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Le comité exécutif de l'association des Professeurs de l'UPN dans la tourmente.

(Par le Professeur Patience Kabamba)

Jadis fleuron de la formation des enseignants du secondaire, l'UPN apprend à devenir université avec plusieurs ratés dans son parcours de maturation. Le Mercredi dernier nous en avons vécu un. Une centaine des professeurs se sont déplacés pour assister à une réunion dûment convoquée par président de l'APUPN de retour de sa suspension professionnelle.

Une petite heure avant la réunion, la rectrice de l'université a envoyé un communiqué interdisant à tout groupe de se réunir au sein de notre Alma mater. Des professeurs attendaient dans la salle de réunion de l'APUPN espérant que la rectrice pourrait se dédire après la conversation avec un groupe dépêché d'urgence pour la rencontrer.

Évidemment que la rectrice ne pouvait pas se dédire. La rencontre était renvoyée sine die.

Pourquoi en sommes-nous arrivé là ? Qu'est ce qui s'est passé pour que le syndicat des professeurs ressemble à un groupe des collégiens obéissants à des ordres contradictoires ?

Le présent MDW va tenter d'y répondre.

Le cœur du problème au sein du comité exécutif de l'APUPN est, me semble -t-il, la gestion des cotisations des professeurs. Nous sommes en face des deux théories de gestion totalement légitimes mais diamétralement opposées. Une des théories soutient un usage parcimonieux de l'argent des cotisations des professeurs. C'est la mentalité que j'ai rencontrée à l'est du pays. L'argent est à gérer avec parcimonie et modération. Cette attitude est juste et correcte, me semble-t-il.

L'autre théorie soutient que l'argent des cotisations des professeurs appartient aux professeurs qui cotisent et il faut donc le leur donner lorsqu'ils en ont besoin pour des situations d'urgence. La gestion de l'argent des professeurs doit par conséquent se faire avec une grande libéralité. C'est une attitude aussi correcte et légitime que la première.

Le couac au sein du comité exécutif de l'APUPN provient du fait que les deux attitudes semblent s'opposer irrémédiablement : la parcimonie contre la libéralité. Madame la rectrice a demandé aux deux groupes d'harmoniser leurs positions pour la paix au sein de notre Alma mater. Nous assistons à un déchaînement d'invectives aussi bien sur le fond que sur la forme. Il est évident ici que la forme épouse le fond et le fond s'explicite en la forme qui exprime son dire.

A travers la tyrannie de l'argent comme exemplifiée dans le conflit au sein de l'association des professeurs de l'UPN, nous pouvons constater que nous vivons un temps très particulier ; celui où l'histoire du savoir et le savoir de l'histoire sont appelés à mourir définitivement dans l'accomplissement de la fabrication de l'ignorant congolais stupéfié même avec un diplôme de doctorat. C'est ainsi que la liberté despotique du profit a programmé des générations entières des cerveaux neutralisés depuis plusieurs décennies d'éducation aux rabais en République Démocratique du Congo. La tyrannie démocratique de l'argent a détruit l'élite intellectuelle congolaise. Elle l'a mise hors- la loi logique dialectique de conflits radicaux des luttes des classes.

La dislocation du système académique congolais dont l'exposition graphique nous est présentée par les propos des uns et des autres au sein de l'APUPN s'inscrit dans le cadre de la domination réalisée de la marchandise totale et de la libération capitaliste des mœurs incultes d'une société dirigée par des jouisseurs politiques pleinement marchandises et qui se la coulent douce alors que les Congolais tirent la langue.

La solution aussi bien au niveau de l'APUPN qu'au niveau du pays, est l'avènement d'un prolétariat instruit et clairvoyant en lieu et place d'une masse abrutie, disparate et bariolée des diplômes mais la plus illettrée possible en mesure d'être déplacée, replacée et remplacée au gré des victoires rwandaises rendues possibles par la corruption au cœur même du dispositif de la défense du pays.

Il est temps qu'une génération d'intellectuels congolais se lève contre le fétichisme de la marchandise, de l'argent, qui tend à faire disparaitre le logos du percevoir et du comprendre historique et d'abord toutes les formes de langage et de réflexion qui permettent d'en appréhender les origines, le développement et l'insoumission.

Il est absolument nécessaire que les Congolais gardent leur habileté de questionner les pouvoirs de l'histoire et l'histoire du pouvoir.

Quant au comité exécutif de l'APUPN, le MDW conseille aux uns et autres de pouvoir lutter contre le despotisme de l'argent et de savoir démissionner pour la paix sociale et le progrès révolutionnaire du groupe et du pays.

Le comité exécutif de l'association des Professeurs de l'UPN dans la tourmente.
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La RDC face aux réalités d’un basculement géopolitique : pourquoi Félix Tshisekedi ne peut pas s’aligner sur Moscou

(Par Nico Minga, Economiste, auteur et géostratège)

L’Est de la République Démocratique du Congo demeure une poudrière géopolitique où s’entrecroisent les intérêts de puissances régionales et internationales. Dans un contexte de tensions exacerbées par l’activisme du M23 et l’agression rwandaise, une question se pose avec acuité dans tous les cercles de réflexion : pourquoi le président Félix Tshisekedi ne pourrait-il pas faire appel à la Russie pour stabiliser cette région stratégique ?

Un jeu d’alliances qui restreint les marges de manœuvre

Historiquement, la RDC s’est inscrite dans un axe de coopération avec les puissances occidentales. Les États-Unis, la France et l’Union européenne demeurent les principaux partenaires du pays sur le plan diplomatique et économique. Un basculement vers la Russie, dans le contexte actuel de guerre en Ukraine et d’alignements forcés, serait perçu comme une provocation susceptible d’entraîner des sanctions économiques et un isolement diplomatique.

L’administration américaine, qui a fait de la stabilisation des Grands Lacs une priorité stratégique, ne tolérerait pas un tel rapprochement. De même, l’Union européenne, principal bailleur de fonds en matière d’aide au développement et de programmes d’infrastructure, pourrait revoir son engagement en RDC si Kinshasa venait à opter pour une coopération militaire avec Moscou.

Rappelons que les relations entre la RDC et la Russie ont toujours été complexes et elles remontent à l’ère soviétique. Pendant la guerre froide, l’URSS a soutenu certains mouvements révolutionnaires en Afrique, mais la relation avec le Congo ex-Zaïre fut ambivalente. Mobutu, qui dirigea le pays de 1965 à 1997, était un allié clé des États-Unis, fermement ancré dans le camp occidental contre l’influence soviétique. L’Union Soviétique a pourtant tenté d’établir des alliances à travers des formations militaires et des coopérations discrètes, mais sans succès durable en raison de l’alignement pro-occidental du régime de Mobutu.

Après la chute du régime de Mobutu, la RDC n’a jamais véritablement développé de liens stratégiques solides avec la Russie post-soviétique. Depuis l’accession au pouvoir de Félix Tshisekedi, les interactions avec Moscou sont restées limitées, malgré quelques échanges diplomatiques. Ainsi, il n’existe pas d’antécédents historiques favorisant une alliance militaire entre la RDC et la Russie, contrairement à d’autres pays africains comme l’Angola ou l’Algérie, qui ont bénéficié d’un soutien plus structuré de l’URSS.

L’influence économique et militaire occidentale comme verrou stratégique

La RDC reste un pays économiquement dépendant des institutions financières internationales telles que le FMI et la Banque mondiale, dont les décisions sont largement influencées par Washington et Bruxelles. Ces organismes conditionnent leur soutien à des engagements en faveur de la stabilité macroéconomique et de la gouvernance démocratique, des principes peu compatibles avec certaines méthodes d’intervention russes, qui s’appuieraient des fois sur des accords opaques en échange de concessions minières.

L’armée congolaise est historiquement équipée et formée par des partenaires occidentaux et chinois. Une intégration de matériel et de doctrine militaire russes impliquerait une refonte logistique et stratégique de grande ampleur, rendant cette transition complexe et plus coûteuse.

Par ailleurs, l’Occident face à l’émergence de nouveaux acteurs et dans cette dynamique géopolitique mondiale, l’Europe se trouve dans une position de recul, notamment en ce qui concerne la redistribution des ressources et l’influence économique en Afrique centrale. Jadis acteur central du développement, particulièrement en République Démocratique du Congo, le Vieux Continent semble aujourd’hui à la traîne face à la montée en puissance de nouvelles stratégies chinoises et américaines.

Bien que toujours présente à travers quelques entreprises et investissements dans l’exploitation des ressources minières, l’Europe n’a pas su s’adapter aux nouvelles réalités économiques et géopolitiques. L'absence de vision stratégique cohérente, combinée à des investissements moins compétitifs et à des politiques parfois trop distantes des préoccupations locales, a réduit son impact. Contrairement à la Chine, qui capitalise sur des accords "minerais contre infrastructures" pour renforcer son influence, ou aux États-Unis, qui redéfinissent leur coopération à travers des initiatives comme le Partenariat pour la Sécurité des Minéraux (MSP), l’Europe n’a pas su se repositionner comme un acteur clé dans la redistribution des ressources naturelles en RDC.

Ce retrait de l’Europe dans la redistribution des ressources naturelles et l’affaiblissement de son rôle stratégique créent un vide dans lequel se sont insérés d’autres puissances, plus réactives et plus agressives dans leur approche. Ce recul de l’Europe ne se limite pas à une perte d’influence économique, mais également à un effacement progressif dans les domaines diplomatique et sécuritaire, laissant la place à des modèles plus flexibles et potentiellement plus controversés, comme ceux proposés par la Russie ou la Chine.

Un modèle d’ingérence controversé en Afrique 

Les récentes interventions russes en Centrafrique, au Mali et au Soudan montrent un schéma récurrent : l’envoi de mercenaires, comme ceux du groupe Wagner, en échange d’un accès préférentiel aux ressources naturelles. Cette approche, si elle s’est avérée efficace à court terme pour sécuriser certains régimes, pose néanmoins des problèmes structurels : abus contre les populations civiles, absence de contrôle de l’État sur les forces déployées, et instrumentalisation des conflits locaux à des fins géopolitiques.

Une coopération militaire avec la Russie pourrait donc générer un climat d’incertitude et d’opposition au sein même de l’armée congolaise, qui peine déjà à contenir les dynamiques internes de fragmentation, de trahison et de corruption.

L’introduction de la Russie dans l’équation sécuritaire de la région des Grands Lacs risquerait également d’aggraver les tensions avec les États voisins. Le Rwanda, soutien du

M23, entretient des liens étroits avec la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, et pourrait interpréter une coopération militaire entre Kinshasa et Moscou comme une menace directe.

D’autre part, la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), qui a déjà déployé une force régionale pour stabiliser l’Est de la RDC, pourrait voir cette initiative compromise par une présence russe perçue comme une interférence étrangère non concertée.

Un pragmatisme stratégique pour Tshisekedi 

Conscient des risques d’un alignement avec Moscou, le président Félix Tshisekedi privilégie une approche plus mesurée, combinant coopération avec l’ONU, via la MONUSCO, engagement avec les partenaires traditionnels et renforcement des capacités nationales. 

Dans cette logique, Kinshasa explore des alliances avec des pays africains disposant d’une expérience éprouvée en matière de lutte contre les insurrections, comme l’Angola et l’Afrique du Sud, tout en consolidant ses relations avec les grandes puissances économiques que sont les États-Unis et la Chine. 

En définitive, si la Russie cherche à renforcer sa présence en Afrique, la RDC ne peut se permettre de rompre l’équilibre fragile sur lequel repose sa stratégie sécuritaire et économique. La guerre à l’Est exige des réponses immédiates, mais toute alliance doit être évaluée à l’aune de ses implications géopolitiques globales. 

Félix Tshisekedi, en optant pour un positionnement pragmatique, évite ainsi les écueils d’une polarisation excessive dans la guerre froide moderne qui oppose l’Occident à Moscou. Reste à voir si cette approche permettra une stabilisation durable de la région, ou si la RDC sera contrainte de repenser son architecture sécuritaire face à l’évolution du conflit.

 

La RDC face aux réalités d’un basculement géopolitique : pourquoi Félix Tshisekedi ne peut pas s’aligner sur Moscou
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CONGO UNI, PAYS FORT !  LE SENTIMENT NATIONAL EN FORMATION

Cet article qui date d’avril 2015 (il y a dix ans) est toujours d’actualité au moment où certains se laissent bercer insidieusement par l’idée de balkanisation.

«Cent-trente ans (sic 2015) après la Conférence africaine de Berlin, le découpage territorial de l’espace national de la RDC en 26 entités voulu par la Constitution de la Troisième République nous amène à parler du sentiment national. La question se pose de savoir qu’est-ce qu’une nation ? Plusieurs esprits avisés craignent la balkanisation, l’éclatement de la République démocratique du Congo. Ce qui arrive aux autres peut nous arriver aussi. La balkanisation est suspendue sur nos têtes comme une épée de Damoclès.

Dans l’histoire, plusieurs pays ont connu un morcellement politique : la Pologne au 18ème siècle, l’empire ottoman au 19ème siècle, l’URSS et la Yougoslavie au 20ème siècle, le Soudan en ce début du 21ème siècle. La R.D.C. n’est plus en équilibre depuis une vingtaine d’années ? Le Congo passe pour être «un pays trop grand, mal administré », « un État qui ne contrôle plus depuis plusieurs années la partie orientale de son territoire».

Oui, qu’est-ce qu’une nation ? Ernest Renan nous propose une définition : toute nation est fondée sur un « vouloir vivre collectif » : « avoir fait ensemble des choses dans le passé et vouloir faire encore d’autres choses ensemble dans le futur ».

Si l’on adopte cette acception, il faut convenir qu’en 1884, le Congo n’était pas encore la nation en formation que nous connaissons aujourd’hui. Le Congo était une expression géographique qui renvoyait au royaume Kongo connu des étrangers depuis le 15ème siècle. Le Congo désignait le grand fleuve qui commence au Lualaba - un fleuve qu’on a pris pour le Nil - qui termine sa course après 32 cataractes à l’embouchure de l’Océan Atlantique, le Rio Poderoso.

Pendant qu’Henry Morton Stanley entreprenait sa traversée du Congo de l’Est à l’Ouest en 1001 jours, Léopold II jetait son dévolu sur cette partie de l’Afrique centrale à la Conférence Géographique de Bruxelles en 1876 après avoir échoué à établir des établissements belges en Chine, au Japon, aux îles Fidji, aux Nouvelles Hébrides, aux îles Salomon, aux Philippines, et en Éthiopie.

Les Congolais unis par le sort

Notre hymne national nous dit : « Debout Congolais, unis par le sort ». Comment nous sommes-nous retrouvés et unis dans cet espace que nous déclarons aujourd’hui sacré et intangible ? En marge de la Conférence de Berlin (1884-1885), les agents de Léopold II ont négocié avec la France et le Portugal les frontières de l’État Libre du Congo. Le Free State of Congo se décline comme Freetown (Sierra Leone), ou Libreville (Gabon) : la ville des hommes libres, qui ne sont pas des esclaves, l’État des hommes libres. Mais c’est la dénomination de l’État Indépendant du Congo qui va prédominer.

L’Association Internationale du Congo avait déjà reconnu à la France en avril 1884 le droit de préemption sur ses stations et ses territoires fondés au Congo ; elle a consenti en février 1885 à céder à la France le Niari-Kouilou moyennant une indemnisation pour l’équipement d’une vingtaine de stations de la vallée ; et pour cela, le gouvernement français accepta d’autoriser une loterie de 20 millions de francs. De son côté, la France a renoncé à réclamer la rive gauche du Pool laissée à l’A.I.C. Le site de Kinshasa - que la France revendiquait - était désormais acquis à Léopold II. La France a renoncé aussi à réclamer la rive droite du Congo de Manyanga jusqu’à Vivi. Elle se contenta d’un point situé au-dessus de Manyanga; la frontière, sur la côte, fut fixée à la rivière Shiloango.

Les négociations avec le Portugal furent plus ardues. Il a fallu un ultimatum de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France pour amener le Portugal à de meilleurs sentiments. Le Portugal revendiquait Banana comme partie du territoire de Cabinda, et les deux rives du Congo jusqu’à Noki. Et Léopold II menaçait de tout laisser tomber si son État n’avait pas d’accès à la mer.

Finalement, le gouvernement portugais a cédé à l’Association Internationale du Congo la rive droite du fleuve, de l’embouchure jusqu’à Vivi, et une quarantaine de km sur la côte. L’A.I.C. a laissé au Portugal les districts de Cabinda, Molembo et Landana, car la frontière nord-ouest avait été fixée au fleuve Shiloango.

Les frontières du nouvel État ont été établies provisoirement et arbitrairement en août 1885. Elles suivaient les cours d’eaux, les lignes de partage des eaux, les méridiens et les parallèles. Elles ont séparé différents peuples. Pour ne prendre que quelques exemples, les Bateke ont été partagés entre les deux Congo et le Gabon, les Bakongo partagés entre le Moyen Congo (Congo Brazzaville), le Kongo central et l’Angola, les Tshokwe et les Lunda partagés entre le Congo, l’Angola et la Rhodésie du Nord (Zambie), les Balamba et les Babemba partagés entre le Congo et la Rhodésie du Nord (Zambie), etc. Une identité nouvelle s’est ainsi formée avec les sujets de l’État Indépendant du Congo et du Congo belge hier, et les citoyens du Congo indépendant aujourd’hui.

Ces frontières ont évolué selon les conventions signées entre les différents pays lancés dans la course à l’occupation. Si l’État Indépendant du Congo a perdu en avril 1887 le triangle de Lukolela parce que les agents français ont confondu la Likouala avec l’Ubangi, Léopold II a fait un coup de force en mai 1891 en raflant aux Portugais le plateau du Lunda au Kwango. Par la suite, d’autres arrangements territoriaux ont été signés : en avril 1894, nouvelle frontière entre l’État Indépendant du Congo et la France concernant la frontière nord du côté de Mbomu; en mai 1910, protocole d’accord entre la Belgique, l’Allemagne et la Grande Bretagne pour fixer les tracés définitifs des frontières séparant leurs possessions dans la région des Grands Lacs; après la première guerre mondiale, le Congo a récupéré les territoires cédés à l’Allemagne en 1910 ; en mars 1927, accord entre la Belgique et la Grande Bretagne concernant la frontière entre le Congo belge et la Rhodésie du Nord; en juillet 1927, convention entre le Portugal et la Belgique concernant un échange de territoires entre le Congo belge et l’Angola portugais.

Signalons toutefois qu’en 1913, une année avant la première guerre mondiale, le Congo faillit être partagé entre l’Angleterre, la France et l’Allemagne qui avait déjà reçu de la France en 1911 ses deux antennes de la Lobaye et de la Sangha au Congo voisin. Les puissances européennes estimaient que le Congo était une charge trop lourde pour la petite Belgique.  La région de l’entre Lualaba-Congo, jusqu’à son confluent avec l’Ubangi  devait aller à l’Allemagne ; le Congo septentrional reviendrait à la France et la région nord-est  passerait à la Grande Bretagne. Cependant, la Belgique garderait un trognon du Congo. La Première guerre mondiale a mis fin à ce projet.

Pour occuper le territoire qui lui avait été reconnu par la Conférence de Berlin, Léopold II a créé la Force publique. A ses débuts, la Force publique ne se composait que d’éléments étrangers : « les volontaires de la côte », à savoir des Zanzibarites, des Haoussas, des Sierra-Léonais, des originaires du Libéria, d’Accra, d’Abyssinie (Ethiopie), de Somalie, d’Egypte, du Dahomey, du Sénégal.

Les premiers autochtones qui furent enrôlés dans la Force publique en 1886 étaient dix soldats Bangala engagés par Coquilhat, et envoyés à Boma pour y recevoir l’instruction militaire. Par la suite, divers petits contingents sont venus d’autres parties du territoire de l’E.I.C. Les soldats les plus estimés étaient ceux du Haut-Uélé, de l’Aruwimi, du Maniema, et du Lualaba-Kasaï. Ils recevaient leur instruction militaire dans les camps d’instruction érigés à Boma, Kinshasa, Equateur (1892), Zambi au Mayombe (1893), Bolobo (1895), Irebu (1895), Kasongo (1897), Umangi (1897), Lokandu (1912). Ces recrutements réduisirent progressivement et sensiblement le nombre des soldats étrangers : sur 14.000 soldats en 1897, 12.000 étaient des Congolais, et 2.000 provenaient d’ailleurs.

Le brassage pratiqué à la Force publique a mis en contact des Congolais de diverses origines ethniques. Ils n’étaient plus limités par leur horizon ethnique ; ils ne parlaient plus que la langue de l’armée - le bobangi, puis le lingala - et ils ont tenté des soulèvements militaires à quatre occasions pour manifester leur mécontentement contre les mauvais traitements qui leur étaient infligés : en 1895, 1897, 1900 et 1944.

Pour former les soldats, pour former les artisans et le petit personnel administratif dont l’État et la société avaient besoin, des colonies scolaires furent créées à Boma, la capitale, en 1890 et en 1892 à Nouvelle Anvers. Ce réseau scolaire fut complété par l’École des Gradés comptables à Boma en 1897, et l’École des Candidats-commis à Boma en 1906. Des écoles professionnelles furent essaimées dans le pays à partir de 1906. La Belgique privilégiait l’enseignement de masse. La pyramide scolaire présentait une base très élargie et un sommet effilé.

L’enseignement a débuté avec les enfants libérés de l’esclavage, les enfants abandonnés ou orphelins placés sous la tutelle de l’État selon le décret du 12 juillet 1890. A Léopoldville (Kinshasa), le Père Raphaël de la Kéthulle de Ryhove courrait derrière les enfants de rue pour les amener à l’école. Jean Bolikango, le moniteur qui a dispensé les premiers rudiments d’instruction à une pléiade de notabilités, parmi lesquelles Adoula, Ileo, Malula, Massa, Moke, Mongita, Nkuli, Zangabie, révèle qu’il s’est décidé d’entrer à l’école parce que l’un de ses amis avait tracé sur le sable les lettres de son nom qu’il n’avait pas su déchiffrer.

L’enseignement a permis aux Congolais de prendre conscience des enjeux du monde. Au Congo, il a produit en 1917 l’abbé Stefano Kaoze, le premier prêtre de la seconde évangélisation. Le premier universitaire congolais, Panda Farnana, a fait des études supérieures à l’École supérieure d’agriculture tropicale de Nogent-sur-Marne en France (1907-1908) et à l’École commerciale et consulaire de Mons en Belgique parce qu’il avait été emmené en Belgique par un officier qui s’est soucié de sa scolarité. Après la Première Guerre mondiale, Panda a créé en novembre 1919 en Belgique une association, ou une mutuelle dénommée, l’Union Congolaise, « une société de secours et de développement moral et intellectuel de la race congolaise ». Cette association ne pouvait pas encore être un parti politique. Mais son programme pouvait être résumé par un slogan : « Le Congo aux Congolais ». Panda Farnana se fixait plusieurs objectifs : la suppression du travail forcé, la condamnation des mauvais traitements et des privations infligés aux prisonniers, l’amélioration rapide du niveau intellectuel de ses compatriotes par l’extension de l’enseignement, l’augmentation des salaires au Congo, la participation des Congolais à la gestion des affaires publiques, l’élection des Congolais devant siéger et délibérer au Conseil général du gouvernement et au Conseil colonial, et la fin de la colonisation. Le premier docteur à thèse est un religieux, un membre de la Congrégation des Frères des Écoles Chrétiennes ; François Zuza, de son nom de religion Frère Clément-Marie, a été proclamé en juillet 1947 docteur en sciences pédagogiques de l’université de Louvain.

Les Congolais unis dans l’effort pour l’indépendance

Comme nous venons de le voir, les peuples qui vivent dans l’espace « RDC » ont déjà 130 ans ( sic en 2015 ) de vie commune dans des frontières héritées du roi Léopold II. Les 450 ethnies de la RDC ont une histoire commune déjà riche en événements ; celle-ci a déjà ses héros entrés dans le jeune panthéon national. Le rayonnement du prophète Simon Kimbangu qui a parlé de la libération de l’homme noir, et qui est mort au Katanga après trente ans d’emprisonnement dépasse sa région d’origine. Le combat de Paul Panda Farnana, premier nationaliste congolais dans les années vingt, mérite d’être mieux connu. Patrice Lumumba a laissé un testament dans lequel il exprime sa conviction que ses compatriotes sauront défendre le Congo comme il s’est offert en sacrifice. Joseph Kasa-Vubu, sur son lit de mort, a insisté lui aussi sur la sauvegarde de l’indépendance nationale. Au plus fort de la lutte contre le mouvement insurrectionnel dénommé « rébellion », Joseph Désiré Mobutu s’est déclaré prêt à s’allier même avec le Diable pour l’unité du Congo. Laurent Désiré Kabila a invité les Congolais à ne pas trahir le Congo. Les revers et les moments douloureux sont partagés par toute la communauté : les mains coupées de la période léopoldienne, les martyrs du 4 janvier, les massacres de Makobola et Kasika, les six millions de morts de la guerre de l’est, etc.

Dans le passé, les R.D. Congolais ont fait ensemble certaines actions qui les unissent. La Force publique s’est illustrée militairement pendant les deux guerres mondiales à Kato, Mahenge et Tabora, à Assosa et Gambela, en Birmanie et à Madagascar. En politique, les Congolais se sont unis pour la conquête de l’indépendance en 1959-1960. Le Front commun des leaders congolais à la Table Ronde politique a forcé le cours des événements et accéléré l’accession à l’indépendance. Les Congolais se sont encore retrouvés dans la lutte contre la dictature et dans la Conférence Nationale Souveraine pour la relecture de l’histoire nationale.

Dans le domaine économique, la bataille du rail (Chemin de fer Matadi-Léopoldville) a connu la participation - non seulement des Congolais - mais aussi des recrutés de la côte occidentale d’Afrique, des travailleurs noirs venus des Antilles et des Chinois de Macao. « Sans chemin de fer, le Congo ne vaut pas un penny » assurait Stanley. L’aventure de Changa Changa (Union Minière du Haut Katanga - Gécamines) a drainé des populations du Kasaï, car le district du Lomami a fait partie de la province du Katanga pendant de nombreuses années. L’épopée d’Inga appartient à tous les peuples de la République démocratique du Congo.

Dans le domaine culturel, on parle de la « rumba congolaise » et l’on englobe sous ce vocable quatre générations de musiciens d’Antoine Wendo Kolossoy aux artistes de Wenge Musica. Sur le plan religieux, l’Église catholique réalise l’unité dans la diversité avec les chants entonnés dans les quatre langues nationales pendant les offices ; les bienheureux Anuarite de la Province orientale et Bakandja de la Province de l’Équateur sont invoqués par tous les catholiques du pays. Les exploits sportifs des équipes congolaises enflamment leurs compatriotes depuis la période coloniale. La prestation des Lions en Belgique avait été très suivie en 1957.

Les partis politiques et les nombreuses associations culturelles, professionnelles et syndicales ont pris l’habitude de brasser des Congolais provenant de divers groupes ethniques. On ne s’étonne plus d’entendre qu’un Muyombe de Boma est élu député national au Nord-Kivu (Konde Vila Kikanda à Goma), qu’un ressortissant de Bulungu est élu député national à Lubumbashi (Takizala). Dans les centres urbains, la solidarité nationale s’est accrue avec les mariages de conjoints provenant de régions différentes. Le cardinal Malula (Ngalula) est de père luba et de mère mongo. Franco Luambo Makiadi est de mère kongo et de père tetela. Paul Lomami Tchibamba est de père lulua et de mère centrafricaine. Elikia M’Bokolo est de père ntomba (Maï-Ndombe) et de mère songye (Lusambo). Didier Mumengi est de père mubunda et de mère songye. La liste des célébrités pourrait être allongée.

Ajoutons un dernier élément dont on ne se rend surtout compte qu’à l’étranger. Les Congolais se caractérisent par leur way of life, leur mode de vie : le sens de la débrouillardise (le fameux article 15), le sens de la fierté et les sapes qui les distinguent des autres Africains.

Les Congolais et leur volonté de faire ensemble d’autres choses dans le futur

Le destin national du Congo a été proclamé par plusieurs Congolais bien avant l’indépendance. Dans le manifeste de Conscience Africaine publié en juin 1956, les promoteurs étaient convaincus que le Congo était « appelé à devenir, au centre du continent africain, une grande nation ». Cette foi était partagée par l’abbé Vincent Mulago qui se préoccupait aussi de « faire du Congo une grande nation, un État puissant au centre de l’Afrique ». Philippe et Thomas Kanza, Mathieu Ekatou, tous les trois journalistes et copropriétaires de Congo, « le premier hebdomadaire indépendant dirigé uniquement par des Noirs » insistaient en 1957 sur l’identité nationale dans les éditoriaux : « Bakongo, Bangala, Baluba sont nos prénoms. Congolais est notre nom ».

Après les indépendances, des visionnaires africains ont projeté aussi leurs idées sur l’avenir du Congo. Dès 1960, dans les fondements culturels, techniques et industriels d’un futur État fédéral d’Afrique Noire, l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop réserve une place de choix au bassin du Congo « appelé à devenir la première région industrielle de l’Afrique, le centre principal de notre industrie lourde ». Cette vocation africaine du bassin du Congo se justifie pour lui, par l’abondance de l’électricité d’origine hydraulique et des métaux non ferreux. Le fleuve Congo, deuxième fleuve du monde par le volume de son débit, recèle à lui seul plus de 600 milliards de Kwh de réserves annuelles, représentant les deux tiers de la production mondiale en 1960. Si le problème du transport de l’énergie électrique sous forme de tension continue était complètement résolu, l’équipement du bassin du Congo permettrait de ravitailler tout le continent noir en électricité.

Vingt-cinq ans plus tard, le Togolais Eden Kodjo, auteur de Et demain l’Afrique, se demandait si le Zaïre (Congo) ne pourrait pas jouer un rôle comparable à celui de la Prusse en Allemagne au 19ème siècle afin de favoriser le développement des pays de l’Afrique centrale.

Pastichant le titre d’un best-seller d’Alain Peyrefitte intitulé « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera », paru au lendemain du premier séjour en République Populaire de Chine de l’homme politique français, l’historien franco-guinéen Ibrahima Baba Kake écrivait dans la Semaine, n° 4 du 2 décembre 1988, après son premier voyage à Kinshasa et sa découverte du Zaïre (R.D. Congo) : « Quand le Zaïre s’éveillera, il étonnera le monde ».

L’article d’Ibrahima Kake était une plaidoirie, un témoignage enthousiaste, une profession de foi pour notre pays : « Je fais le pari qu’il sera une des grandes nations mondiales du 3ème millénaire » disait-il. L’argumentation de Kake tenait en cinq points :

  • l’unité nationale semble plus avancée au Zaïre (RDC) que partout ailleurs en Afrique ;
  • la formation des hommes est impressionnante, et ce pays dispose de cadres de haut niveau dans tous les secteurs ;
  • le peuple zaïrois (congolais) est un des peuples les plus dynamiques et les plus inventifs du continent africain, un peuple de créateurs, d’artistes et de poètes ;
  • le régime politique zaïrois (de Mobutu) est, pour lui, beaucoup moins autoritaire que celui d’autres pays africains ;
  • l’authenticité mérite une meilleure illustration.

Ibrahima Kake formait le vœu que le Zaïre (R.D.C.) serve d’exemple en matière de construction d’une véritable nation. Interrogeons-nous à présent sur les conditions nécessaires à l’intégration nationale d’un État fédéral qui est à l’ordre du jour.

La première condition est la volonté des populations de vivre ensemble. Le Pouvoir doit encourager la cohabitation des populations et atténuer les tensions larvées : les Kasaïens au Katanga, les Luba, les Luluwa et les Tetela à Kananga, les Bangala, les Bayaka, les Basuku, les Bateke et les Bakongo à Kinshasa, les Mongo et les Ngombe à Mbandaka, les Bashi et les Warega à Bukavu, etc.

La deuxième condition est la préservation de l’intégrité territoriale. Les frontières nationales reconnues à la date de l’indépendance doivent être défendues. Jusqu’à quand tiendra l’intangibilité des frontières ? Certains auteurs, comme Bernard Lugan, plaident pour un redécoupage et un remodelage de l’Afrique en général, et de la RDC en particulier.

La troisième condition est l’aménagement des limites intérieures séparant les provinces afin de résorber « les territoires contestés ». Sans doute sera-t-il nécessaire d’organiser, par endroits, des référendums pour recueillir l’avis des populations.

La quatrième condition est l’ouverture des 26 provinces. La loi doit reconnaître aux citoyens qui le désirent le droit de rester dans la province de leur choix, d’y faire souche, d’y entreprendre des activités économiques, et d’y exercer les fonctions politiques les plus hautes, même s'ils n’appartiennent pas aux groupes ethniques de la Province. Faudrait-il, pour y arriver, que les origines ne soient plus marquées sur les cartes d’identité ?

La cinquième condition est l’instauration de la démocratie dans les nouvelles provinces. Il faut éviter que l’oligarchie des dinosaures qui se sont constitué des puissances d’argent sur le plan national ne se retrouve à la tête des Provinces et n’y confisque, en petits potentats, le pouvoir au détriment du peuple.

La sixième et dernière condition nécessaire à l’intégration nationale est l’exploitation de la diversité économique et culturelle des régions. Cette diversité est en soi une richesse nationale. Les Pouvoirs publics doivent travailler à faire des diverses parties de la RDC des zones économiquement complémentaires les unes des autres. Ainsi sera réalisée une économie équilibrée et intégrée qui saura tirer profit de la variété climatique et géologique du pays.

Certes, la nation congolaise n’existe pas encore vraiment. Mais la nation congolaise est en construction, elle est en formation. Pour preuve, la résistance opposée aux manœuvres de balkanisation.

Mais les velléités séparatistes ne sont pas complètement écartées. Le Katanga n’en finit pas de ruminer le ressentiment des « Batoto ya mama » contre les non-originaires, particulièrement contre les Kasaïens. La frustration des Katangais date de décembre 1957 lorsqu’ils ont perdu les élections communales gagnées par les non-originaires. Les Katangais se sont alors convaincu que leur région minière était une vache à lait exploitée par les autres. Que ce soit en matière de scolarité ou d’emploi, ils souffraient désavantageusement de la comparaison avec les Kasaïens dans leur propre région. Les Kasaïens, victimes de l’épuration ethnique et du pogrom au Katanga en 1992, méditent sur cette deuxième expulsion de la région survenue plus de trente ans après la première expulsion. Beaucoup d’entre eux étaient partis au Katanga sans esprit de retour. Le district du Lomami faisait partie de la province du Katanga de 1910 à 1933. Beaucoup de jeunes y sont nés, et ne connaissent le Kasaï qu’à travers les récits de leurs parents.

En juin 1960, plusieurs partis qui appréhendaient de ne pas se retrouver au pouvoir usèrent du chantage à l’autonomie, voire à la sécession lors de l’élection du chef de l’État disputée entre l’Alliance des Bakongo (ABAKO) et le Parti de l’Unité Nationale (PUNA), et lors de la formation du gouvernement Lumumba et des gouvernements provinciaux. Tels, l’Alliance des Bayanzi (ABAZI) et le Rassemblement Démocratique du Lac Léopold II et du Kwango-Kwilu (R.D.L.K.) dans la province de Léopoldville, l’Union des Mongo (UNIMO) dans la province de l’Equateur, les conseillers provinciaux du Maniema au Kivu, le Mouvement National Congolais tendance Kalonji au Kasaï, l’Association des Baluba du Katanga (BALUBAKAT) au Katanga. La province orientale ne fut pas à l’abri de ces velléités de sécession puisque le député Dericoyard du Parti National du Progrès (P.N.P.) menaça le 23 juin 1960 à la Chambre des Représentants de reconstituer l’empire zande.

« Congo uni, pays fort ! » était un slogan courant à la veille de l’indépendance. C’est dire qu’un Congo balkanisé et diminué n’aura plus la chance de peser sur l’échiquier africain et mondial. L’intérêt actuel de la RDC dans le monde tient à ses potentialités, à sa superficie, à sa population et à sa situation géographique. Le fédéralisme bien compris n’implique pas la balkanisation de la République démocratique du Congo, mais l’intégration nationale dont nous avons essayé de circonscrire les conditions nécessaires.

Jean-Marie Mutamba Makombo

Professeur émérite / Université de Kinshasa

CONGO UNI, PAYS FORT !  LE SENTIMENT NATIONAL EN FORMATION
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