RDC : faut-il constituer un gouvernement de synthèse ?

(Par Gilles Mpembele, PhD, MBA, Senior Avionics Engineer at The Boeing Company, Adjunct Professor at Washington University in St. Louis, Missouri)
*Maintenant que la course à la présidentielle 2023 est officiellement lancée, il est légitime de soumettre au jugement des candidats des idées novatrices pour renforcer l’Etat congolais. Cet article formule quelques propositions pour optimiser le fonctionnement du gouvernement et de l’administration publique, rationaliser et dépolitiser la gestion des finances publiques et des ressources minières, et combattre les grands crimes économiques qui privent la nation de ressources importantes qui auraient servi à son développement.
Il s’agit, en pratique, de mettre en place une sorte de politique d’ajustement structurel par le haut qui permette de réduire significativement le train de vie de l’Etat et de rétablir un partage équitable de la richesse nationale au profit des plus faibles. Ces propositions intègrent la dimension humaine et le contexte socio-psychologique de la population congolaise.
Elles sont différentes des politiques d’ajustement structurel, brutales et désincarnées, qui émanent souvent des institutions internationales comme le Fonds Monétaire Internationale et la Banque Mondiale, mais aussi, des cabinets internationaux de conseil en stratégie comme McKinsey and Company et le Boston Consulting Group.
L’objectif ultime de ces propositions est de créer, en effet, les conditions d’élaboration d’une politique gouvernementale résolument tournée vers le bien-être de toute la nation, et dont l’exécution peut être assurée dans le cadre d’un gouvernement de synthèse démocratique.
Un gouvernement de synthèse, c’est quoi ?
Tout premier ministre nouvellement nommé doit choisir entre deux exigences quasi irréconciliables : concéder aux intérêts partisans des politiciens ou servir pleinement le bien-être collectif. Un gouvernement de synthèse ne devrait se préoccuper que de la deuxième exigence, y compris s’il devrait s’attirer les foudres des plateformes politiques, de quelque obédience qu’elles soient.
La composition de ce gouvernement devrait s’inspirer du gouvernement d’Etienne Tshisekedi issu de la Conférence Nationale Souveraine : environ 15 ministres, plus technocrates que politiques, et pas de vice-ministres. Un équilibre régional devrait être assuré, sur la base des 11 provinces traditionnelles d’avant le dépècement territorial de 2015. La parité hommes-femmes devrait aussi être recherchée.
Les cabinets ministériels devraient être limités à 5 ou 6 conseillers, pour inciter les ministres à collaborer directement avec leurs administrations respectives. Un des effets pernicieux des ajustements structurels et des politiques d’assainissement des années 80 a été de déstructurer l’administration publique qui a vu certaines de ses prérogatives migrer vers les cabinets ministériels. Depuis lors, le poste de conseiller de ministre est devenu l’objet de toutes les convoitises, avec des avantages considérables auxquels les fonctionnaires ordinaires n’ont pas accès. Le gouvernement de synthèse devrait rétablir l’équilibre des prérogatives en faveur de l’administration publique et conforter la mission fondamentale de cette dernière d’assurer l’exécution des politiques publiques.
Un important chantier du gouvernement de synthèse est aussi de rationaliser le barème salarial de l’Etat dans son entièreté, autrement dit l’ensemble des branches exécutive, législative et judiciaire.
L’objectif est de réduire les écarts, de valoriser les bas salaires et de maintenir un ratio raisonnable entre les salaires les plus élevés et les salaires les plus bas. La promesse d’équité sociale l’exige.
Sur le plan du développement économique, le gouvernement de synthèse devrait initier trois grands projets nationaux avec un horizon d’exécution d’environ dix ans : la construction de trois autoroutes nationales de Boma à Goma, de Luiza à Gbadolite, de Kasumbalesa à Djabir. Des financements intérieurs et extérieurs seront nécessaires pour concrétiser ces projets dont les effets directs seront de réduire significativement le chômage de masse, de redéployer l’administration publique dans les contrées les plus reculés du pays, de faciliter les échanges économiques, et de consolider l’intégration nationale.
Rationaliser et dépolitiser la gestion des finances publiques et des ressources minières
Plus de 60 ans de système éducatif et de pratique professionnelle en RDC ont produit des économistes, des juristes, des ingénieurs, des gestionnaires, dont l’expertise et la compétence ne peuvent être remises en cause. Il n’y a point de doute que ces experts et professionnels savent exécuter efficacement le budget national, maximiser les recettes publiques, diriger une banque nationale selon des normes internationales, négocier des contrats miniers et diriger des entreprises minières.
Mais, la réalité de la situation congolaise dans ces deux domaines en particulier, depuis de très nombreuses années, a montré que l’expertise et la compétence ne suffisent pas à garantir une gestion saine de nos finances et de nos ressources naturelles. La raison tient aux rapports humains que nous entretenons entre nous, fondés sur des ressorts sociologiques et anthropologiques proprement africains. En Afrique, le rapport que nous avons au bien commun, au bien public, à l’argent public, à la richesse nationale, a encore du chemin à faire pour se conformer aux exigences d’une république moderne et d’une démocratie mature.
Cet article propose que dans le cadre du gouvernement de synthèse, le premier ministre conserve les portefeuilles des finances et des mines, mais qu’il crée deux postes d’administrateurs généraux et que soient nommés à ces postes des personnalités absolument et totalement indépendantes, nécessairement non-congolaises et probablement même non-africaines. L’exigence d’indépendance est la clé de succès de cette proposition.
La mission de l’administrateur général des finances sera de diriger le portefeuille des finances avec une indépendance et une autorité qui lui permettront d’imposer une certaine orthodoxie dans la gestion des finances publiques, d’éradiquer la gabegie financière et la corruption, et d’assumer ses fonctions sans qu’il y ait la moindre possibilité d’une quelconque pression sur lui.
En plus de la gestion quotidienne de l’administration des mines, la mission de l’administrateur général sera d’évaluer tous les contrats miniers signés par la RDC (ou en voie d’être signés), de proposer et d’appliquer des mesures correctives pour maximiser le retour sur investissement de l’Etat, et d’engager des poursuites judiciaires lorsque des évidences de crimes économiques graves au détriment de l’Etat congolais et des populations congolaises existent.
Eradiquer les crimes économiques
Aucun gouvernement ne peut véritablement atteindre ses objectifs de développement si des ressources importantes qui auraient servi au développement du pays sont constamment dilapidées dans des crimes économiques, les uns aussi scandaleux que les autres. Le gouvernement de synthèse devra rechercher des mécanismes appropriés pour que ces crimes ne demeurent pas impunis. Mais la vérité du système judiciaire congolais est qu’il n’a ni les moyens, ni le pouvoir, ni l’indépendance de poursuivre et de juger les auteurs de ces crimes. S’ajoutent à cela des dispositions culturelles promptes à pardonner n’importe quel crime au nom d’une solidarité et d’une fraternité mal comprises.
Dans le psyché collectif des Congolais, l’approche mobutiste de la gestion de l’Etat apparait comme un horizon indépassable. Les détournements de fonds publics, les enrichissements rapides et sans cause, la corruption généralisée, sont malheureusement considérés comme une certaine forme de redistribution de la richesse nationale et ne sont que très faiblement condamnés par la société.
Le gouvernement de synthèse devrait initier des discussions avec des spécialistes du droit, nationaux et internationaux, sur les outils juridiques les mieux appropriés pour engager des poursuites judiciaires et effectivement juger ceux qui ont perpétré des crimes économiques importants et qui échappent à la justice, ou qui restent impunis, en raison de leur stature politique, économique, ou financière. Sont à inclure dans cette catégorie, certains expatriés qui ont fait main basse sur les ressources naturelles de la RDC et sur des pans entiers de son économie grâce à la corruption, au soudoiement, et aux pots-de-vin.
Cet article propose aussi que le gouvernement de synthèse crée une chaire de droits humains à la faculté de droit de l’Université de Kinshasa où une recherche académique de pointe serait conduite sur les questions des droits humains et des libertés des peuples, mais aussi sur les questions des droits économiques et environnementaux. Un des objectifs pratiques de cette recherche est d’implémenter des avancées nécessaires dans le droit pénal congolais, qui permettront d’assurer une adéquation parfaite avec le principe de compétence universelle.
Ce principe offre la possibilité que des crimes commis en RDC dans des domaines délimités par les conventions internationales puissent être jugés devant des juridictions étrangères si les criminels en question échappent pour une raison ou une autre à la justice congolaise.
Dans la pratique, le gouvernement et les associations de la société civile devraient avoir la possibilité d’engager des poursuites judiciaires contre quiconque aurait commis des crimes économiques au Congo devant des tribunaux des pays qui ont adopté le principe de compétence universelle. Mais aussi, tout pays au monde où la lettre du principe de compétence universelle est transcrite dans son droit national devrait être considéré apte à juger des crimes économiques commis au Congo.
Pour rendre hommage et honorer la mémoire de l’illustre défenseur des droits humains assassiné en 2010, cette chaire de droits humains devrait être nommée : « Chaire Floribert Chebeya ».
L’ironie de l’histoire est que les promesses selon lesquelles la démocratie et les élections amèneraient automatiquement une modernisation de l’Etat et une bonne gestion des finances et des ressources naturelles au profit de toute la nation ont été depuis lors sévèrement démenties.
Le projet d’une société juste et équitable est un combat encore et toujours à l’ordre du jour. Le gouvernement de synthèse décrit dans cet article est un effort de réflexion et de proposition pour apporter notre pierre à l’édifice, afin de rationaliser la gestion de nos finances publiques et de nos ressources naturelles, et d’éradiquer la corruption et les crimes économiques.
Qui, parmi les innombrables candidats qui se lanceront dans la course à la présidentielle 2023, adoptera tout ou partie des propositions formulées ici ?
Le peuple congolais devrait en faire un enjeu électoral.
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