative d’assassinat de Trump, on oublie que l’Afrique est le continent des guerres oubliées, plus grands massacres et des millions d’individus déplacés. Les crises les plus massives se concentrent dans trois pays : l’Ethiopie, le Soudan et République Démocratique du Congo (RDC). Dans chacun de ces pays, ce sont entre 20 et 26 millions de personnes qui par la guerre, les crises climatiques et le risque de famine. Je n’oublie pas les exactions commises dans la zone sahélienne depuis le début des années 2000. Cette situation de guerre entre les Etats sahéliens et les groupes terroristes engendre les violences politiques les plus graves. Il faut alors interroger les dysfonctionnements des politiques nationales, continentales et mondiales, incapables d’assurer un meilleur partage des richesses, la sécurité des populations et l’épanouissement démocratique. Il ne peut y avoir de baisse des violences politiques en Afrique sans une réflexion sur les crises de citoyenneté qui sont la cause de ces violences. Lorsque des populations entières sont privées des droits auxquels elles peuvent prétendre, - les droits politiques, économiques, sociaux, fonciers et sociétaux, le droit à la sécurité -, l’Etat construit sur le modèle occidental reste alors une construction artificielle qu’il faut combattre. Le Président Félix Tshisekedi, réélu pour un second mandat, doit donc, à travers l’action du gouvernement et les lois votées par la représentation nationale, et en associant le plus largement possible les pouvoirs locaux et les populations, mettre en œuvre les processus et les dispositifs qui vont permettre de lutter contre les crises de citoyenneté.
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(1)             André Kaspi, « La Nation armée: Les armes au cœur de la culture américaine », Ed. L’Observatoire, 2019.
(2)             Le premier assassinat politique est celui du 16ème président des Etats-Unis, Abraham Lincoln, à Washington, le 14 avril 1865.
(3)             « Pouvoirs anciens et pouvoirs modernes en Afrique », ouvrage collectif sous la direction de Bernard Salvaing. Presses Universitaires de Rennes (PUR), 2015. S’interrogeant sur le bilan de deux décennies de multipartisme en Côte d’Ivoire, l’ouvrage établit le constat suivant : « Les faits marquants de deux décennies de crise sociopolitique et militaro-politique sont : un boycott de l’élection présidentielle en 1995 ; un coup d’État en 1999, une tentative manquée de coup d’État qui s’est transformée en une rébellion armée en 2002, provoquant la division du territoire national en deux parties ; une crise postélectorale avec des milliers de morts (…) et un repli identitaire. » L’ouvrage est disponible sur OpenEdition Books depuis 2018.

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