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La RDC face aux réalités d’un basculement géopolitique : pourquoi Félix Tshisekedi ne peut pas s’aligner sur Moscou

(Par Nico Minga, Economiste, auteur et géostratège)

L’Est de la République Démocratique du Congo demeure une poudrière géopolitique où s’entrecroisent les intérêts de puissances régionales et internationales. Dans un contexte de tensions exacerbées par l’activisme du M23 et l’agression rwandaise, une question se pose avec acuité dans tous les cercles de réflexion : pourquoi le président Félix Tshisekedi ne pourrait-il pas faire appel à la Russie pour stabiliser cette région stratégique ?

Un jeu d’alliances qui restreint les marges de manœuvre

Historiquement, la RDC s’est inscrite dans un axe de coopération avec les puissances occidentales. Les États-Unis, la France et l’Union européenne demeurent les principaux partenaires du pays sur le plan diplomatique et économique. Un basculement vers la Russie, dans le contexte actuel de guerre en Ukraine et d’alignements forcés, serait perçu comme une provocation susceptible d’entraîner des sanctions économiques et un isolement diplomatique.

L’administration américaine, qui a fait de la stabilisation des Grands Lacs une priorité stratégique, ne tolérerait pas un tel rapprochement. De même, l’Union européenne, principal bailleur de fonds en matière d’aide au développement et de programmes d’infrastructure, pourrait revoir son engagement en RDC si Kinshasa venait à opter pour une coopération militaire avec Moscou.

Rappelons que les relations entre la RDC et la Russie ont toujours été complexes et elles remontent à l’ère soviétique. Pendant la guerre froide, l’URSS a soutenu certains mouvements révolutionnaires en Afrique, mais la relation avec le Congo ex-Zaïre fut ambivalente. Mobutu, qui dirigea le pays de 1965 à 1997, était un allié clé des États-Unis, fermement ancré dans le camp occidental contre l’influence soviétique. L’Union Soviétique a pourtant tenté d’établir des alliances à travers des formations militaires et des coopérations discrètes, mais sans succès durable en raison de l’alignement pro-occidental du régime de Mobutu.

Après la chute du régime de Mobutu, la RDC n’a jamais véritablement développé de liens stratégiques solides avec la Russie post-soviétique. Depuis l’accession au pouvoir de Félix Tshisekedi, les interactions avec Moscou sont restées limitées, malgré quelques échanges diplomatiques. Ainsi, il n’existe pas d’antécédents historiques favorisant une alliance militaire entre la RDC et la Russie, contrairement à d’autres pays africains comme l’Angola ou l’Algérie, qui ont bénéficié d’un soutien plus structuré de l’URSS.

L’influence économique et militaire occidentale comme verrou stratégique

La RDC reste un pays économiquement dépendant des institutions financières internationales telles que le FMI et la Banque mondiale, dont les décisions sont largement influencées par Washington et Bruxelles. Ces organismes conditionnent leur soutien à des engagements en faveur de la stabilité macroéconomique et de la gouvernance démocratique, des principes peu compatibles avec certaines méthodes d’intervention russes, qui s’appuieraient des fois sur des accords opaques en échange de concessions minières.

L’armée congolaise est historiquement équipée et formée par des partenaires occidentaux et chinois. Une intégration de matériel et de doctrine militaire russes impliquerait une refonte logistique et stratégique de grande ampleur, rendant cette transition complexe et plus coûteuse.

Par ailleurs, l’Occident face à l’émergence de nouveaux acteurs et dans cette dynamique géopolitique mondiale, l’Europe se trouve dans une position de recul, notamment en ce qui concerne la redistribution des ressources et l’influence économique en Afrique centrale. Jadis acteur central du développement, particulièrement en République Démocratique du Congo, le Vieux Continent semble aujourd’hui à la traîne face à la montée en puissance de nouvelles stratégies chinoises et américaines.

Bien que toujours présente à travers quelques entreprises et investissements dans l’exploitation des ressources minières, l’Europe n’a pas su s’adapter aux nouvelles réalités économiques et géopolitiques. L'absence de vision stratégique cohérente, combinée à des investissements moins compétitifs et à des politiques parfois trop distantes des préoccupations locales, a réduit son impact. Contrairement à la Chine, qui capitalise sur des accords "minerais contre infrastructures" pour renforcer son influence, ou aux États-Unis, qui redéfinissent leur coopération à travers des initiatives comme le Partenariat pour la Sécurité des Minéraux (MSP), l’Europe n’a pas su se repositionner comme un acteur clé dans la redistribution des ressources naturelles en RDC.

Ce retrait de l’Europe dans la redistribution des ressources naturelles et l’affaiblissement de son rôle stratégique créent un vide dans lequel se sont insérés d’autres puissances, plus réactives et plus agressives dans leur approche. Ce recul de l’Europe ne se limite pas à une perte d’influence économique, mais également à un effacement progressif dans les domaines diplomatique et sécuritaire, laissant la place à des modèles plus flexibles et potentiellement plus controversés, comme ceux proposés par la Russie ou la Chine.

Un modèle d’ingérence controversé en Afrique 

Les récentes interventions russes en Centrafrique, au Mali et au Soudan montrent un schéma récurrent : l’envoi de mercenaires, comme ceux du groupe Wagner, en échange d’un accès préférentiel aux ressources naturelles. Cette approche, si elle s’est avérée efficace à court terme pour sécuriser certains régimes, pose néanmoins des problèmes structurels : abus contre les populations civiles, absence de contrôle de l’État sur les forces déployées, et instrumentalisation des conflits locaux à des fins géopolitiques.

Une coopération militaire avec la Russie pourrait donc générer un climat d’incertitude et d’opposition au sein même de l’armée congolaise, qui peine déjà à contenir les dynamiques internes de fragmentation, de trahison et de corruption.

L’introduction de la Russie dans l’équation sécuritaire de la région des Grands Lacs risquerait également d’aggraver les tensions avec les États voisins. Le Rwanda, soutien du

M23, entretient des liens étroits avec la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, et pourrait interpréter une coopération militaire entre Kinshasa et Moscou comme une menace directe.

D’autre part, la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), qui a déjà déployé une force régionale pour stabiliser l’Est de la RDC, pourrait voir cette initiative compromise par une présence russe perçue comme une interférence étrangère non concertée.

Un pragmatisme stratégique pour Tshisekedi 

Conscient des risques d’un alignement avec Moscou, le président Félix Tshisekedi privilégie une approche plus mesurée, combinant coopération avec l’ONU, via la MONUSCO, engagement avec les partenaires traditionnels et renforcement des capacités nationales. 

Dans cette logique, Kinshasa explore des alliances avec des pays africains disposant d’une expérience éprouvée en matière de lutte contre les insurrections, comme l’Angola et l’Afrique du Sud, tout en consolidant ses relations avec les grandes puissances économiques que sont les États-Unis et la Chine. 

En définitive, si la Russie cherche à renforcer sa présence en Afrique, la RDC ne peut se permettre de rompre l’équilibre fragile sur lequel repose sa stratégie sécuritaire et économique. La guerre à l’Est exige des réponses immédiates, mais toute alliance doit être évaluée à l’aune de ses implications géopolitiques globales. 

Félix Tshisekedi, en optant pour un positionnement pragmatique, évite ainsi les écueils d’une polarisation excessive dans la guerre froide moderne qui oppose l’Occident à Moscou. Reste à voir si cette approche permettra une stabilisation durable de la région, ou si la RDC sera contrainte de repenser son architecture sécuritaire face à l’évolution du conflit.

 

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CONGO UNI, PAYS FORT !  LE SENTIMENT NATIONAL EN FORMATION

Cet article qui date d’avril 2015 (il y a dix ans) est toujours d’actualité au moment où certains se laissent bercer insidieusement par l’idée de balkanisation.

«Cent-trente ans (sic 2015) après la Conférence africaine de Berlin, le découpage territorial de l’espace national de la RDC en 26 entités voulu par la Constitution de la Troisième République nous amène à parler du sentiment national. La question se pose de savoir qu’est-ce qu’une nation ? Plusieurs esprits avisés craignent la balkanisation, l’éclatement de la République démocratique du Congo. Ce qui arrive aux autres peut nous arriver aussi. La balkanisation est suspendue sur nos têtes comme une épée de Damoclès.

Dans l’histoire, plusieurs pays ont connu un morcellement politique : la Pologne au 18ème siècle, l’empire ottoman au 19ème siècle, l’URSS et la Yougoslavie au 20ème siècle, le Soudan en ce début du 21ème siècle. La R.D.C. n’est plus en équilibre depuis une vingtaine d’années ? Le Congo passe pour être «un pays trop grand, mal administré », « un État qui ne contrôle plus depuis plusieurs années la partie orientale de son territoire».

Oui, qu’est-ce qu’une nation ? Ernest Renan nous propose une définition : toute nation est fondée sur un « vouloir vivre collectif » : « avoir fait ensemble des choses dans le passé et vouloir faire encore d’autres choses ensemble dans le futur ».

Si l’on adopte cette acception, il faut convenir qu’en 1884, le Congo n’était pas encore la nation en formation que nous connaissons aujourd’hui. Le Congo était une expression géographique qui renvoyait au royaume Kongo connu des étrangers depuis le 15ème siècle. Le Congo désignait le grand fleuve qui commence au Lualaba - un fleuve qu’on a pris pour le Nil - qui termine sa course après 32 cataractes à l’embouchure de l’Océan Atlantique, le Rio Poderoso.

Pendant qu’Henry Morton Stanley entreprenait sa traversée du Congo de l’Est à l’Ouest en 1001 jours, Léopold II jetait son dévolu sur cette partie de l’Afrique centrale à la Conférence Géographique de Bruxelles en 1876 après avoir échoué à établir des établissements belges en Chine, au Japon, aux îles Fidji, aux Nouvelles Hébrides, aux îles Salomon, aux Philippines, et en Éthiopie.

Les Congolais unis par le sort

Notre hymne national nous dit : « Debout Congolais, unis par le sort ». Comment nous sommes-nous retrouvés et unis dans cet espace que nous déclarons aujourd’hui sacré et intangible ? En marge de la Conférence de Berlin (1884-1885), les agents de Léopold II ont négocié avec la France et le Portugal les frontières de l’État Libre du Congo. Le Free State of Congo se décline comme Freetown (Sierra Leone), ou Libreville (Gabon) : la ville des hommes libres, qui ne sont pas des esclaves, l’État des hommes libres. Mais c’est la dénomination de l’État Indépendant du Congo qui va prédominer.

L’Association Internationale du Congo avait déjà reconnu à la France en avril 1884 le droit de préemption sur ses stations et ses territoires fondés au Congo ; elle a consenti en février 1885 à céder à la France le Niari-Kouilou moyennant une indemnisation pour l’équipement d’une vingtaine de stations de la vallée ; et pour cela, le gouvernement français accepta d’autoriser une loterie de 20 millions de francs. De son côté, la France a renoncé à réclamer la rive gauche du Pool laissée à l’A.I.C. Le site de Kinshasa - que la France revendiquait - était désormais acquis à Léopold II. La France a renoncé aussi à réclamer la rive droite du Congo de Manyanga jusqu’à Vivi. Elle se contenta d’un point situé au-dessus de Manyanga; la frontière, sur la côte, fut fixée à la rivière Shiloango.

Les négociations avec le Portugal furent plus ardues. Il a fallu un ultimatum de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France pour amener le Portugal à de meilleurs sentiments. Le Portugal revendiquait Banana comme partie du territoire de Cabinda, et les deux rives du Congo jusqu’à Noki. Et Léopold II menaçait de tout laisser tomber si son État n’avait pas d’accès à la mer.

Finalement, le gouvernement portugais a cédé à l’Association Internationale du Congo la rive droite du fleuve, de l’embouchure jusqu’à Vivi, et une quarantaine de km sur la côte. L’A.I.C. a laissé au Portugal les districts de Cabinda, Molembo et Landana, car la frontière nord-ouest avait été fixée au fleuve Shiloango.

Les frontières du nouvel État ont été établies provisoirement et arbitrairement en août 1885. Elles suivaient les cours d’eaux, les lignes de partage des eaux, les méridiens et les parallèles. Elles ont séparé différents peuples. Pour ne prendre que quelques exemples, les Bateke ont été partagés entre les deux Congo et le Gabon, les Bakongo partagés entre le Moyen Congo (Congo Brazzaville), le Kongo central et l’Angola, les Tshokwe et les Lunda partagés entre le Congo, l’Angola et la Rhodésie du Nord (Zambie), les Balamba et les Babemba partagés entre le Congo et la Rhodésie du Nord (Zambie), etc. Une identité nouvelle s’est ainsi formée avec les sujets de l’État Indépendant du Congo et du Congo belge hier, et les citoyens du Congo indépendant aujourd’hui.

Ces frontières ont évolué selon les conventions signées entre les différents pays lancés dans la course à l’occupation. Si l’État Indépendant du Congo a perdu en avril 1887 le triangle de Lukolela parce que les agents français ont confondu la Likouala avec l’Ubangi, Léopold II a fait un coup de force en mai 1891 en raflant aux Portugais le plateau du Lunda au Kwango. Par la suite, d’autres arrangements territoriaux ont été signés : en avril 1894, nouvelle frontière entre l’État Indépendant du Congo et la France concernant la frontière nord du côté de Mbomu; en mai 1910, protocole d’accord entre la Belgique, l’Allemagne et la Grande Bretagne pour fixer les tracés définitifs des frontières séparant leurs possessions dans la région des Grands Lacs; après la première guerre mondiale, le Congo a récupéré les territoires cédés à l’Allemagne en 1910 ; en mars 1927, accord entre la Belgique et la Grande Bretagne concernant la frontière entre le Congo belge et la Rhodésie du Nord; en juillet 1927, convention entre le Portugal et la Belgique concernant un échange de territoires entre le Congo belge et l’Angola portugais.

Signalons toutefois qu’en 1913, une année avant la première guerre mondiale, le Congo faillit être partagé entre l’Angleterre, la France et l’Allemagne qui avait déjà reçu de la France en 1911 ses deux antennes de la Lobaye et de la Sangha au Congo voisin. Les puissances européennes estimaient que le Congo était une charge trop lourde pour la petite Belgique.  La région de l’entre Lualaba-Congo, jusqu’à son confluent avec l’Ubangi  devait aller à l’Allemagne ; le Congo septentrional reviendrait à la France et la région nord-est  passerait à la Grande Bretagne. Cependant, la Belgique garderait un trognon du Congo. La Première guerre mondiale a mis fin à ce projet.

Pour occuper le territoire qui lui avait été reconnu par la Conférence de Berlin, Léopold II a créé la Force publique. A ses débuts, la Force publique ne se composait que d’éléments étrangers : « les volontaires de la côte », à savoir des Zanzibarites, des Haoussas, des Sierra-Léonais, des originaires du Libéria, d’Accra, d’Abyssinie (Ethiopie), de Somalie, d’Egypte, du Dahomey, du Sénégal.

Les premiers autochtones qui furent enrôlés dans la Force publique en 1886 étaient dix soldats Bangala engagés par Coquilhat, et envoyés à Boma pour y recevoir l’instruction militaire. Par la suite, divers petits contingents sont venus d’autres parties du territoire de l’E.I.C. Les soldats les plus estimés étaient ceux du Haut-Uélé, de l’Aruwimi, du Maniema, et du Lualaba-Kasaï. Ils recevaient leur instruction militaire dans les camps d’instruction érigés à Boma, Kinshasa, Equateur (1892), Zambi au Mayombe (1893), Bolobo (1895), Irebu (1895), Kasongo (1897), Umangi (1897), Lokandu (1912). Ces recrutements réduisirent progressivement et sensiblement le nombre des soldats étrangers : sur 14.000 soldats en 1897, 12.000 étaient des Congolais, et 2.000 provenaient d’ailleurs.

Le brassage pratiqué à la Force publique a mis en contact des Congolais de diverses origines ethniques. Ils n’étaient plus limités par leur horizon ethnique ; ils ne parlaient plus que la langue de l’armée - le bobangi, puis le lingala - et ils ont tenté des soulèvements militaires à quatre occasions pour manifester leur mécontentement contre les mauvais traitements qui leur étaient infligés : en 1895, 1897, 1900 et 1944.

Pour former les soldats, pour former les artisans et le petit personnel administratif dont l’État et la société avaient besoin, des colonies scolaires furent créées à Boma, la capitale, en 1890 et en 1892 à Nouvelle Anvers. Ce réseau scolaire fut complété par l’École des Gradés comptables à Boma en 1897, et l’École des Candidats-commis à Boma en 1906. Des écoles professionnelles furent essaimées dans le pays à partir de 1906. La Belgique privilégiait l’enseignement de masse. La pyramide scolaire présentait une base très élargie et un sommet effilé.

L’enseignement a débuté avec les enfants libérés de l’esclavage, les enfants abandonnés ou orphelins placés sous la tutelle de l’État selon le décret du 12 juillet 1890. A Léopoldville (Kinshasa), le Père Raphaël de la Kéthulle de Ryhove courrait derrière les enfants de rue pour les amener à l’école. Jean Bolikango, le moniteur qui a dispensé les premiers rudiments d’instruction à une pléiade de notabilités, parmi lesquelles Adoula, Ileo, Malula, Massa, Moke, Mongita, Nkuli, Zangabie, révèle qu’il s’est décidé d’entrer à l’école parce que l’un de ses amis avait tracé sur le sable les lettres de son nom qu’il n’avait pas su déchiffrer.

L’enseignement a permis aux Congolais de prendre conscience des enjeux du monde. Au Congo, il a produit en 1917 l’abbé Stefano Kaoze, le premier prêtre de la seconde évangélisation. Le premier universitaire congolais, Panda Farnana, a fait des études supérieures à l’École supérieure d’agriculture tropicale de Nogent-sur-Marne en France (1907-1908) et à l’École commerciale et consulaire de Mons en Belgique parce qu’il avait été emmené en Belgique par un officier qui s’est soucié de sa scolarité. Après la Première Guerre mondiale, Panda a créé en novembre 1919 en Belgique une association, ou une mutuelle dénommée, l’Union Congolaise, « une société de secours et de développement moral et intellectuel de la race congolaise ». Cette association ne pouvait pas encore être un parti politique. Mais son programme pouvait être résumé par un slogan : « Le Congo aux Congolais ». Panda Farnana se fixait plusieurs objectifs : la suppression du travail forcé, la condamnation des mauvais traitements et des privations infligés aux prisonniers, l’amélioration rapide du niveau intellectuel de ses compatriotes par l’extension de l’enseignement, l’augmentation des salaires au Congo, la participation des Congolais à la gestion des affaires publiques, l’élection des Congolais devant siéger et délibérer au Conseil général du gouvernement et au Conseil colonial, et la fin de la colonisation. Le premier docteur à thèse est un religieux, un membre de la Congrégation des Frères des Écoles Chrétiennes ; François Zuza, de son nom de religion Frère Clément-Marie, a été proclamé en juillet 1947 docteur en sciences pédagogiques de l’université de Louvain.

Les Congolais unis dans l’effort pour l’indépendance

Comme nous venons de le voir, les peuples qui vivent dans l’espace « RDC » ont déjà 130 ans ( sic en 2015 ) de vie commune dans des frontières héritées du roi Léopold II. Les 450 ethnies de la RDC ont une histoire commune déjà riche en événements ; celle-ci a déjà ses héros entrés dans le jeune panthéon national. Le rayonnement du prophète Simon Kimbangu qui a parlé de la libération de l’homme noir, et qui est mort au Katanga après trente ans d’emprisonnement dépasse sa région d’origine. Le combat de Paul Panda Farnana, premier nationaliste congolais dans les années vingt, mérite d’être mieux connu. Patrice Lumumba a laissé un testament dans lequel il exprime sa conviction que ses compatriotes sauront défendre le Congo comme il s’est offert en sacrifice. Joseph Kasa-Vubu, sur son lit de mort, a insisté lui aussi sur la sauvegarde de l’indépendance nationale. Au plus fort de la lutte contre le mouvement insurrectionnel dénommé « rébellion », Joseph Désiré Mobutu s’est déclaré prêt à s’allier même avec le Diable pour l’unité du Congo. Laurent Désiré Kabila a invité les Congolais à ne pas trahir le Congo. Les revers et les moments douloureux sont partagés par toute la communauté : les mains coupées de la période léopoldienne, les martyrs du 4 janvier, les massacres de Makobola et Kasika, les six millions de morts de la guerre de l’est, etc.

Dans le passé, les R.D. Congolais ont fait ensemble certaines actions qui les unissent. La Force publique s’est illustrée militairement pendant les deux guerres mondiales à Kato, Mahenge et Tabora, à Assosa et Gambela, en Birmanie et à Madagascar. En politique, les Congolais se sont unis pour la conquête de l’indépendance en 1959-1960. Le Front commun des leaders congolais à la Table Ronde politique a forcé le cours des événements et accéléré l’accession à l’indépendance. Les Congolais se sont encore retrouvés dans la lutte contre la dictature et dans la Conférence Nationale Souveraine pour la relecture de l’histoire nationale.

Dans le domaine économique, la bataille du rail (Chemin de fer Matadi-Léopoldville) a connu la participation - non seulement des Congolais - mais aussi des recrutés de la côte occidentale d’Afrique, des travailleurs noirs venus des Antilles et des Chinois de Macao. « Sans chemin de fer, le Congo ne vaut pas un penny » assurait Stanley. L’aventure de Changa Changa (Union Minière du Haut Katanga - Gécamines) a drainé des populations du Kasaï, car le district du Lomami a fait partie de la province du Katanga pendant de nombreuses années. L’épopée d’Inga appartient à tous les peuples de la République démocratique du Congo.

Dans le domaine culturel, on parle de la « rumba congolaise » et l’on englobe sous ce vocable quatre générations de musiciens d’Antoine Wendo Kolossoy aux artistes de Wenge Musica. Sur le plan religieux, l’Église catholique réalise l’unité dans la diversité avec les chants entonnés dans les quatre langues nationales pendant les offices ; les bienheureux Anuarite de la Province orientale et Bakandja de la Province de l’Équateur sont invoqués par tous les catholiques du pays. Les exploits sportifs des équipes congolaises enflamment leurs compatriotes depuis la période coloniale. La prestation des Lions en Belgique avait été très suivie en 1957.

Les partis politiques et les nombreuses associations culturelles, professionnelles et syndicales ont pris l’habitude de brasser des Congolais provenant de divers groupes ethniques. On ne s’étonne plus d’entendre qu’un Muyombe de Boma est élu député national au Nord-Kivu (Konde Vila Kikanda à Goma), qu’un ressortissant de Bulungu est élu député national à Lubumbashi (Takizala). Dans les centres urbains, la solidarité nationale s’est accrue avec les mariages de conjoints provenant de régions différentes. Le cardinal Malula (Ngalula) est de père luba et de mère mongo. Franco Luambo Makiadi est de mère kongo et de père tetela. Paul Lomami Tchibamba est de père lulua et de mère centrafricaine. Elikia M’Bokolo est de père ntomba (Maï-Ndombe) et de mère songye (Lusambo). Didier Mumengi est de père mubunda et de mère songye. La liste des célébrités pourrait être allongée.

Ajoutons un dernier élément dont on ne se rend surtout compte qu’à l’étranger. Les Congolais se caractérisent par leur way of life, leur mode de vie : le sens de la débrouillardise (le fameux article 15), le sens de la fierté et les sapes qui les distinguent des autres Africains.

Les Congolais et leur volonté de faire ensemble d’autres choses dans le futur

Le destin national du Congo a été proclamé par plusieurs Congolais bien avant l’indépendance. Dans le manifeste de Conscience Africaine publié en juin 1956, les promoteurs étaient convaincus que le Congo était « appelé à devenir, au centre du continent africain, une grande nation ». Cette foi était partagée par l’abbé Vincent Mulago qui se préoccupait aussi de « faire du Congo une grande nation, un État puissant au centre de l’Afrique ». Philippe et Thomas Kanza, Mathieu Ekatou, tous les trois journalistes et copropriétaires de Congo, « le premier hebdomadaire indépendant dirigé uniquement par des Noirs » insistaient en 1957 sur l’identité nationale dans les éditoriaux : « Bakongo, Bangala, Baluba sont nos prénoms. Congolais est notre nom ».

Après les indépendances, des visionnaires africains ont projeté aussi leurs idées sur l’avenir du Congo. Dès 1960, dans les fondements culturels, techniques et industriels d’un futur État fédéral d’Afrique Noire, l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop réserve une place de choix au bassin du Congo « appelé à devenir la première région industrielle de l’Afrique, le centre principal de notre industrie lourde ». Cette vocation africaine du bassin du Congo se justifie pour lui, par l’abondance de l’électricité d’origine hydraulique et des métaux non ferreux. Le fleuve Congo, deuxième fleuve du monde par le volume de son débit, recèle à lui seul plus de 600 milliards de Kwh de réserves annuelles, représentant les deux tiers de la production mondiale en 1960. Si le problème du transport de l’énergie électrique sous forme de tension continue était complètement résolu, l’équipement du bassin du Congo permettrait de ravitailler tout le continent noir en électricité.

Vingt-cinq ans plus tard, le Togolais Eden Kodjo, auteur de Et demain l’Afrique, se demandait si le Zaïre (Congo) ne pourrait pas jouer un rôle comparable à celui de la Prusse en Allemagne au 19ème siècle afin de favoriser le développement des pays de l’Afrique centrale.

Pastichant le titre d’un best-seller d’Alain Peyrefitte intitulé « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera », paru au lendemain du premier séjour en République Populaire de Chine de l’homme politique français, l’historien franco-guinéen Ibrahima Baba Kake écrivait dans la Semaine, n° 4 du 2 décembre 1988, après son premier voyage à Kinshasa et sa découverte du Zaïre (R.D. Congo) : « Quand le Zaïre s’éveillera, il étonnera le monde ».

L’article d’Ibrahima Kake était une plaidoirie, un témoignage enthousiaste, une profession de foi pour notre pays : « Je fais le pari qu’il sera une des grandes nations mondiales du 3ème millénaire » disait-il. L’argumentation de Kake tenait en cinq points :

  • l’unité nationale semble plus avancée au Zaïre (RDC) que partout ailleurs en Afrique ;
  • la formation des hommes est impressionnante, et ce pays dispose de cadres de haut niveau dans tous les secteurs ;
  • le peuple zaïrois (congolais) est un des peuples les plus dynamiques et les plus inventifs du continent africain, un peuple de créateurs, d’artistes et de poètes ;
  • le régime politique zaïrois (de Mobutu) est, pour lui, beaucoup moins autoritaire que celui d’autres pays africains ;
  • l’authenticité mérite une meilleure illustration.

Ibrahima Kake formait le vœu que le Zaïre (R.D.C.) serve d’exemple en matière de construction d’une véritable nation. Interrogeons-nous à présent sur les conditions nécessaires à l’intégration nationale d’un État fédéral qui est à l’ordre du jour.

La première condition est la volonté des populations de vivre ensemble. Le Pouvoir doit encourager la cohabitation des populations et atténuer les tensions larvées : les Kasaïens au Katanga, les Luba, les Luluwa et les Tetela à Kananga, les Bangala, les Bayaka, les Basuku, les Bateke et les Bakongo à Kinshasa, les Mongo et les Ngombe à Mbandaka, les Bashi et les Warega à Bukavu, etc.

La deuxième condition est la préservation de l’intégrité territoriale. Les frontières nationales reconnues à la date de l’indépendance doivent être défendues. Jusqu’à quand tiendra l’intangibilité des frontières ? Certains auteurs, comme Bernard Lugan, plaident pour un redécoupage et un remodelage de l’Afrique en général, et de la RDC en particulier.

La troisième condition est l’aménagement des limites intérieures séparant les provinces afin de résorber « les territoires contestés ». Sans doute sera-t-il nécessaire d’organiser, par endroits, des référendums pour recueillir l’avis des populations.

La quatrième condition est l’ouverture des 26 provinces. La loi doit reconnaître aux citoyens qui le désirent le droit de rester dans la province de leur choix, d’y faire souche, d’y entreprendre des activités économiques, et d’y exercer les fonctions politiques les plus hautes, même s'ils n’appartiennent pas aux groupes ethniques de la Province. Faudrait-il, pour y arriver, que les origines ne soient plus marquées sur les cartes d’identité ?

La cinquième condition est l’instauration de la démocratie dans les nouvelles provinces. Il faut éviter que l’oligarchie des dinosaures qui se sont constitué des puissances d’argent sur le plan national ne se retrouve à la tête des Provinces et n’y confisque, en petits potentats, le pouvoir au détriment du peuple.

La sixième et dernière condition nécessaire à l’intégration nationale est l’exploitation de la diversité économique et culturelle des régions. Cette diversité est en soi une richesse nationale. Les Pouvoirs publics doivent travailler à faire des diverses parties de la RDC des zones économiquement complémentaires les unes des autres. Ainsi sera réalisée une économie équilibrée et intégrée qui saura tirer profit de la variété climatique et géologique du pays.

Certes, la nation congolaise n’existe pas encore vraiment. Mais la nation congolaise est en construction, elle est en formation. Pour preuve, la résistance opposée aux manœuvres de balkanisation.

Mais les velléités séparatistes ne sont pas complètement écartées. Le Katanga n’en finit pas de ruminer le ressentiment des « Batoto ya mama » contre les non-originaires, particulièrement contre les Kasaïens. La frustration des Katangais date de décembre 1957 lorsqu’ils ont perdu les élections communales gagnées par les non-originaires. Les Katangais se sont alors convaincu que leur région minière était une vache à lait exploitée par les autres. Que ce soit en matière de scolarité ou d’emploi, ils souffraient désavantageusement de la comparaison avec les Kasaïens dans leur propre région. Les Kasaïens, victimes de l’épuration ethnique et du pogrom au Katanga en 1992, méditent sur cette deuxième expulsion de la région survenue plus de trente ans après la première expulsion. Beaucoup d’entre eux étaient partis au Katanga sans esprit de retour. Le district du Lomami faisait partie de la province du Katanga de 1910 à 1933. Beaucoup de jeunes y sont nés, et ne connaissent le Kasaï qu’à travers les récits de leurs parents.

En juin 1960, plusieurs partis qui appréhendaient de ne pas se retrouver au pouvoir usèrent du chantage à l’autonomie, voire à la sécession lors de l’élection du chef de l’État disputée entre l’Alliance des Bakongo (ABAKO) et le Parti de l’Unité Nationale (PUNA), et lors de la formation du gouvernement Lumumba et des gouvernements provinciaux. Tels, l’Alliance des Bayanzi (ABAZI) et le Rassemblement Démocratique du Lac Léopold II et du Kwango-Kwilu (R.D.L.K.) dans la province de Léopoldville, l’Union des Mongo (UNIMO) dans la province de l’Equateur, les conseillers provinciaux du Maniema au Kivu, le Mouvement National Congolais tendance Kalonji au Kasaï, l’Association des Baluba du Katanga (BALUBAKAT) au Katanga. La province orientale ne fut pas à l’abri de ces velléités de sécession puisque le député Dericoyard du Parti National du Progrès (P.N.P.) menaça le 23 juin 1960 à la Chambre des Représentants de reconstituer l’empire zande.

« Congo uni, pays fort ! » était un slogan courant à la veille de l’indépendance. C’est dire qu’un Congo balkanisé et diminué n’aura plus la chance de peser sur l’échiquier africain et mondial. L’intérêt actuel de la RDC dans le monde tient à ses potentialités, à sa superficie, à sa population et à sa situation géographique. Le fédéralisme bien compris n’implique pas la balkanisation de la République démocratique du Congo, mais l’intégration nationale dont nous avons essayé de circonscrire les conditions nécessaires.

Jean-Marie Mutamba Makombo

Professeur émérite / Université de Kinshasa

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Quelle sera la place de la RDC dans le monde de demain ?

(Par Jean-Marie Mutamba Makombo, Professeur émérite à l’Université de Kinshasa)

*Nous empruntons délibérément ce titre à l'un de nos compatriotes qui mérite sa place dans le panthéon congolais : Paul Lomami Tshibamba. Il a formulé cette interrogation en janvier 1945 – vous avez bien lu – il y a plus de quatre-vingts ans. Il entendait alors revendiquer la place qui serait celle des "évolués" dans le futur Congo. Paul Lomami Tshibamba entendait dénoncer la discrimination raciale qui oppressait les Congolais dans la société coloniale. Pour avoir osé énoncer cette revendication, il fut fouetté tous les jours pendant trois semaines pour citer le nom du Blanc qui l'avait inspiré parce qu'un nègre ne pouvait pas tout seul penser à ces choses-là.

Cet article qui date de novembre 2005 (il y a 20 ans !) est toujours d’actualité au moment où certains se laissent bercer insidieusement par l’idée de balkanisation.

« Il y a trois mois et demi, la République Démocratique du Congo commémorait le quarante-cinquième anniversaire (sic) de son indépendance dans la méditation et une certaine effervescence. C'est tout dire. Alors que tous les espoirs étaient permis pour un avenir radieux le 30 juin 1960, quatre jours seulement plus tard, le pays allait s'engouffrer dans une longue et pénible crise, passant de Charybde à Scylla, de mutinerie en sécession, de sécession en rébellion, et finalement de la rébellion à la dictature. Tout comme l'expression "balkanisation" dérive des Balkans, l'on a commencé à parler de "congolisation" pour évoquer une situation de crise récurrente, embrouillée, entortillée.

Lorsque commence la période de Transition en 1990, on est bien loin de penser qu'elle durera au moins quinze ans, avec deux guerres à la clef, dont l'une a été qualifiée de "première guerre mondiale africaine" et a provoqué plus de quatre millions de morts et de nombreux réfugiés.

La crise continue sous différentes formes, et la République démocratique du Congo est portée à bout de bras par la communauté internationale. Même aujourd'hui les menaces de partition ne sont pas écartées totalement. Dans ces conditions, l'on peut se demander si la R.D.C peut jouer encore un rôle comme acteur international. Quel est son destin, quelle est sa vocation internationale ? Quelle sera notre place à nous, Congo et Congolais, dans le monde de demain ?

Eden Kodjo, ancien Secrétaire Général de l'OUA a écrit qu’« …il existe des constantes dans la politique des nations…Ce sont ces soubassements fondamentaux que les États doivent déceler et saisir pour assurer, au-delà des vicissitudes de l'histoire, la pérennité de la puissance et la grandeur des peuples". Quelles sont les constantes dans l'histoire de la R.D.C. ?

Les constantes dans l'histoire de la R.D.C.

« Le Congo, un pays convoité, objet de l'enjeu international ». Ce qualificatif que nous empruntons à Elikia M'Bokolo, "Le continent convoité", s'applique bien à la R.D.C. Les circonstances de la création de l'entité qui donnera naissance à la R.D.C. le justifient et l'illustrent bien.

Léopold II cherchait à tout prix une colonie pour la Belgique. Alors qu'il n'était encore que Duc de Brabant, il écrivait en 1865 : "il faut à la Belgique une colonie". Quelques années plus tard, les voyages de Stanley suscitaient de l'intérêt et braquaient les faisceaux lumineux sur l'Afrique centrale. Il alla tout d'abord à la recherche de David Livingstone que l'on croyait perdu, et le retrouva en 1871. Puis il chercha à résoudre l'énigme des sources du Nil et accomplit la traversée de l'Afrique centrale de l'Est à l'Ouest en 1001 jours de 1874 à 1877.

Pendant ce temps Léopold II convoque à Bruxelles une Conférence géographique en 1876. Y sont invités les géographes les plus réputés et les explorateurs les plus distingués provenant d'Allemagne, de France, d'Angleterre, d'Autriche-Hongrie, d'Italie, de Russie, de Belgique. La Conférence donne naissance à l'Association Internationale pour l'exploration et la civilisation de l'Afrique (A.I.A.). L'A.I.A. se donne un rôle humanitaire, civilisateur et scientifique.

Léopold II se présente au monde comme un monarque éclairé, philanthrope, mécène des grandes croisades scientifiques. Mais l’agenda caché est toujours là : chercher une colonie pour la Belgique.

Pour ne pas éveiller la méfiance, ni susciter la jalousie internationale, il s'entoure de secret et impose le silence à tous ses collaborateurs. En novembre 1878, il substitue le Comité d'Études du Haut Congo à l'A.I.A. Ce Comité d'Études, créé avec des banquiers et des commerçants belges, hollandais, anglais, a un rôle commercial ; le roi lui-même est souscripteur. Une année plus tard, en novembre 1879, pour avoir les mains libres au Congo et ne rendre compte à personne, il dissout le Comité d'Études, mais pour des raisons tactiques, il continue d'utiliser ce nom.

Sur le terrain, Léopold II doit affronter deux adversaires qui s'intéressent aussi au Congo.

Il y a la France, qui est présente au Pool Malebo par l'intermédiaire de l'explorateur français d'origine italienne, Pierre Savorgnan de Brazza. Ce dernier est arrivé à Mbe, la capitale du royaume teke (tyo) en passant par l'Ogooué (Gabon). Il a signé avec Makoko Iloo un traité de cession de territoire qui sera ratifié par les Chambres françaises en novembre 1882.

En rentrant en France, il a laissé le 3 octobre 1880 à Mfwa (future Brazzaville) Malamine, un laptot sénégalais, pour sauvegarder les intérêts de la France. Lorsque Stanley parvient au pool, il s'entend dire par Malamine que les deux rives du Congo appartiennent à la France. François Bontinck a évoqué cette période "quand Brazzaville était à Kinshasa".

Il y a le Portugal, qui fait valoir son ancienneté et ses droits historiques. Il est présent dans la région depuis le 15ème siècle. Il s'est abouché avec l'Angleterre en novembre 1882 parce que les deux pays craignaient la poussée française dans le bassin du Congo. Le Portugal entend faire reconnaître ses prétentions sur l'embouchure du Congo. C'est ainsi que le traité anglo-portugais du 26 février 1884 attribue les deux rives du Congo jusqu'à Noki au Portugal. Vivi créée en octobre 1879 reste à l'A.I.C.

L'A.I.C., Association Internationale du Congo, c'est la nouvelle création qu'imagine Léopold II en 1882, dictée par sa stratégie. Le roi entretient la confusion avec l'A.I.A. en maintenant la même administration et le même drapeau (le drapeau bleu avec une étoile d'or au centre = la lumière dans les ténèbres africaines).

Mais dans l'A.I.C., Léopold II est tout seul. Et on l'attaque : "une association privée n'a pas le droit d'acquérir la souveraineté sur un territoire ". Léopold II réplique en affirmant que l’AIC est à la tête d’une confédération de tribus qui s’est placée sous sa direction et son autorité.

La stratégie du roi est de mener une offensive diplomatique tous azimuts, que les historiens ont appelée aussi "guerre diplomatique". Il exploite les mécontentements et les frustrations nés du traité anglo-portugais.

La Hollande réclame la liberté de navigation et de commerce sur le fleuve Congo et ses affluents.

La Chambre de Commerce de New York se prononce également pour la libre navigation sur le Congo. La France s'oppose au traité anglo-portugais, de même que l'Allemagne de Bismarck, car cette "côte a toujours été ouverte à toutes les nations, et n'a pas encore été occupée". Même les députés anglais et les hommes d'affaires de Manchester prennent position contre le traité.

Léopold II se joue de toutes les grandes puissances et joue les unes contre les autres pour obtenir la reconnaissance de l'A.I.C.

Il approche les États-Unis en novembre 1883, et obtient la reconnaissance de l'A.I.C. le 22 avril 1884. Les arguments évoqués sont de trois ordres :

  • Economique : l'A.I.C. accorde aux USA le libre-échange et la liberté de commerce ;
  • Juridique : les premiers colons américains qui ont créé des États étaient de simples particuliers ;
  • Sentimental : l'A.I.C. œuvre pour l'ouverture de l'Afrique à la civilisation et la suppression radicale de la traite des esclaves ; tout comme les USA ont supprimé l'esclavage et rapatrient des Noirs au Liberia. Des Américains sont bien placés dans l'A.I.C. (Henry Shelton Sanford, Henry Morton Stanley).

Il obtient la reconnaissance de la France le 24 avril 1884 (deux jours plus tard) en échange du droit de préemption, le droit de préférence. La France a accepté parce qu'elle se méfiait de l'Angleterre : Léopold II utilisait beaucoup d'Anglais, qui pouvaient travailler pour les intérêts de leur pays.

Il obtient la reconnaissance de l'Allemagne le 8 novembre 1884 après lui avoir promis aussi la liberté commerciale. Ainsi l'Allemagne est obligée d'aider Léopold II à réussir sinon la France va tirer les marrons du feu et hériter des acquisitions territoriales de l'A.I.C.

Le climat est propice pour la convocation en octobre de la Conférence africaine de Berlin (15 novembre 1884 - 26 février 1885) dont l'un des points focaux est l'arbitrage de la question du bassin du Congo. Quatorze pays y prennent part : l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, les États-Unis, la France, le Royaume Uni (Grande Bretagne + Irlande), l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Russie, la Suède-Norvège et l'empire ottoman. En marge des débats de la Conférence, des tractations s'effectuent dans les couloirs et aboutissent à la reconnaissance de l'A.I.C. comme une entité légale internationale, habilitée à créer un État libre.

Les négociations les plus difficiles ont été celles menées avec la France et le Portugal. Pourquoi ? L'A.I.C. qui avait occupé entre-temps le Niari-Kouilou et y avait établi des stations pour se ménager un accès à la mer va céder cette région à la France moyennant indemnisation. En contrepartie, la France renonce à réclamer la rive gauche du Pool (Léopoldville) laissée à l'A.I.C. et la rive droite du fleuve Congo du Pool jusqu'à Vivi.

Le Portugal a dû se faire prier. Il a fallu un ultimatum présenté par l'Allemagne, l'Angleterre et la France à la suite d'un chantage de Léopold II qui menaçait de tout laisser tomber s'il n'avait pas d'accès à la mer. Finalement le Portugal va céder la rive droite du fleuve de Vivi jusqu'à l'embouchure, ainsi qu'une quarantaine de kilomètres sur le littoral.

Après l'annexion du Congo par la Belgique, les convoitises sont mises en veilleuse. Toutefois, au début de l'année 1914, l'Allemagne manifeste ses visées sur le Congo en entamant des négociations avec l'Angleterre pour le partage du pays. Ce n'est pas un hasard si les troupes allemandes ont agressé en 1914 le Congo, déclaré pourtant neutre à la Conférence de Berlin.

De son côté, la France a évoqué le droit de préemption après la tenue de la Table Ronde belgo-congolaise en 1960. Mais l'on peut se demander si ce n'était pas plutôt un canular du Général de Gaulle qui avait déclaré à Brazzaville en août 1958 : « L’indépendance, quiconque voudra la prendre, pourra la prendre aussitôt, s’il vote non au référendum du 28 septembre. La métropole ne s’y opposera pas ».

Les convoitises pour le Congo se sont encore aiguisées lorsqu'on a su que les premières bombes atomiques lâchées sur les villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki avaient été fabriquées à partir de l'uranium que le directeur de l'Union Minière du Haut Katanga avait entreposé à New York peu avant la seconde guerre mondiale.

En 1960, le Congo indépendant est devenu l'enjeu de la confrontation entre l'Est et l'Ouest. La crise des années soixante est le résultat en grande partie des luttes d'influence des blocs qui voulaient avoir la mainmise sur le Congo,

Ces convoitises continuent à se manifester de nos jours par le biais de la sous-traitance confiée à des pays africains, voisins de la R.D.C. comme le Rwanda et l'Ouganda.

Le pillage de nos richesses à la faveur de la guerre qui nous a été imposée a été dénoncé publiquement par une commission de l'ONU.

Ce sont ces convoitises qui causent la déstabilisation et l'élimination des chefs d'État et de gouvernement soupçonnés de tiédeur ou d'opposition à l'égard de certains intérêts et de certaines puissances. Patrice Emery Lumumba a été accusé à tort de crypto-communiste.

Laurent-Désiré Kabila est tombé pour avoir voulu privilégier les rapports sud-sud, la prise en charge de soi-même, et la fréquentation de la Libye et de Cuba mis à l'index. En revanche Adoula et Mobutu ont été soutenus pour avoir compris que le Congo devait rester " une porte ouverte ".        

Le Congo une économie de la porte ouverte

A Berlin, le résultat qui satisfait tout le monde en 1885 est la liberté de navigation et la liberté commerciale reconnues pour tous les pays, sans discrimination. Sur toute l'étendue du bassin conventionnel du Congo, il ne doit pas y avoir de traitement préférentiel. Le bassin conventionnel du Congo s'étend de l'Océan Atlantique à l'Océan Indien, et recouvre l'actuelle RDC, l'A.E.F (Congo, Gabon, Cameroun, Tchad, République Centrafricaine), l'Ouganda, l'Afrique orientale allemande (Rwanda, Burundi, Tanzanie).Les droits d'importation y sont interdits pendant vingt ans. Mais l'on admet certaines taxes pour contrebalancer les dépenses faites pour l'équipement des ports et les transactions commerciales.

Cinq ans après la Conférence de Berlin se tient à Bruxelles une Conférence internationale anti-esclavagiste. Léopold II qui a besoin d'argent, et de beaucoup d'argent, demande et obtient de la communauté internationale la révision de l'article 4 de l'Acte de Berlin. On l'autorise à percevoir des taxes à l'importation pouvant atteindre 10 % de la valeur des marchandises, et cela pendant 10 ans.

Mais bientôt les taxes à l'importation ne suffisent plus à compenser les besoins énormes de Léopold II. Unilatéralement, il instaure un monopole sur l'ivoire et le caoutchouc. Des critiques provenant du secteur privé s'élèvent contre ce qu'on a appelé "le régime léopoldien" (1891-1906). Les abus et les atrocités du système léopoldien sont dénoncés dans le monde.

La campagne anti-léopoldienne s'intensifie en 1903 avec la création de "Congo Reform Association" d’Edmond Morel et Roger Casement. Léopold II est obligé de constituer une commission d'enquête internationale qu'il envoie au Congo en 1904- 1905.

La liberté commerciale dans le bassin du Congo est maintenue après l'annexion du Congo par la Belgique en 1908. Le Traité de Saint-Germain-en Laye (10 septembre 1919) va la reconduire, tout en accordant à la Belgique le droit de fixer les règles et les tarifs douaniers. Cette taxation devait être uniforme pour tout le monde.

L'imposition de "l'économie de la porte ouverte" explique la présence non négligeable de capitaux étrangers dans une colonie qui était belge. A titre d'exemple, le trust anglo-hollandais Lever qui a créé les Huileries du Congo Belge (H.C.B.) et exerçait ses activités dans quatre des six provinces du Congo ; telle encore la Tanganyika Concessions Limited, l'un des principaux actionnaires de l'Union Minière du Haut Katanga.

Les intérêts américains n'étaient pas en reste avec American Congo Company qui s'intéressait à l'agriculture, le Groupe Thomas Ryan et Daniel Guggenheim qui a investi dans la Forminière, le Groupe Rockefeller qui était présent dans l'U.M.H.K. et les Filatures et Tissages Africains, l'United States Plywood qui était dans le bois. Les groupes français se sont intéressés à la Compagnie des Chemins de fer des Grands Lacs Africains (C.F.L.), à la Sucrerie et Raffinerie Africaine, et à la Compagnie de navigation fluviale FIMA.

Le Congo : une économie extravertie

Stanley avait déclaré péremptoirement : "Sans chemin de fer, le Congo ne vaut pas un penny". Les chemins de fer qui seront construits au Congo n'ont qu'un seul but : exporter, évacuer les produits d'exportation vers la métropole, vers les pays étrangers. Jusqu'aujourd'hui, la production congolaise est organisée plus pour alimenter les marchés extérieurs que pour satisfaire les besoins locaux. L'économie est plus tournée vers l'extérieur que vers l'intégration de ses activités.

Le Congo, un géant assoupi, espoir du continent africain

Dans notre insouciance, nous, Congolais, ne nous rendons pas compte de l'espoir placé en nous par les autres pays africains.

Dans un livre paru en juin 1960, intitulé "Les Fondements Culturels, Techniques et Industriels d'un Futur état fédéral d'Afrique Noire", le savant sénégalais Cheikh Anta Diop réserve une place prééminente au bassin du Congo appelé à devenir "la première région industrielle de l'Afrique", "le centre principal de l'industrie lourde". Il recense les atouts du Congo qui sont multiples et indéniables.

Il y a l'énergie hydraulique à partir du fleuve Congo, deuxième fleuve au monde par le volume de son débit (30.000 à 60.000 m3/s ; 650 milliards de kwh de réserves annuelles, équivalant à l'époque aux 2/3 de la production mondiale.

Il y a les ressources minières qui ont valu au pays l'épithète de "scandale géologique" : le cobalt (65% de la production mondiale), le chrome (1/3 de la production mondiale), le cuivre, le tantale, le cadmium, le vanadium, le manganèse, l'étain, le zinc, le plomb, l'argent, le diamant industriel, l'or, l'uranium (50% de la production mondiale avant l'indépendance), le wolfram, etc. Le coltan n'est pas cité parce qu'il n'était pas encore à la mode. 

Il y a la forêt vierge avec diverses essences.

Dans le plan d'industrialisation qu'il esquisse, Cheikh Anta Diop liait l'avenir industriel du continent africain au sort du Congo. Si l'on résolvait le problème du transport à longue distance de l'énergie électrique sous forme de tension continue, le bassin du Congo permettrait de ravitailler en électricité tout le continent. L'exploitation des ressources énergétiques permettrait de transformer les matières premières du continent et faire de l'Afrique Noire, selon ses propres termes, "un paradis terrestre".

Le Congo fabriquerait de l'acier et des aciers spéciaux à usage domestique ou stratégique. Il installerait une industrie électro-métallurgique pour traiter différents minerais. Il développerait des constructions aéronautiques et navales, des constructions d'automobiles et des machines agricoles, des industries variées du bois, des industries de pâte à papier, des colorants, des tissus artificiels, des matières plastiques.

Pour satisfaire les besoins du continent et exporter le surplus de production, Cheikh Anta Diop imaginait la multiplication des usines de pneumatiques, des usines de filature et de tissage, des huileries, des savonneries, des sucreries, des industries de chimie minérale et synthétique, des cimenteries.

L'agriculture n'était pas en reste. Le bassin du Congo était une région d'élevage de l'avenir en raison de ses prairies immenses, vertes en toutes saisons. La culture du riz, du coton et d'autres choses serait développée au Congo pour cesser de faire dépendre l'Afrique de l'extérieur en important d'Asie et d'Europe des produits indispensables à son existence. La pêche déboucherait sur l'industrie de conserves et l'industrie de frigorifiques et du froid.

Le tendon d'Achille de ce géant en devenir était en 1960 sa faiblesse démographique. La densité du bassin du Congo était de 2 à 3 habitants au km2. Aussi Cheikh Anta Diop plaidait-il pour "une politique d'hygiène et de développement systématique des naissances". Il ne fallait surtout pas recourir à une immigration massive d'étrangers. Tout au plus, admettait-il dans les premières années d'industrialisation, "un appel judicieux de la main-d'œuvre des territoires africains avoisinants".

A la même époque que Cheikh Anta Diop, et comme le savant sénégalais, Frantz Fanon, auteur de "Peau noire, Masque blanc", médecin martiniquais, naturalisé algérien, qui s'était engagé dans le F.L.N. pendant la guerre d'Algérie, et avait amené Jean-Paul Sartre à s'intéresser à la pensée politique de Lumumba, soulignait la position géostratégique du Congo : " L'Afrique a la forme d'un revolver dont la gâchette est au Congo". Cette citation réserve aussi une place prééminente au Congo. Malheureusement elle est souvent galvaudée, émasculée et banalisée.

Un quart de siècle après les indépendances africaines, Eden Kodjo a publié en 1985 un livre intitulé "Et demain l'Afrique". L'auteur plaide pour l'unification territoriale et politique de l'Afrique. Au fil des pages, il cherche un pays qui pourrait jouer le rôle de la Prusse en Allemagne au 19ème siècle. La Prusse s'est jouée de l'Angleterre pour établir l'unité allemande au travers de l'Union douanière ; elle a associé de grands États comme la Bavière, la Saxe, le Württemberg, les États de Thuringe.

Le pays que cherche Eden Kodjo devrait avoir, écrit-il, "une dimension d'États modernes". Il pose et retourne la même question : "Quel est l'État qui pourra assumer les fonctions de la Prusse des Africains ? Quel État jouera le rôle de catalyseur ?" (p.261). Un peu plus loin, il affirme encore : "Mais il faudra une Prusse africaine", "un pays africain qui accepte d'être le centre de l'union". (p.265).

Un autre moyen de réaliser l'unité continentale est de commencer à travailler par pôle fédérateur avec des États pilotes. En Afrique de l'Ouest, Eden Kodjo pointe le Nigéria à cause de son vaste espace et de sa population (100 millions d'habitants). En Afrique centrale, c'est le Zaïre (R.D.C.) à cause, dit-il, de sa richesse, de son immensité géographique, de sa position géostratégique exceptionnelle et de ses trente millions d'habitants (chiffre de 1985). En Afrique australe, il désigne l'Afrique du Sud sans l'apartheid. En Afrique orientale, c'est l'Éthiopie, et en Afrique du Nord l'Égypte ou l'Algérie.

L'historien franco-guinéen Ibrahima Baba Kaké a découvert le Congo tardivement. Il est co-auteur d'un livre publié à Paris chez Présence Africaine : "Le Conflit belgo-congolais". Impressionné favorablement après deux séjours au Congo, il a pastiché Alain Peyrefitte. L'ancien ministre du Général de Gaulle a écrit un livre titré "Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera". Kaké a écrit du géant assoupi : "Quand le Zaïre s'éveillera, le monde s'étonnera".

Face aux attentes des autres Africains, quelle est notre réponse à nous, Congolais ?

  • Les ambitions et les velléités de puissance pour un grand Congo

Dans le Manifeste de "Conscience Africaine" publié fin juin 1956 - le premier texte politique des Congolais - les rédacteurs soulignent leur conviction que "le Congo est appelé à devenir, au centre du continent africain, une grande nation". Sans doute les rares compatriotes qui avaient eu l’opportunité de sortir du pays et de se comparer aux autres Africains leur avaient-ils communiqué cette certitude.

Antoine-Roger Bolamba qui a effectué un voyage à Dakar en 1952 dans la délégation constituée pour représenter le Congo à l'Assemblée Mondiale de la Jeunesse témoigne que les Noirs qu'il avait rencontrés à ce congrès n'étaient pas, pour la plupart, plus doués que les Congolais. Il ne fallait pas se faire des complexes. Ils avaient simplement une grande expérience des débats ; ils défendaient des principes et tenaient mordicus à leurs convictions.

Seconde déclaration : le célèbre discours de Patrice Lumumba du 30 juin 1960. Le premier Premier ministre congolais affirme que les Congolais vont "faire du Congo le centre de rayonnement de l'Afrique tout entière"… ; il poursuit : "L'indépendance du Congo marque un pas décisif vers la libération de tout le continent africain". Cette idée d'un grand Congo pour libérer l'Afrique est une idée-force de Patrice Lumumba. Elle revient dans la plupart de ses discours pendant les deux mois où il est resté au pouvoir.

Dans un discours prononcé à Stanleyville le 19 juillet, une semaine après la proclamation de la sécession katangaise, il précise qu'il faut sauvegarder l'unité nationale, "car c'est cette unité qui fera du Congo une grande nation au centre de l’Afrique ; et le Congo va jouer demain un grand rôle pour libérer le reste de l'Afrique". Lumumba pensait à l'Algérie, à l'Angola, à l'Afrique du Sud, au Kenya, au Ruanda-Urundi. Le 22 juillet 1960, il déclare : "Nous voulons faire du Congo une grande nation libre"…"Nous allons construire un grand Congo, un Congo fort, pour libérer le reste de l'Afrique, pour libérer nos frères qui sont encore sous la domination étrangère".

Le 9 août, il affirme dans une conférence de presse : "Et le Congo avec ses richesses, ses potentialités, le Congo va devenir une grande nation, puissante, économiquement, politiquement". Le 25 août, il se montre pathétique à la Conférence panafricaine de Léopoldville : "Si le Congo meurt, toute l'Afrique bascule dans la nuit de la défaite et de la servitude".

En 67 jours de gouvernement, Lumumba n'a pas pu concrétiser ses vœux. Par contre, le Président Mobutu est resté trente et un ans et demi au pouvoir. Le Président Mobutu a pu faire illusion, mais le Zaïre de Mobutu n'est pas devenu pour autant une grande puissance.

Le Président Mobutu a fait illusion lorsque 1 Zaïre valait 2 dollars. Il a fait illusion lorsqu'il a envoyé les forces combattantes zaïroises sur de nombreux théâtres de combats : en Angola, au Rwanda, au Tchad, au Biafra. Ce n'était pas faire preuve de nationalisme que de céder une bonne portion du territoire national à une firme étrangère - l'OTRAG - qui pouvait y faire tout ce qu'elle voulait.

Le recours à la philosophie de l'authenticité a été présenté en 1971 comme l'affirmation de la personnalité africaine, la défense et l'illustration de la dignité africaine ; les peuples africains ont été appelés à assumer leurs valeurs culturelles ancestrales. Un colloque national sur l'authenticité a même été tenu en 1981 sous les auspices de l'Union des Ecrivains Zaïrois. Ce que l'Afrique a retenu de l'authenticité, c'est le rituel de l'animation pour accueillir les chefs d'État étrangers.

Mobutu a lancé en 1985 le projet de la Ligue des États Négro-Africains pour repenser l'unité du monde noir et concevoir la coopération entre tous les États membres afin de sortir du sous-développement. Mais la LENA est un projet mort-né, parce que son promoteur fut présenté comme le Plus Grand Commun Diviseur de l'Afrique.

La CEPGL que Mobutu présentait en 1976 à l'Afrique et au monde comme un modèle de coopération régionale devant consolider les relations de bon voisinage et contribuer à l'intégration économique a volé en éclats.

A ce jour, la République démocratique du Congo n'est pas encore devenue ce grand Congo dont rêvent certains de ses enfants. Jusqu'ici on s'est limité aux paroles, aux déclarations d'intention, aux vœux pieux. Pire, la R.D.C. suscite la commisération, la risée, le mépris. Le pays est pillé, endetté. Beaucoup de Congolais ne songent qu'à fuir leur pays pour aller vivre ailleurs, sous des cieux qu'ils espèrent plus cléments : en Angola, en Afrique du Sud, en Afrique de l'Ouest, en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Australie…Sur Internet, les Congolais sont qualifiés d'adeptes de la B.M.W. (Bier, Money, Wife – la Boisson, l'Argent mal acquis, la luxure avec les Femmes). Et le président ougandais Museveni aurait déclaré qu'il ne connaît qu'un seul général en R.D.C. : "le Général Defao" (qui est un musicien).

Quelles sont les conditions pour devenir une grande puissance

Certaines conditions sont déjà remplies.

  • Un vaste espace géographique.

Le territoire congolais d'une dimension de 2.345.410 km2 est un facteur de puissance. Il nous donne la dimension d'un sous-continent. La R.D.C. couvre toute l'Europe occidentale et vaut le 1/13 du continent africain. Nous devons toutefois l'aménager et veiller à ce qu'il ne soit pas balkanisé.

  • Une population abondante.

La population, estimée entre 45 et 60 millions d'habitants faute de recensement fiable (sic, 2005), ne fait pas encore de la R.D.Congo un pays surpeuplé. Ce n'est pas la place qui manque en R.D.C. Il faut toutefois veiller à bien répartir cette population dans l'espace géographique, à la nourrir, à l'instruire et l'éduquer, à développer sa qualification technique, à lui procurer des soins de santé et un habitat décent.

  • Les ressources naturelles.

Le qualificatif de "scandale" a été utilisé à ce propos : " scandale géologique", " scandale hydraulique", "scandale forestier". Mais nous devons nous persuader que ces ressources ne sont pas éternelles. Il faut savoir les gérer. Des pays de l'Amérique Latine qui attiraient l'Espagne au 16ème siècle et ont laissé au monde l'expression de El-dorado, "l'homme couvert d'or", n'ont plus que leurs yeux pour pleurer. Il faut savoir que nos matières premières minérales peuvent être délaissées pour des concentrations de minerais que l'on peut trouver dans la mer, comme le pétrole, ou dans l'Antarctique. Par ailleurs, les progrès de la science font que la chimie de synthèse crée de nouveaux produits et accélère l'obsolescence de certaines autres matières.

En revanche, il faut changer de mentalités. Ceci ne doit pas être un simple slogan. Il faut s'inspirer de l'exemple de l'Allemagne et du Japon, les vaincus d'hier qui sont revenus aux premiers loges. Il faut s'inspirer de l'exemple des pays asiatiques, appelés "les Dragons". Il faut acquérir la ténacité dans le travail, la persévérance dans l'effort, l'esprit de sacrifice, le sens du devoir, de l'organisation de l'État, le souci du labeur bien fait. Il faut proscrire le gain facile, "la coop" ou corruption, le clientélisme et le népotisme.

Ceci vaut tout aussi bien pour les élites dirigeantes que pour le peuple, la masse. La volonté politique est absolument indispensable. La R.D.C. a besoin d'un leadership responsable, clairvoyant, lucide, visionnaire, détaché des étreintes ethniques et égoïstes, qui ait conscience des enjeux et engage le pays dans le processus de redressement.

Ce n'est pas normal que nous soyons là à recevoir des leçons de tout le monde, même de ceux qui, dans leur for intérieur, n'ont pas intérêt à ce que nous nous en sortions. Nous sommes l'un des rares pays au monde où les querelles de ménage sont réglées sur la place publique par des voisins. Nous nous entre-déchirons pour des intérêts partisans. Nous ne connaissons pas l'art de résoudre nos propres contradictions. Comment pourrions-nous forcer le respect ?

Le peuple de son côté doit faire preuve de discipline, et proscrire les tendances au nihilisme : "ebeba, ebeba", la casse et le pillage.

Des actions doivent être menées dans trois directions :

- l'armée : il faut absolument avoir une armée disciplinée, aguerrie pour dissuader les éventuels ennemis. L'idée d'un service civique pour la jeunesse, bien étudiée, est de nature à développer et consolider le sentiment national. Qui aurait cru en 1960 que les Angolais qui venaient trouver refuge chez nous deviendraient la grande force et l'arbitre qu'ils constituent aujourd'hui en Afrique centrale ?

- la diplomatie : "la guerre diplomatique" est à l'origine de la constitution de l'E.I.C. Le déficit diplomatique a été à la base de la déconfiture de la R.D.C. en 1998. Nous soutenons l'idée de l'ouverture d'une École Diplomatique pour former et recycler nos diplomates.

- la diaspora : au plus fort de la crise, alors que les différentes coopérations nous avaient abandonné à notre triste sort, ce sont les apports de la diaspora congolaise qui ont permis à beaucoup de familles congolaises de maintenir la tête au-dessus de l'eau, et de ne pas couler. Pourquoi ne pas instituer un Vice-Ministère, ou un secrétariat d'État chargé de la diaspora qui recenserait nos compatriotes qui se sont expatriés, et maintiendrait les liens avec eux ? Plusieurs projets pourraient bénéficier de leurs contributions. Les autorités auraient la tâche de les suivre pour les défendre afin de ne plus vivre certaines situations vécues dans certains pays.

Le mot de la fin

Notre place dans le monde de demain, en d'autres mots le destin international de la République démocratique du Congo, "notre beau et cher pays", sera ce que nous, Congolais, voulons réellement qu'il soit. Continuerons-nous à nous limiter aux vœux pieux, aux slogans ? Ou franchirons-nous le cap des actes ? Mais il n'y a pas de temps à perdre. Des vautours qui continuent de planifier et de programmer la partition de notre pays guettent. Pensons à l'histoire des Peaux-Rouges. Ils étaient assis - sans le savoir - sur des puits de pétrole, et ne les exploitaient pas. Ils ont été délogés lorsqu' ils ne pouvaient pas être exterminés ; et ils ont été parqués dans des réserves.

On a parlé du "miracle japonais", du "miracle allemand", du "défi américain". Jusqu'ici on n'a parlé que du "mal zaïrois". Mais le "miracle congolais" est aussi à notre portée, à condition que nous le voulions vraiment. Nous n'aurons plus à envier les uns et les autres. Cheikh Anta Diop n'a-t-il pas parlé d'un paradis terrestre au Congo ?

Lançons nos routes de part en part, du nord au sud et de l'est à l'ouest de notre sous-continent de pays ; modernisons notre agriculture, électrifions notre pays, industrialisons-le, équipons-le en moyens de communication, soignons nos ressources humaines en veillant à la santé, à l'éducation et à la recherche, et nous aurons accompli "le miracle congolais".

Mais au préalable, nous devons sortir de notre torpeur et changer de mentalités. Nous devons abandonner toutes les antivaleurs, et acquérir une mentalité de développement. Congolais, dressons nos fronts longtemps courbés comme nous y invite notre hymne national afin de reconstruire notre pays meurtri, et occuper la place qui nous est prédestinée ».

 

 

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